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beaux fruits; plusieurs étaient déjà secs sur l'arbre, en sorte qu'on pouvait s'en servir d'abord; mais il y en eut aussi beaucoup de cassés en tombant, et de peu mûrs qui furent jetés comme inutiles. Nous commençâmes tous à couper, à scier, à creuser, à sculpter: c'était un plaisir réel pour moi de voir l'activité de notre fabrique de porcelaine; c'était à qui déploierait les ressources de son imagination. Pour ma part, je fis un très-joli panier à œufs avec une calebasse entière, en laissant un arc dans la partie supérieure qui formait l'anse du panier. Je fis ensuite un certain nombre de vases à lait avec leurs couvercles, et des cuillers pour lever la crème. Je fis aussi des gourdes ou bouteilles pour l'eau, et c'est ce qui me donna le plus de peine: il fallait vider la courge par une petite ouverture de la grosseur d'un doigt, pratiquée au-dessus; je fus obligé, après avoir détaché l'intérieur au moyen d'un bâton, de le faire sortir avec de la grenaille et de l'eau; ensuite, pour contenter ma femme, nous lui fimes une pro

vision de jolies assiettes plates. Fritz et Jack se chargèrent des ruches, des nids de pigeons et de poules. On prit pour cela les plus grosses calebasses, où l'on fit au-devant une ouverture proportionnée à l'animal qui devait l'habiter; ils étaient si jolis, que François s'affligeait de n'être pas un peu plus petit pour en avoir une à son usage et pour sa demeure. Les nids de pigeons furent destinés à être attachés aux branches de notre arbre; ceux pour les poules, les canards et les oies, devaient être placés entre les racines en guise de poulaillers, ou vers les bords du ruisseau. Lorsque les choses essentielles furent achevées, je leur permis de faire un plat pour mettre cuire le crabe, ce qui fut bientôt exécuté. Mais il leur manquait de l'eau ; il ne croissait plus là de nos bonnes plantes à fontaine, c'est ainsi que nous les avions nommées. Mes enfants me prièrent d'aller avec eux chercher de l'eau, n'osant pas se hasarder seuls plus avant dans le bois.

Il fallut donc me décider à être leur com

pagnon; Ernest s'offrit cependant avec beaucoup de zèle pour me remplacer. Il n'avait pu réussir à la fabrication de la porcelaine; il cassait plus de la moitié des pièces qu'il entreprenait, et, pour réparer sa maladresse, il marchait en avant, et cherchait de tous côtés pour découvrir de l'eau ou quelque autre chose d'utile. Bientôt je l'entendis crier très-fort en revenant à nous d'un air effrayé:‹ Venez vite, mon père, me ditil: un gros cochon sauvage! Oh! comme il m'a fait peur! Je l'ai entendu grogner tout près de moi : il est ensuite allé dans le bois, où on l'entend encore.

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Holà! dis-je aux autres; à la piste! à la piste! appelons les chiens; c'est cela qui serait une excellente capture! Holà! Turc, Bill! Ils arrivèrent au galop. Ernest fut le conducteur, et nous mena à la place où le sanglier l'avait salué; mais nous n'y trouvâmes qu'un terrain garni de pommes de terre, dont quelques-unes avaient été fouillées sans doute par l'animal. L'ardeur pour la chasse s'était un peu ralentie chez Jack et

TOME II.

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Ernest, au mot de sanglier; ils se mirent à ramasser les pommes de terre, et nous laissèrent, Fritz et moi, aller sur la trace des chiens ceux-ci eurent bientôt atteint le fuyard. Nous entendimes leurs aboiements, et peu après des grognements épouvantables qui venaient du même côté. Nous nous avançâmes avec prudence au pas de charge, et tenant nos fusils en avant, prêts à tirer ensemble dès que nous serions à portée de la bête formidable. Bientôt nous eûmes le plaisir ́de voir nos deux braves dogues à droite et à gauche d'un animal énorme dont ils te naient les oreilles entre les dents, et qui n'était point un sanglier, comme je l'avais cru d'abord sur le rapport d'Ernest, mais un vrai porc, qui, à notre arrivée, paraissait plutôt nous demander secours et délivrance, qu'avoir l'envie de nous attaquer. Contre notre attente, nous perdimes aussi, Fritz et moi, le goût de la chasse, car nous reconnûmes bientôt, dans le prétendu sanglier, notre laie qui s'était évadée. Après un moment de chagrin et de surprise, nous ne

pùmes retenir un éclat de rire, et nous nous empressâmes de débarrasser notre bête domestique des dents de ses deux antagonistes; ses horribles cris retentissaient dans le bois, et attirèrent près de nous les glaneurs de pommes de terre. Alors commença une petite guerre de railleries réciproques: Fritz se moquait de leur ardeur de chasse, qui s'était bornée à ramasser des pommes de terre, et Jack et Ernest le plaisantaient sur le sanglier domestique, et prétendirent qu'ils en avaient eu l'idée en entendant son grognement. Tu l'avais pris cependant pour un cochon sauvage, dit Fritz à Ernest, toi qui l'avais vu. Je ne sais ce qu'Ernest aurait répondu; l'attention de tous fut attirée sur une espèce de petite pomme de terre répandue autour de nous dans l'herbe, et qui tombait de plusieurs arbres auxquels il en pendait encore beaucoup. Notre sanglier s'en régalait pour se consoler de la peur et du mal que nos chiens lui avaient faits, et en avalait en quantité.

Ces fruits étaient fort jolis et colorés:

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