Images de page
PDF
ePub

calme et avec autorité les causes qui lui démontrent la nécessité d'un temps d'arrêt dans la politique de répression. Il a voté les fonds secrets que demandait le ministère, il lui a prêté son appui, et cependant si le cabinet du 15 avril se retirait, quel homme plus que M. Thiers aurait des chances pour prendre part à son héritage? Si M. Barrot comprend sa véritable situation, il imitera la réserve, l'esprit de ménagement et la sage politique dont M. Thiers lui a donné l'exemple.

THEATRE - FRANÇAIS.

Depuis dix ans M. Empis arrive, de temps à autre, au comité du Théatre-Français avec un manuscrit volumineux sous son bras. Ce manuscrit est chaque fois une reproduction de celui qui l'a précédé. Le sujet en est puisé dans une mine qui devrait être riche et féconde: l'intérieur de la famille. D'abord c'était l'histoire d'une mère malheureuse que M. Empis nous mit en scène; ensuite ce fut la fille de cette mère; puis la mère et la fille parurent ensemble, et aujourd'hui, c'est la fille et la mère. On ne se souvient guère des drames de M. Empis, et quand il s'en présente un nouveau, on croirait revoir toujours le même. Ce sont toujours des mères inconséquentes ou bien des filles éprises des amans de leurs mères. M. Empis est comme les comètes; quand il a fait sa révolution, il reparaît à l'horizon, et ne brille qu'un temps dont on peut préciser d'avance la durée, à quelques jours près. Or, puisqu'il est d'usage de consigner ici l'apparition de l'astre le plus pâle, comme un fait à l'Observatoire, nous allons essayer d'esquisser en peu de mots cette nouvelle production, Julie ou la Séparation.

Julie a épousé M. de Néris à l'âge de quinze ans. Elle a perdu bientôt la tendresse de son mari par inhabileté. Julie était dévote, et ses principes puritains étant insupportables à M. de Néris, celui-ci abandonna complètement la jeune femme et partit pour l'Amérique. Au bout de quatorze ans, il revient. Mme de Néris est alors une personne accomplie par son esprit et ses talens. Le mari, qui arrive dans l'intention de divorcer, s'aperçoit de ces changemens, et se sent ébranlé dans ses résolutions. Julie s'est fait passer pour veuve, ce qui est une imprudence impardonnable dans une femme si sage. Aussi, lorsque son mari paraît, la calomnię, qui l'avait déjà déchirée, trouve moyen de lui nuire bien plus sérieusement. Elle a une fille charmante qui va se marier avec un duc. Le retour du mari, les médisances qui courent le monde, et la demande de séparation causent un scandale qui fait manquer le mariage. On regarde Julie comme coupable d'un amour illégitime pour un honnête homme qui joue le rôle le plus triste et le plus ingrat. M. de Néris réclame sa fille, et Julie se voit bientôt seule et méprisée. Cette situation était belle. Nous espérions qu'elle allait être exploitée de façon à nous remuer un peu; mais tout s'arrange subitement. La jeune fille ménage une entrevue entre ses pa

rens. Le dénouement consiste en un discours que prononce Julie au cinquième acte avec plus d'éloquence que dans les actes précédens, ce qui persuade les assistans de son innocence; et pour imposer silence à la calomnie, on décide qu'on se montrera tous ensemble au public. — Je vous demande si le public est mystifié!

[ocr errors]

Si nous ne savions que M. Empis est un des vétérans du drame, nous croirions qu'il a écrit cette pièce sans avoir bien arrêté son plan. En examinant cette donnée avec soin, on y trouve une pensée première, inspirée par une des plus jolies nouvelles de George Sand, Lavinia. Lavinia est, comme Julie, une maîtresse abandonnée qu'on retrouve, long-temps après, pourvue de charmes et d'attraits qu'on ne lui connaissait pas; mais la femme délaissée de George Sand n'a point de fille à marier, attirail dont M. Empis ne saurait se passer. Elle n'a pas pour amis des conseillers à la cour de cassation, de vieilles duchesses douairières, bavardes, ni de jeunes ducs, élèves de l'École Polytechnique. Lavinia garde au fond de son cœur une blessure à demi fermée. Quand son amant revient à elle, un autre soupirant l'aime aussi, comme dans Julie ou la Séparation. Elle a réfléchi sur les dangers d'une captivité nouvelle. Après avoir fait ses comptes et tout pesé avec soin, Lavinia se décide à n'épouser ni l'un ni l'autre, dénouement que notre scène rejetterait peutêtre, mais qui vaut mieux mille fois que le discours pathétique de Julie, et qui a fait rêver plus d'un lecteur au coin du feu. Quand on connait la manière dont M. Empis arrange, on ne s'étonne pas que Lavinia, en passant par son alambic, ne se soit pas heureusement transformée. Le style de ce drame est lourd et trainant; les récits dominent, et un récit de M. Empis dure long-temps, je vous assure.

Il vient de paraître le premier volume d'un ouvrage qui promet d'être fort intéressant, intitulé: Memorie storiche dei principali avvenimenti politici d'Italia seguiti durante il pontificato di Clemente VII. Opera di Patrizio de Rossi, Fiorentino, pubblicata per la prima volta per cura di G. F. e dedicata a S. E. il signor commendatore Moutlinho, inviato straordinario e ministro plenipotenziario del Brasile in Francia. Roma, 1837; — mémoires historiques des principaux évènemens politiques d'Italie sous le pontificat de Clément VII. Ouvrage de Patrice de Rossi, Florentin; publié, pour la première fois, par les soins de G. F. et dédié à son excellence le commandeur Mouttinho, ambassadeur du Brésil en France.

