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nous ne prendrons pas notre ancien chemin au bord de la mer; pour varier nos plaisirs, nous en suivrons un autre. Nous remonterons ici notre petit ruisseau jusqu'à la paroi des rochers, nous passerons de là sous son ombre bienfaisante jusqu'à la chute que forme le ruisseau des Chakals: il nous sera facile, j'espère, n'étant point chargés, de le traverser là de pierre en pierre, pour arriver à notre tente; nous reviendrons avec nos provisions par le chemin du Pont de Famille et en côtoyant les bords de la mer: nous aurons alors le soleil au dos, s'il n'est pas couché. Ce nouveau chemin, mes enfants, nous fait espérer de nouvelles découvertes. »

Mon idée fut approuvée, et bientôt tout fut prêt pour se mettre en marche sous ma conduite, Fritz était paré de sa belle ceinture de queue de chat tigré, mais ses étuis n'avaient pu être assez perfectionnés pour les prendre; Jack marchait gravement avec son bonnet de porc-épic sur sa tête, sa ceinture de chakal et ses pistolets; tous portaient une arme et une gibecière, même le petit Fran

TOME II.

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çois avait son arc en main et son carquois d'écorce sur l'épaule; et, comme il était blond et joli, il ressemblait à l'Amour : la mère seule était sans armes, mais elle portait un gros pot à beurre, pour le remplir au magasin. Turc marchait devant nous avec sa cotte d'armes hérissée de pointes, mais il était visiblement intimidé dans cet équipage, et marchait d'un pas tranquille et mesuré. Le singe eut aussi grande envie de nous suivre, et voulut se planter sur sa monture ordinaire, le dos de l'ami Turc. Quand il vit cette formidable selle garnie de dards, il fit quatre sauts en arrière avec la mine la plus plaisante qu'on puisse imaginer; mais il eut bientôt pris son parti et s'élança sur Bill, qui n'avait pas encore sa cuirasse, et s'y cramponna si bien, que la chienne ne put s'en débarrasser; elle se résigna et trotta aussi en avant avec son petit cavalier : il n'y eut pas jusqu'à notre beau flamant qui, frappé du mouvement général de la marche, ne se mit aussi en devoir de nous suivre. Ce bel et bon animal s'apprivoisait tous les jours davantage, et

s'attachait à nous avec une aimable confiance. Les jeunes garçons, enchantés de la manière avec laquelle il venait promener avec nous, le tourmentaient à qui mieux mieux; chacun d'eux voulait l'avoir près de lui; mais le flamant prit le sage parti de venir se mettre sous ma protection et de cheminer gravement à côté de moi.

Le chemin, tout le long du ruisseau, fut d'abord très-agréable à l'ombre des grands arbres; nous avions sous les pieds un moelleux tapis d'une herbe unie et courte. Pour prolonger le plaisir de cette promenade, nous marchions lentementen regardant à droite et à gauche; mes fils faisaient des excursions en avant et souvent échappaient à nos regards. Nous parvinmes ainsi jusqu'au bout du bois. Alors, comme la contrée nous parut moins ouverte, nous voulûmes rassembler notre petit monde, pour aller plus loin en troupe serrée; mais nous les vîmes arriver au grand galop, et cette fois, par extraordinaire, le grave Ernest en avant; il arriva haletant près de moi, plein de joie et d'empressement : il

ne pouvait prononcer un seul mot tant il était essoufflé, mais il me présenta trois petites boules d'un vert très-clair.

Des pommes de terre! des pommes de terre! papa, s'écria-t-il enfin quand il put reprendre sa voix; de la graine de pommes de terre!

Comment! quoi! où les as-tu trouvées? lui demandai-je avec joie; serais-tu effectivement assez heureux pour avoir fait une telle découverte? Enfants, venez tous, voyons donc ces boules, mon fils. A peine osais-je le croire; « Ce serait une si grande bénédiction pour nous! nous serions désormais à l'abri de la faim et sans crainte pour notre avenir. C'est donc toi, mon cher Ernest, qui as eu le bonheur de les trouver ? nous t'en remercions tous.

JACK. Le beau mérite! je les aurais trouvées tout aussi bien que lui si j'avais été à cette place; il n'y a point là de talent!

LA MÈRE. Il y en a encore bien moins à rabaisser ainsi l'excellente découverte de ton frère, et à chercher à diminuer l'obligation

que tu

que nous aimons à lui avoir. Tu m'as fait de la peine par ce propos envieux, Jack; il est fort incertain, je t'assure, lors même aurais passé au milieu de ces pommes de terre, que tu en eusses reconnu le feuillage, toi qui es si léger et si étourdi! Ernest fait plus d'attention à tout ce qu'il voit; et ses découvertes ne sont pas seulement l'effet du hasard, mais de ses observations. Peut-être ne connaissais-tu pas ce petit fruit de la pomme de terre : et qui sait si le désir que nous avons ne nous trompe pas? peut-être qu'il y a d'autres plantes qui produisent de petites boules vert-clair.

FRANÇOIS. Pourquoi les plantes de pommes de terre portent-elles encore du fruit en haut, puisqu'elles en ont aussi en bas à la racine?

ERNEST. Petit imbécile ! est-ce que tu crois aussi que les racines fleurissent? ne sais-tu donc pas que la pomme de terre n'est que la racine de la plante, ou du moins une partie de la racine, et non un fruit? que les fruits, dans toutes les plantes, sont le réservoir des

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