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LE PÈRE. Bien imaginé, mes petits. Ainsi Jack veut sans doute prendre du tabac sans en avoir, et François veut peut-être semer des louis pour qu'il en croisse?

JACK. Non, je n'aime pas le tabac, et je sais bien que nous n'en avons point; mais je voudrais avoir une jolie boîte pour cacher dedans toutes sortes de charmantes graines, des rouges, des noires luisantes, des violettes, que je trouve ici sur les buissons; si jamais nous revenons en Europe, je les sèmerai dans notre jardin. J'ai aussi trouvé de jolis scarabées et des mouches de toutes couleurs, et je voudrais emporter tout cela.

FRANÇOIS. Et moi je garderai mon argent pour acheter des biscomes; peut-être que, quand ce sera la foire, il viendra ici des marchands. J'en ferai une grande provision pour tout le monde; car c'est bien meilleur et plus tendre que le biscuit que maman nous donne.

LE PÈRE. Quant à la foire et aux marchands de friandises, tu t'en passeras encore longtemps, mon cher petit; mais je te conseille de faire toi-même du biscome; lu sais

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si bien prendre du miel! Le pauvre enfant devint tout rouge. Il y avait quelques jours qu'il avait découvert dans un arbre un essaim d'abeilles et de beaux rayons; il voulut en prendre avec un bâton, tout l'essaim sortit en colère, et fondit sur lui; il fut horriblement piqué au visage, et paya cher sa découverte, qui cependant pouvait devenir fort utile.

Ainsi babillant et badinant, nous arrivâmes au pied de notre château. Nous eûmes encore beaucoup de peine avec la tortue, que je fis mettre sur le dos pour lui ôter de suite son écaille et profiter de son excellente chair. Ma femme doutait que cela fût possible; mais je pris ma hache, je coupai et séparai les deux parties de l'écaille, qui sont liées ensemble par des espèces de cartilages; celle de dessus qu'on nomme carapace, est extrêmement bombée; l'inférieure, ou celle de dessous, est à peu près plate, et s'appelle le plastron.

Quand je les eus séparées, avec assez de peine, je découpai autant de la chair qu'il

TOME II.

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nous en fallait pour un repas; je la posai proprement sur le plastron comme sur un grand plat, et je priai la mère de la faire rôtir ainsi dans sa propre écaille, sans autre assaisonnement que du sel, et je lui promis un deş mets les plus friands et les plus renommés qu'elle éût mangés de sa vie.

Tu me permettras au moins, me dit-elle, d'ôter ce vert qui pend de tous côtés, et qui ne me plaît pas à la vue.

LE PÈRE. Tu as tort, chère amie; ce ne sera pas la première fois que ce qui aura déplu aux yeux plaira au goût; ce vert est la graisse de la tortue, qui a naturellement cette couleur, et qui rendra notre rôti bien plus tendre et plus savoureux; mais si tu crois qu'il y en ait trop, tu peux en ôter et la faire fondre à part, pour t'en servir ensuite pour des soupes, qui seront parfaites. Nous allons saler tout ce que nous voulons conserver; mais tu peux donner aux chiens la tête, les pattes et les entrailles, car il faut que chacun vive. O mon papa! s'écria Jack, je vous en prie, donnez-moi l'écaille.

A moi! à moi!» s'écrièrent-ils tous à la fois. Je leur imposai silence en leur disant qu'elle appartenait de droit à Fritz, puisqu'il l'avait harponnée, et que sans lui elle serait encore au fond de la mer. Mais enfin, voyons, dis-je, ce que chacun de vous voudrait en faire; car ce n'est pas sans raison que vous voulez tous la posséder. ›

ERNEST. Moi, je voudrais m'en faire un excellent bouclier pour me garantir contre les sauvages quand ils viendront nous attaquer.

LE PÈRE. Petit égoïste! je te reconnais bien là; mais je me doute qu'en pareil cas tu la mettrais bravement sur ton dos, et tu te sauverais au plus vite. Et toi, Jack, qu'en ferais-tu ?

JACK. Je m'en ferais un charmant petit bateau qui nous ferait plaisir à tous. Quand j'aurais des pommes de terre, des caratas, ou autre chose à porter à la maison, je les mettrais dedans, et il suivrait le fil de l'eau du

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ruisseau ainsi nos provisions arriveraient ici sans me fatiguer.

LE PÈRE. A la bonne heure; mais un petit radeau, une caisse, peuvent servir au même usage. Et toi, petit François, qu'en veux-lu faire?

FRANÇOIS. Oh! je voudrais me bâtir une petite cabane, et je pensais que cette écaille ferait un superbe toit.

LE PÈRE. Tout cela est fort bon, mes amis, si nous ne voulons que jouer; mais je désirerais que vous pensassiez plus à l'avantage commun qu'à votre sûreté personnelle, à votre commodité, ou enfin à vos passe-temps. Et à quoi M. Fritz, le possesseur légitime de cette écaille, l'a-t-il destinée?

FRITZ. A un bassin, que je placerai à côté de notre ruisseau, pour que ma mère puisse toujours avoir de l'eau propre pour ses besoins journaliers.

LE PÈRE. Bien, fort bien, mon ami; honneur à l'inventeur du bassin! Voilà un usage d'une utilité générale, et qui sera exécuté dès que nous aurons de la terre glaise pour faire à ce réservoir une base solide.

JACK. Ah! ah! Eh bien ! c'est moi qui four

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