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telas que tu m'as apporté hier qui m'a fait dormir si profondément et si longtemps; il me paraît qu'il exerce aussi son influence sur mes quatre fils. En effet, ils avaient beau se frotter les yeux, ils avaient peine à les ouvrir ils bâillaient, s'étendaient, se retournaient et se rendormaient. Allons, allons, debout! m'écriai-je encore une fois ; plus on veut capituler avec la paresse, et plus elle vous retient dans ses lacs; de vaillants garçons comme vous doivent être éveillés au premier appel, et sauter vite et gaiement hors du lit. » Fritz, honteux d'y être resté si tard, fut le premier habillé. Jack le suivit de près, puis François; mais Ernest, toujours paresseux, fut debout le dernier.

«Est-il possible, lui dis-je, mon cher Ernest, qu'à ton âge tu te laisses devancer même par le petit Frnçois?

ERNEST. Ah! papa, c'est si agréable de se rendormir après avoir été réveillé! on sent le sommeil revenir tout doucement, et ses idées se perdre. Je voudrais qu'on me ré

veillât ainsi tous les matins, pour avoir le plaisir de me rendormir.

LE PÈRE. En vérité, voilà un raffinement de paresse dont je ne me doutais pas encore. Si tu prends cette habitude, Ernest, tu deviendras un être efféminé, et tu ne seras propre à rien. Il faut qu'un homme, mème sans être comme nous dans une île déserte, songe aux moyens d'exister sans être à charge à la société; il doit faire avec courage et promptitude ce qui est bien, sans penser à ce qui est commode ou agréable. Celui qui s'abandonne à tout ce qui flatte ses sens devient bientôt la victime de sa coupable complaisance; il est lui-même son plus cruel ennemi. La nature produit des poisons dont la saveur est agréable; mais malheur à ceux qui les goûtent : ils luttent en vain contre les angoisses et la mort. ›

Après cette petite moralité, nous descendimes tous; la prière précéda notre déjeuner, puis nous retournâmes sur le rivage pour achever de décharger le radeau, afin qu'à la marée descendante il fût prêt à rentrer en

mer. Alors j'avais des aides, et je mis peu de temps à ramener à la maison deux cargaisons. Au dernier voyage, la marée commençait déjà à atteindre nos bâtiments; je renvoyai bien vite ma femme et mes trois cadets, et je restai pour attendre, avec Fritz, que nous fussions tout à fait remis à flot; mais ayant vu Jack tourner autour de nous et tarder à suivre sa mère, je compris ce qu'il désirait, et je lui permis de s'embarquer avec nous. Peu après, la marée souleva tout à fait notre bateau, en sorte que nous pouvions déjà ramer. Au lieu de nous diriger vers la baie Sauveur, pour y mettre nos embarcations en sûrelé, je me laissai entrainer par le beau temps, qui nous engagea à nous diriger vers le navire; mais nous ne parvinmes qu'avec beaucoup de peine, malgré un vent de mer très-vif, à atteindre le courant qui devait nous y mener. Lorsque nous arrivâmes, il était beaucoup trop tard pour entreprendre quelque chose d'important, et je ne voulais pas donner à ma femme l'inquiétude d'une autre nuit d'absence. Je

me proposai de prendre seulement à la hâte ce qui se présenterait. Nous parcourûmes donc le vaisseau pour chercher toutes sortes de bagatelles qui pussent être facilement transportées. Jack courait et grimpait partout, ne sachant ce qu'il devait choisir; il arrive bientôt avec grand bruit, traînant une brouette, et se réjouissant beaucoup d'avoir trouvé un véhicule pour transporter commodément les pommes de terre à Falkenhorst; mais Fritz m'apporta l'excellente nouvelle qu'il avait trouvé derrière un enclos de planches, dans le corps du vaisseau, une pinasse (espèce de petit bâtiment dont la proue est carrée) démontée, avec tout son attirail, et même deux canons pour l'armer. J'en fus si enchanté, que je laissai tout le reste pour courir à l'enclos. Mon fils ne s'était pas trompé; mais je pensai qu'il faudrait un terrible travail pour remonter cette machine et la mettre en mer: J'y renonçai pour le moment, et je rassemblai quelques ustensiles de ménage et ce que je trouvai de plus utile, comme une grande chaudière de cuivre,

quelques plateaux de fer, de grandes råpes à tabac, deux pierres à aiguiser, un petit tonneau de poudre à tirer, et un autre plein de pierres à feu, qui me firent grand plaisir. La brouette de Jack ne fut pas oubliée ; j'en pris même encore deux autres, avec quelques courroies pour les mener, et qui se trouvèrent dedans. Tout cela fut vite porté sur le bateau sans nous donner même le temps de manger. Nous nous rembarquâmes promptement pour ne pas être surpris par le vent de côte, qui ne manque jamais de s'élever vers le soir. En nous approchant heureusement du rivage, nous aperçumes avec surprise une troupe de petites figures qui étaient rangées debout sur une longue file au bord de la mer, et qui avaient l'air de nous regarder avec curiosité; elles étaient loutes, vêtues d'un uniforme noir, avec des vestes blanches et de grosses cravates, et laissaient pendre leurs bras négligemment le long du corps; quelquefois cependant elles paraissaient les étendre avec tendresse, comme si elles avaient voulu nous

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