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ou de compression; celui où son extrémité touche à la racine, serait sans doute le point qui soulève, si la racine n'était pas trop forte pour céder à la pointe du levier; mais alors la résistance sur le point de compression ou d'appui est plus forte, et presse parfaitement, comme tu le vois, notre farine de manioc. Les nègres ont cependant une autre manière, mais qui, pour nous, aurait été beaucoup plus longue ils tressent avec de l'écorce. d'arbre des espèces de paniers assez longs; ils les remplissent de manioc, tellement serré, qu'ils se raccourcissent et deviennent larges; ils les suspendent à de fortes branches d'arbres, attachent au bas des pierres qui tirent ces paniers en long, et compriment ainsi le manioc, dont le jus coule à travers le treillage.

LA MERE. Est-ce qu'on ne peut rien faire de ce jus?

LE PÈRE. Si fait ; les sauvages le font cuire et y mêlent beaucoup de poivre, et quelquefois du frai d'écrevisse de mer, puis le mangent comme un mets excellent. Les Européens

le laissent reposer dans des vases jusqu'à ce qu'il forme un dépôt ; ils décantent ensuite le liquide, lavent ce dépôt avec de l'eau fraìche, puis le font sécher au soleil; ils obtiennent de cette manière un amidon très-fin, dont on fait de l'empois pour le linge au reste, la pomme de terre renferme une fécule qui peut servir au même usage; mais elle est moins nourrissante que le manioc.

LA MERE. Et dis-moi, je te prie, faut-il absolument employer tout ce manioc à la fois? Dans ce cas, nous ne pourrons faire autre chose de toute la journée.

LE PÈRE. Pas du tout, ma chère amie: quand cette farine est bien séchée, on peut la mettre dans des tonneaux, et lorsqu'elle est bien serrée, elle se conserve des années; mais tu verras que ce gros tas se réduira, en cuisant, à bien peu de chose, et qu'il ne nous en restera guère.

FRITZ. Papa, il ne coule plus une seule goutte de suc; ne pourrions-nous pas faire le pain tout de suite?

LE PÈRE. Je le veux bien; mais il serait

plus prudent de ne faire ce matin qu'un petit gâteau d'essai pour le singe et les poules, et d'attendre à tantôt pour faire notre provision de pain, lorsque nous serons assurés que cet aliment ne peut nous faire aucun mal.,

Notre sac fut ouvert; on prit quelques poignées de la farine, qui était en effet assez sèche; on remua le reste avec un bâton, et on le mit sous la presse; on établit ensuite une de nos plaques en fer, qui était ronde et un peu convexe, sur des chenets de pierres ; on alluma dessous un feu ardent, et dès qu'elle fut échauffée on étendit dessus de la farine délayée dans un peu d'eau avec une spatule de bois. Dès que le gâteau commença à jaunir par-dessous, on le retourna pour le faire cuire de l'autre côté.

ERNEST. Ah! que cela a bonne odeur ! C'est bien dommage que nous ne puissions de suite manger de ce bon pain tout chaud!

JACK. Pourquoi donc pas ? J'en mangerais sans la moindre peur ; et toi aussi, François, 'n'est-ce pas?

TOME II.

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LE PÈRE. Oh! oh! qu'est donc devenue cette peur terrible d'être empoisonné, qui t'a fait jeter la râpe loin de toi? elle cède à présent à la gourmandise. Je crois bien qu'il ne vous ferait aucun mal, mais il vaut mieux attendre à ce soir; nous ne voulons pas même risquer de faire mourir toutes nos poules; nous n'en donnerons qu'à une ou deux et à maître Bertrand; ce sera le premier service qu'il nous aura rendu. ›

Dès que le gâteau fut refroidi, on en émietta un morceau qui fut jeté à quelques poules; on en donna un autre au singe, qui le rongea avec un plaisir extrême, et, dans sa joie, fit de si plaisantes grimaces, que les enfants furent jaloux de ne pouvoir se régaler comme lui.

FRITZ. A présent, je voudrais savoir comment font les sauvages pour râper leur farine; car bien sûrement ils n'ont point de râpes comme nous. Est-ce qu'ils nomment aussi leurs gâteaux du pain?

LE PÈRE. Les sauvages n'ayant point de pain n'ont point de mot dans leur langue

pour le désigner. Aux Antilles, le pain de manioc se nomme cassave. Les sauvages se font des espèces de râpes avec des pierres aiguës ou des coquillages, ou lorsqu'ils ont des clous, dont ils font grand cas, en les plantant sur des bouts de planches. A présent, bonne mère, donne-moi vite à dîner; tu feras ensuite la boulangère, si du moins nos dégustateurs n'ont point de coliques ou d'étourdissements.

FRITZ. Est-ce donc là le seul effet des poisons, mon père?

LE PÈRE. Ce sont du moins les plus ordinaires; il y en a aussi qui engourdissent et endorment, tels que l'opium pris à trop forte dose, la ciguë, etc., etc. Les uns sont acres et rongeurs, et attaquent les intestins et l'estomac, tels que l'arsenic, le sublimé et les champignons vénéneux: si, dans ces cas-là, on n'administre pas de prompts secours, la machine humaine s'arrête, se désorganise, et le malade meurt. A cette occasion, je veux, mes chers enfants, vous prévenir contre une espèce de fruit excessivement

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