Images de page
PDF
ePub

de peine; lorsqu'il est parvenu dans le chou ou faisceau de feuilles, il s'y cache et casse alors avec ses pinces, qui sont très-fortes, toutes les queues des grappes de coco; il les sépare et les fait tomber du haut de l'arbre. Souvent elles se brisent; alors le crabe redescend, et trouve en bas de quoi se régaler. On prétend que leurs pinces sont assez fortes pour casser les noix ; j'en doute, et je crois plutôt qu'ils en sucent le lait par. le moyen des trous que les cocos ont près de la queue. Ces animaux ne sont dangereux que lorsqu'on est à portée de leurs pinces, ou qu'ils sont en bandes nombreuses, ce qui n'est pas rare. Au moment où nous le vîmes, le petit François eut peur et se cacha derrière sa mère; Ernest même reculait et cherchait un refuge; Jack leva, en menaçant, la crosse de son fusil, et nous regardions tous d'un œil curieux l'arbre que le singulier animal descendait lentement. A l'instant où il fut en bas, le courageux Jack tapa dessus avec son fusil, et le manqua. Le crabe, se voyant attaqué, se retourna, et vint,

TOME II.

17

les pinces ouvertes, contre son adversaire. Mon petit homme se défendit vaillamment, ne recula point; mais aucun coup ne lui réussit: le crabe savait à merveille les éviter, et je vis le moment où les forces du petit garçon allaient s'épuiser inutilement. Cepen dant je voulus laisser un libre cours au combat; je savais qu'il y avait peu de danger pour l'enfant, et qu'il finirait par être vainqueur, s'il s'y prenait lestement et avec prudence; et ce duel d'un petit garçon avec une grosse écrevisse était vraiment la chose du monde la plus plaisante.

Enfin, fatigué de ses coups infructueux, et se souvenant apparemment que les pinces d'écrevisse de mer ne font pas de bien aux mollets, Jack, serré de près par son ennemi, et craignant d'être pincé, fit un demi-tour à droite et prit le large. Ses frères firent alors de grands éclats de rire, et s'écrièrent: « Le sorcier t'a vaincu, il t'a mis en fuite, pauvre Jack; aussi pourquoi te battre avec un sorcier? Alors Jack, piqué au jeu, s'arrêta, jeta par terre son fusil, sa gibecière, ôta

vivement son habit, l'étendit au-devant de lui, et courut rapidement contre son adversaire, qui s'avançait en agitant ses redoutables pinces. Sans balancer, Jack lui jeta son vêtement sur la tête, l'enveloppa dedans, et frappant alors sur le paquet: « Je t'arrangerai bien, vilain sorcier, lui disait-il, et je t'apprendrai à me saluer de tes cornes. »

Je riais si fort, que je ne pouvais aller à son secours, et je voyais le paquet se soulever: l'invulnérable animal était encore plein de vie et de colère. Je pris alors ma hache, et j'en donnai deux ou trois coups sur l'habit; ils me parurent suffisants. Je le soulevai, et je trouvai en effet l'horrible bête morte, mais conservant encore son attitude menaçante.

Quelle épouvantable créature! disait Jack en l'examinant; mais bien loin que sa laideur m'ait effrayé, elle m'a donné du courage et de l'ardeur on est bien aise de délivrer la terre d'un tel monstre.

Tu aurais bien à faire, mon petit Hercule, dis-je en lui frappant sur l'épaule;

c'est l'animal le plus commun sur les bords de la mer; on en voit par millions de différentes espèces, toutes plus laides les unes que les autres; celle-ci, si je ne me trompe, est distinguée par le nom d'écrevisse à poëte. Sais-tu bien, mon cher Jack, que j'ai grande envie de créer un ordre en ta faveur, et de te faire chevalier de l'écrevisse? Voilà le second combat singulier que tu as avec elles. Nous ne parlerons pas du premier, où tu fus pris par par la jambe; mais cette fois tu as vraiment montré du courage et de la présence d'esprit. L'idée de jeter ton habit était très-bien imaginée; je doute que tu en fusses venu à bout autrement. Le grand crabe est un animal assez redoutable, et il faut que ceux-ci soient bien forts pour ouvrir des noix de coco; ainsi tu n'avais point à faire à un ennemi méprisable; mais la prudence humaine et le raisonnement donnent à l'homme la victoire sur les bêtes les plus dangereuses.

JACK. Mais, papa, peut-on manger les crabes? ils sont si laids!

LE PÈRE. L'habitude fait tout surmonter.

L'écrevisse est affreuse aussi, et se sert sur les tables les plus délicates; le crabe est le mets favori des esclaves nègres dans les Antilles, et souvent de leurs maîtres. Je crois que ce doit être une viande indigeste et dure; mais nous en ferons l'essai à dîner.

Je chargeai sur la claie le crabe et les noix de coco qu'il nous avait procurées, et nous nous remîmes en marche. Peu à peu le bois s'épaissit; nous eûmes assez de peine à le traverser; il fallut souvent me servir de la hache pour ouvrir un passage à l'âne au travers des broussailles. La chaleur augmentait aussi, et nous étions tous altérés, lorsque Ernest, qui faisait toujours des découvertes utiles, en fit par hasard une qui venait à souhait dans ce moment-là. Il était, comme on sait, grand amateur de l'histoire naturelle, et cueillait, chemin faisant, les plantes qu'il ne connaissait pas pour les examiner. Il trouva une espèce de tige mince et assez haute, qui croissait au pied des arbres, et qui souvent entravait notre marche. Avec son couteau il en coupa, et fut bien surpris, au

« PrécédentContinuer »