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Patience, mes enfants, patience, s'il est possible voilà le plus utile des instruments; à présent, voyons celui-ci. Vous saurez que nous aurons ici les armes d'une peuplade vaillante et très-habile à la chasse, les fameux Patagons, qui habitent sur la pointe méridionale de l'Amérique; mais à la place des boules, qu'ils n'ont pas, ils attachent deux pierres solides et pesantes aux deux bouts d'une courroie plus longue que cette ficelle. Ils sont tous armés de ce simple instrument, dont ils se servent avec une habileté incroyable. S'ils veulent tuer ou blesser un ennemi ou un animal, ils lancent de toutes leurs forces une des pierres contre l'objet qu'ils veulent frapper, et la retirent aussitôt par le moyen de l'autre qu'ils tiennent dans l'autre main, pour porter un second coup, s'ils le trouvent nécessaire; mais s'ils veulent prendre un animal en vie sans le blesser, ils lancent, avec une adresse singulière, une des pierres autour de la tête qui se trouve ainsi tout à coup serrée. Par la manière dont la pierre est

jetée, la courroie fait un tour ou deux autour du cou; ilsjettent ensuite contre l'objet la seconde pierre qu'ils tiennent en main, et avec une telle certitude, qu'ils ne manquent presque jamais leur coup, et qu'ils en entortillent ainsi une bête, même au galop. Les pierres continuent à tourner et à faire tourla courroie, et lorsqu'elle arrive, soit aux pieds, soit au cou de l'animal, elle l'arrête avec la force centrifuge, tellement que ces pauvres bêtes ne peuvent plus avancer, et tombent au pouvoir du chasseur. ›

Cette description de la chasse des Patagons intéressa beaucoup mes fils; il me fallut faire de suite l'essai de mon instrument contre un petit tronc d'arbre que l'on me montra dans quelque éloignement. Mon jet me réussit fort bien, et ma ficelle avec mes balles entoura si bien le tronc, que l'habileté des chasseurs patagons fut tout à fait prouvée. Chacun de mes enfants demanda aussi à essayer, et Fritz devint bientôt maître passé dans cet exercice, ainsi que dans tout ce qui demandait de la force et de l'adresse;

il était non-seulement le plus agile de mes garçons, mais, comme le plus âgé, il avait plus de force et son intelligence était plus développée. L'esprit est d'un plus grand secours qu'on ne pense dans les exercices du corps.

Le lendemain, je remarquai en me levant, de mon château aérien qui dominait sur la mer, qu'elle était fortement agitée, et que le vent la soulevait avec violence : je me réjouis beaucoup d'être en sûreté chez moi, et d'avoir destiné cette journée à rester sur la terre ferme. Quoique ce vent n'eût rien été pour des navigateurs habiles, il pouvait être aussi dangereux pour nous qu'une tempête. Je dis donc à ma femme que je ne la quitterais pas, et que je serais à ses ordres pour faire ce qu'elle jugerait bon et utile. Elle me montra ce qu'il y avait de nouveau à Falkenhorst, et ce qu'elle y avait fait pendant mon absence je vis d'abord un bon tonnelet de ramiers et de grives à demi-rôtis, et mis dans du beurre pour les conserver. C'était là sa chasse; elle les avait pris au cerceau dans les branches du figuier. Plus loin, elle

me montra une paire de jeunes pigeons privés, qui étaient nés sur l'arbre, qui voltigeaient déjà, tandis que la mère était de nouveau sur le nid pour couver ses œufs. Nous arrivâmes enfin au paquet des arbres fruitiers, qui véritablement demandaient mes soins et paraissaient à demi secs. Je me mis de suite en devoir de prévenir un malheur. J'avais promis, la veille, à mes enfants, que nous irions dans le bois des arbres à calebasses, pour nous y pourvoir de vases de différentes grandeurs, dont nous avions besoin pour mettre nos provisions; ils se faisaient un grand plaisir de cette course; mais je voulus, avant de l'entreprendre, qu'ils m'aidassent à mettre en terre nos jeunes arbres, ce qui fut bientôt éxécuté,animés comme nous l'étions par le désir de faire la course projetée. Cependant, lorsque nous eûmes fini, le jour me parut trop avancé pour commencer ce voyage, dont la mère et le petit François voulaient être aussi. Il y avait eu tant de préparatifs à faire, que le soir nous surprit; nous y renonçâmes donc jusqu'au

TOME II.

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lendemain, et nous résolùmes que nous nous mettrions en marche de grand matin. Avec le lever du soleil, tout mon monde fut sur pied, et les derniers arrangements pour le départ furent faits avec une promptitude extraordinaire. L'âne, attelé à la claie, jouait cette fois le rôle principal; il était destiné à ramener à la maison notre vaisselle de courges, et à porter notre petit François, s'il se sentait fatigué; en attendant il fut chargé de nos provisions de bouche, d'une petite bouteille de vin de Canarie, de poudre et de plomb. Turc, revêtu de sa cotte d'armes, ouvrait, comme de coutume, la marche, et formait l'avant-garde; venaient ensuite mes trois fils aînés, équipés en chasseurs; puis la mère, tenant par la main le petit cadet; et Fritz, pour l'arrière-garde, portant le singe sur son dos mes fils avaient donné le nom de Knips à cet animal. J'avais pris cette fois un fusil double de chasse chargé d'un côté de grenaille pour le gibier, de l'autre d'une balle de plomb pour notre défense.

Ainsi nous partimes gaiement et de bonne.

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