- Un de nos collaborateurs, M. Roger de Beauvoir, va publier, sous peu de jours, un élégant recueil de poésies dont nous avons déjà parlé à nos lecteurs. Nous empruntons à ce volume de vers la pièce dédiée à M. A. Devéria, qui pourra donner une idée de la manière du jeune poète.

LES MAITRES.

Au temps miraculeux de la grande peinture,
Ce que j'aime, surtout, c'est que l'on dégaînait
Pour soutenir sa thèse ou venger son injure,
Déposant pour le fer le pinceau qu'on tenait.

L'artiste avait l'humeur superbe et cavalière,
Il portait le front haut comme le Joseppin;
Au chevalet le soir il pendait sa rapière,
Et personne n'osait lui disputer son pain.

Il passait, talonnant un beau genet d'Espagne;
Ou bien, comme Rubens, chassant dans ses forêts,
Il crevait dix limiers aux flancs d'une montagne;
Courait le jeu de bague et rompait des fleurets.

On ne s'étonnait pas de son large panache,

Et
que Van Dyck, le peintre, eût de si beaux cheveux;
Ils pouvaient ou reprendre ou quitter la moustache,
Sans qu'un poète obscur jappât des vers contre eux.

Aussi, plus d'une fois, sur leurs toiles austères,
Eux-mêmes, cher Achille, ils gravèrent leurs traits,
Et l'on vit près du Christ leurs figures si fières.
Véronèse, de lui, fit au moins six portraits;

Titien, Giorgione et d'autres l'imitèrent.
C'est que l'art noble et pur en ces temps florissait,
C'est qu'à côté des grands les peintres s'élevèrent,
C'est que par l'élégance et les cours on passait;

Que le maître étalait une pompe royale,
Et que l'on écrasait l'envie avec dédain,
Comme on presse du pied une rauque cigale
Qui trouble de son cri les gazons du jardin.

LE COMTE

DE PEÑA PARDA.

PREMIÈRE PARTIE.

En l'année 1724, le jour de la fête du bienheureux saint Michel, deux voyageurs suivaient à pied la route qui conduit de Madrid au royal monastère de l'Escurial: à leur leste équipage, au léger bâton de vigne qu'ils portaient suspendu à la main par une mince courroie, on aurait pu croire d'abord qu'ils étaient sortis pour une promenade matinale; mais en y regardant de près, on s'apercevait à leurs souliers poudreux, à leur pas allangui et fatigué, qu'ils venaient de faire quelques lieues et qu'ils ne marchaient pas tout-à-fait pour leur plaisir.

L'un de ces deux hommes était petit, assez laid, brun de visage et tant soit peu boiteux; mais il avait une de ces bonnes et spirituelles physionomies qui plaisent tout d'abord. Il portait un habit dont les coutures luisantes attestaient un long et continuel service. Ses chausses montraient la corde de tous côtés, et plu

TOME LXI. MAI.

6

sieurs reprises habilement faites dissimulaient assez bien mainte estafilade, survenue aux endroits les plus exposés.

L'autre voyageur était de haute taille, ses cheveux d'un blond cendré s'échappaient de dessous un chapeau à bords rabattus et retombaient en boucles légèrement frisées sur le collet d'un pourpoint boutonné jusques au menton. Il portait par-dessus une capa de mauvais drap gris dont il se drapait avec cette inimitable grace espagnole qui transforme un vieux manteau troué en un élégant et noble vêtement. Une exacte et minutieuse propreté dissimulait en partie les avaries de ce pauvre costume; d'ailleurs celui qui le portait avait un si beau visage, une si grande tournure, qu'il aurait eu l'air d'un gentilhomme même sous les guenilles d'un mendiant. Il ne ressemblait pas au type presque généralement répandu dans la Péninsule; tout décelait en lui le descendant de cette bonne race asturienne qui défendit ses montagnes contre l'invasion sarrazine, et dont le sang ne se mêla jamais au sang musulman.

La route, bordée de buissons rabougris, traversait presque en ligne droite les plaines arides et pierreuses de la Nouvelle-Castille; point de verdure, [oint d'ombrage où la vue pût se reposer; la terre semblait incendiée, et le ciel, d'un bleu ardent, resplendissait d'éblouissantes clartés.

De temps en temps quelque cavalier passait comme emporté dans un nuage de poussière, ou bien quelque lourd carrosse arrivait traîné au petit trot par quatre mules fringantes et empanachées.

-Que Notre-Dame de las Nièves nous soit en aide ! s'écria le voyageur au manteau gris; on dirait que le chemin s'allonge sous nos pieds et que l'Escurial fuit devant nous! Benito, ne sentez-vous pas comme des vertiges? pour moi, je n'y vois plus, il me semble que mon cerveau se fond.

Il faut nous reposer, don Pablo, dit l'autre voyageur en cherchant du regard un peu d'ombre, il fait chaud dans ces parages-ci comme en purgatoire! Je ne crois pas que le désert où vécut le grand saint Jérôme fût plus sec et plus stérile que les environs de Madrid,

Ils quittèrent la grande route pour aller s'asseoir dans un ravin à l'abri de quelques prunelliers dont le feuillage rare et menu n'aurait pas mis à l'ombre un grillon. Çà et là croissaient entre les pier

« PrécédentContinuer »