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d'être du voyage, Ernest surtout, qui n'était pas encore retourné au vaisseau. Nous étions tous bien armés et pourvus de pommes de terre bouillies et de cassave. Nous nous rendimes d'abord à la baie Sauveur, où nous arrivâmes sans événement: là, nous nous revêtîmes prudemment de nos scaphandres, ou corselets de liége; nous donnâmes quelque nourriture aux oies et aux canards qui y séjournaient, puis nous sautâmes gaiement dans notre bateau de cuves; nous attachâmes le radeau derrière, et nous commençâmes notre navigation, non sans crainte de ne plus retrouver le vaisseau; mais il était encore ferme entre les rochers. Notre premier soin fut de charger notre embarcation de diverses choses, afin de ne pas retourner chez nous sans butin; après quoi nous visitâmes encore la pinasse. Deux objets me paraissaient soumis à des obstacles insurmontables: l'un était l'endroit où se trouvait la pinasse; et l'autre, sa grandeur et son poids. L'endroit dans lequel elle était, en arrière de l'intérieur du vaisseau, s'appuyait contre

la paroi qui touchait à la mer, et directement dessous la cabine des officiers. Plusieurs parois intérieures séparaient cet enclos de notre abordage ordinaire, au milieu du bâtiment; il n'y avait pas moitié assez de place dans cette espèce de cabinet pour y remonter la pinasse, en assortir toutes les pièces, et aucune ouverture pour la faire sortir de là et la lancer, comme notre bateau de cuves. Enfin, les pièces séparées de cette chaloupe étaient trop pesantes pour qu'il nous fût possible, même avec toutes nos forces rassemblées, de les transporter dans un lieu plus commode. Qu'y avait-il à faire? quel parti pouvais-je prendre? je me frottai le front et je restai assis à réfléchir, tandis que mes enfants parcouraient le vaisseau de tous côtés, et portaient sur le radeau tout ce qu'ils pouvaient arracher.

Le cabinet de la pinasse était éclairé par quelques fentes à la paroi latérale du vaisseau, qui y laissaient pénétrer assez de lumière pour qu'on pût s'y reconnaître, après y être resté quelques instants; je remarquai

avec plaisir que toutes les pièces de la pinasse étaient arrangées avec tant d'intelligence, et si bien numérotées, que je pouvais me flatter, sans trop de présomption, de les rassembler et de reconstruire le bâtiment, si je voulais y mettre le temps nécessaire, et commencer par me procurer une plus grande place. C'est à quoi je me décidai, et je commençai de suite à y travailler; il est vrai que l'ouvrage allait si lentement, que nous aurions perdu courage, si le désir de posséder une exellente chaloupe, facile à gouverner, neuve, parfaitement sûre, qui pouvait un jour servir à notre délivrance, n'avait à chaque instant ranimé nos forces.

Cependant le soir s'approchait sans que nous eussions beaucoup avancé; il fallait songer à la promesse faite à la bonne mère, et à notre retour, que nous exécutâmes heureusement. En abordant à la baie Sauveur, nous eùmes le grand plaisir d'y trouver ma femme et le petit François, qui avaient employé cette journée à faire toutes les dispositions nécessaires pour établir notre domicile

à Zeltheim, pendant que nous avions à travailler sur le vaisseau, afin que notre trajet ne fût pas aussi long, et que nous fussions toujours en vue les uns des autres. Cette attention de ma bonne femme me toucha vivement; je ne pouvais assez lui témoigner ma reconnaissance, d'autant plus que je savais qu'elle n'aimait pas ce séjour; je me trouvais trop heureux de pouvoir la récompenser de ce sacrifice volontaire en lui présentant la cargaison considérable de notre radeau, que je savais devoir lui plaire. J'étalai à ses yeux deux tonnes de beurre salé, trois de farine, quelques sachets de céréales et de riz, et une foule d'autres objets utiles dans le ménage : tout cela fut transporté dans notre magasin, et elle s'en occupa avec grand plaisir.

Nous passâmes toute une semaine à reconstruire notre pinasse. Tous les matins régu lièrement je partais avec mes trois fils aînés, et chaque soir nous revenions chargés de butin; nous nous y accoutumâmes si bien, qu'à la fin la bonne mère nous voyait partir

sans souci, et nous la quittions sans inquiétude; elle eut même le courage de retourner plusieurs fois seule à Falkenhorst avec son petit, pour avoir soin des volailles qu'elle y avait laissées et pour porter des pommes de terre. Lorsque le soir nous réunissait, nous avions mille choses à nous raconter mutuellement; nous éprouvions une nouvelle jouissance à nous revoir, à nous retrouver ensemble, et nous nous régalions avec grand appétit des mets que notre excellente ménagère avait soin de nous apprèter.

Enfin la pinasse fut achevée et mise en état d'être lancée en mer; il ne s'agissait plus que de la faire sortir du vaisseau : elle était jolie, élégante même: elle avait sur la proue un petit tillac, des mâts et des voiles comme un brigantin; elle paraissait bon voilier, parce qu'elle était légère et ne prenait pas beaucoup d'eau. Nous avions calfeutré et garni d'étoupes toutes les jointures, afin que tout fût en ordre; nous avions pris même soin du superflu; nous y avions placé deux petits canons du calibre d'une livre sur le derrière

TOME II.

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