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embrasser ou nous faire un signe d'amitié.

« Je crois, en verité, dis-je à mes enfants qui regardaient cette apparition de tous leurs yeux, que nous sommes dans le pays des Pygmées, qui nous ont découverts, et veulent former avec nous une alliance fraternelle.

JACK. Oh! non, papa; ce sont sûrement des Lilliputiens, quoiqu'ils soient un peu plus gros que ceux dont j'ai lu la description dans les Voyages de Gulliver.

LE PÈRE. Tu crois donc que ces voyages sont vrais, qu'il y a vraiment une île de Lilliput habitée par des hommes en miniature?

JACK. Mais Gulliver le dit. Il a aussi trouvé des hommes d'une grandeur extraordinaire, et puis une île habitée par des chevaux...

LE PÈRE. Et dans toutes ces trouvailles, il n'y a de vrai que la riche imagination de l'auteur, qui a pris ce moyen pour dire de grandes vérités sous le voile de l'allégorie. Sais-tu ce que c'est, Jack, qu'une allégo

rie?

JACK. C'est, je crois, à peu près comme une parabole.

LE PÈRE. Oui, elles ont beaucoup de rapport.

JACK. Et les Pygmées dont vous parliez, est-ce qu'il y en a par le monde?

LE PÈRE. Pas plus que des Lilliputiens, et c'est aussi une fiction poétique, ou une erreur de quelques anciens navigateurs, qui auront pris des troupes de singes pour de petits hommes.

FRITZ. Je crois qu'il en est de même de ces petits hommes qui nous tendent les bras; je commence à distinguer qu'ils ont des becs, et que leurs bras sont de courtes ailes pendantes quels drôles d'oiseaux!

LE PÈRE. Tu as raison, mon fils, ce sont des pingoins ou manchots (1). C'est une es

(1) Le pingoin est un oiseau du genre des oies, qui se trouve vers le détroit de Magellan; il est de la grosseur d'une poule d'Inde; il a les plumes du dos noires, et celles du ventre blanches. Il a le cou ovale, gros, et entouré d'un collier de plumes blanches. Sa peau est extrêmement épaisse. Il n'a point d'ailes proprement

pèce d'oiseaux dans le genre des boabies. Ernest en tua un peu après notre arrivée. Ce sont d'excellents nageurs; mais ils sont incapables de voler, et se trouvent si embarrassés sur terre, qu'ils ne peuvent éviter aucun danger: c'est une parfaite chasse pour les paresseux. ›

Tout en causant j'avais dirigé doucement le bateau du côté du rivage pour jouir plus

dites, mais seulement deux ailerons, qui paraissent comme du cuir et pendent des deux côtés en façon de petits bras; ils n'ont de plumes que dans le haut, trèscourtes, et mélangées de blánc et de noir. Ces ailerons leur servent à nager comme deux petites rames, mais pas du tout à voler. Ils ont la queue courte, les pieds noirs et plats; leur bec est étroit, un peu plus grand que celui du corbeau; ils marchent la tête droite et élevée, laissant pendre leurs ailerons des deux côtés comme si c'étaient des bras; ils tiennent aussi leur corps droit, marchent volontiers en troupes, et se rangent en files au bord de la mer, en sorte qu'à les voir à quelque distance on les prendrait pour de petits hommes. Leur chair est d'assez bon goût; mais leur peau est si dure, qu'on aurait de la peine à les tuer s'ils étaient moins stupides; ils se laissent prendre à la main, et le moindre coup les étourdit et les fait tomber. (Voyez Valmont de Bomare.)

longtemps de ce singulier spectacle; mais à peine avions-nous atteint un bas-fond, que mon étourdi de Jack sauta hors de son tonneau, et marcha, en ayant de l'eau au moins jusqu'à la ceinture, vers la terre; avant que les pingoins pussent s'en douter, il commença à s'escrimer sur eux avec son bâton, de manière à ce qu'il en renversa au moins une demi-douzaine. Ils n'étaient point morts, mais abasourdis; les autres, se voyant accueillis avec si peu de politesse, se précipitèrent dans la mer, plongèrent aussitôt, et disparurent à nos yeux.

Fritz murmura beaucoup de ce que son frère les avait ainsi épouvantés et mis en fuite, avant qu'il eût eu le temps de tirer dessus; mais je me moquai de cet éternel tireur, qui voulait employer sa poudre contre des animaux qui se laissent prendre avec la main, et ne font nulle résistance. Je tançai Jack aussi de s'être jeté dans l'eau au risque de se noyer. Pendant que je grondais, les oiseaux, qui n'avaient été qu'étourdis, se relevèrent peu à peu, se mirent sur leurs

jambes, et commencèrent à marcher en dandinant avec gravité, de la manière la plus plaisante. Je ne voulais pas cependant quela chasse de Jack fut perdue; je les saisis par le cou, je leur attachai les jambes avec des roseaux, en prenant bien garde de ne pas les blesser, et nous les couchâmes sur le sable, en attendant que nous eussions débarqué nos trésors. Mais le soleil baissait, et désespérant d'en venir à bout avant la nuit. close, chacun de nous se borna à remplir une brouette, afin de rapporter au moins quelque chose au logis. Je demandai qu'on prit d'abord les râpes à tabac et les plateaux de fer; nous chargeâmes aussi nos pingoins, tant morts que vivants, et nous nous mîmes promptement en route. En approchant de Falkenhorst, j'entendis avec plaisir que nos chiens vigilants annonçaient, par de forts aboiements, l'approche de quelqu'un; mais dès qu'ils nous eurent découverts, ils furent les premiers à venir au-devant de nous, et à nous accueilllir avec de grandes démonstrations de joie la manière dont il l'exprimè

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