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LE PÈRE. Si vous voulez aussi éterniser un de nos grands événements, nommons-le le Ruisseau des Chakals; c'est par là qu'ils sont venus nous attaquer, c'est par là que l'un d'eux a péri; et le pont, le pont de famille, parce que nous l'avons tous construit et traversé en famille pour nous rendre ici.

JACK. A présent, c'est un plaisir de parler de notre pays; tout y a son nom, donné par nous, comme s'il nous appartenait.

ERNEST. C'est comme si nous avions des fermes, des maisons de campagne dépendantes de notre château !

FRANÇOIS. C'est comme si nous étions rois! LA MERE. Et la reine-mère espère que tous ces petits roitelets seront bons pour leurs sujets, les petits oiseaux, les agoutis, les oies, les flamants, les... que sais-je, moi? j'ignore le nom de famille de vos vassaux, mais vous ne dépeuplerez pas votre royaume? FRITZ. Non, bonne mère, nous tâcherons seulement d'en extirper les méchants.

C'est ainsi qu'en babillant nous passâmes agréablement le temps du diner, que nous

prolongeâmes plus que les jours ouvriers. Nous posâmes les fondements d'une géographie de notre nouvelle patrie, que nous décidâmes d'envoyer en Europe par le premier

courrier.

D'abord après le diner, Fritz alla de nouveau à son étui, et, à mon grand étonnement, apporta un de nos corselets de liége, qu'il entreprit de couper pour en doubler les cuisses de son chat. Mais, au nom du ciel, lui dis-je, où as-tu pris ce corselet? Tu m'as bien attrapé, je croyais les avoir tous laissés à Zeltheim, dans notre tente; et lorsque je te permis ce matin d'en prendre un, c'était avec l'espoir que, te lassant d'altendre, tu te servirais de quelque autre bois, et que le corselet serait sauvé: à présent il faut que je ferme les yeux, car je n'ose retirer ma parole; mais dis-moi d'où tu l'as tiré?

- C'est moi, me dit ma femme, qui l'arrangeai comme une selle sous mon petit François, quand je le mis sur l'âne; tu ne l'avais pas remarqué, mais rien n'échappe aux yeux de lynx de M. Fritz.

Eh bien, qu'il s'en serve pour son étui, s'il le peut, répliquai-je; il exercera sa palience à le couper. - J'en viendrai bien à

bout, dit-il en l'approchant du feu. Nous le laissâmes faire, et j'allai au-devant de Jack, qui arrivait traînant avec grande peine la peau de son porc-épic, encore armée de tous ses piquets, à l'exception d'une douzaine qui avaient servi pour nos flèches; il l'étendit mes pieds, en me suppliant de l'aider à faire des cottes de maille ou des cuirasses à nos deux chiens, comme je le lui avais promis: cette idée ne lui sortit pas de la tête. Après lui avoir fait nettoyer complétement la peau en dedans avec du sable et des cendres, je l'aidai à la couper, et sa mère à la garnir de bandes. Lorsque cela fut fait, nous posâmes la première moitié sèche sur le dos du patient Turc, qui avait un air tout à fait guerrier et respectable avec cette défense et sous ce harnais; il me parut suffisamment armé pour se battre, même avec une byène.

La camarade Bill trouva peu de plaisir à porter ce costume. Turc, qui ne connaissait

pas le danger de sa nouvelle parure, s'approchait trop de son amie, ou voulait se coucher à côté d'elle; elle s'éloigna en sursaut, et ne savait où se cacher pour se mettre à l'abri des familiarités piquantes de son compagnon. Jack finit sa découpure par la peau de la tête, qu'il étendit sur une racine pour la faire sécher et en fabriquer ensuite un bonnet de sauvage, qui devait effrayer tous nos ennemis, et en attendant nous faire rire.

Pendant notre travail, Ernest et François s'étaient exercés à tirer de l'arc. La soirée s'avançait, et l'ardente chaleur du jour commençait à se calmer, j'invitai toute ma famille à faire une promenade. Enfants, laissez votre travail, leur dis-je; nous allons nous mettre en marche, et, pour finir convenablement cette journée, nous voulons chercher dans la belle nature des traces de la sagesse divine et de la bonté du Créateur : de quel côté porterons-nous nos pas?

FRITZ. Allons à Zeltheim (1), mon père; (1) Demeure sous tente.

nous avons besoin de poudre et de plomb pour éclaircir un peu demain nos petits mangeurs de figues, nous procurer un bon dîner et une provision pour notre hiver.

MA FEMME. Je vote aussi pour Zeltheim, mon beurre est à sa fin, Fritz m'a consommé le reste pour sa tannerie; et ces messieurs, qui prêchent toujours une vie frugale et économique, sont très-contents cependant quand je soigne ma cuisine et que je leur présente un dîner bien apprêté.

ERNEST. Si nous allons à Zeltheim, tâchons d'apporter quelques oies et quelques canards; ils seront très-bien ici dans le ruisseau de Falkenhorst.

JACK. Je me charge de les prendre si on veut m'aider à les porter.

FRANÇOIS. Et moi je remplirai mon mouchoir d'écrevisses au ruisseau des Chakals, nous en mettrons dans celui de Falkenhorst, et peut-être y réussiront-elles fort bien.

LE PÈRE. Vraiment vous me donnez tous de si bonnes raisons, qu'il faut bien vous céder; A Zeltheim donc, j'y consens; mais

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