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prochèrent aussi, et voulurent le serrer et l'étrangler; mais je le leur défendis, ne voulant pas faire souffrir ce pauvre animal. Je ne lui avais jeté le lacet que dans le cas où la manière très-douce de le tuer, dont je voulais faire l'expérience, n'eût pas réussi : alors j'aurais eu recours au lacet pour me défendre; mais il n'en fut pas besoin. Toujours sifflant mes plus jolies mélodies, je pris un moment favorable pour enfoncer ma gaule dans une de ses narines; le sang en coula avec abondance, et termina bientôt sa vie, sans qu'il eût donné aucun signe de douleur; au contraire, il paraissait encore écouter la musique avec plaisir.

Dès qu'il fut mort, je permis alors à mes fils d'approcher et de serrer le lacet, qui nous fut très-utile pour le tirer au bas de la grosse pierre où il s'était posté. Mes enfants s'extasiaient du moyen dont je m'étais servi pour le tuer sans le faire souffrir. « Il n'y a pas grand mérite à cela, leur dis-je; j'ai lu souvent dans les relations des voyageurs la description de cette chasse, très-connue aux

Indes occidentales. Maintenant, voyons comment nous emporterons notre lourd et précieux butin. Après y avoir bien pensé, il fallut me décider à le charger sur mes épaules; et ma tournure, ayant sur le dos cette sigulière bête dont la queue pendait au loin, ne fut pas ce qui amusa le moins mes enfants; ils la portèrent tous à l'instar des pages qui suivent un prince. Cela me soulagea beaucoup, et me donna l'air d'un vieil empereur chinois, revêtu d'un manteau royal superbe et très-extraordinaire; les couleurs changeantes du lézard brillaient au soleil comme des pierreries.

Nous étions déjà assez avancés sur notre route, lorsque nous entendîmes un appel lamentable de ma femme et les pleurs du petit François: notre longue absence leur avait donné une extrême inquiétude; nous avions oublié de les avertir de notre approche par quelques coups de fusil, n'ayant pas eu l'occasion d'en tirer un seul, et déjà ils nous croyaient perdus. Mais aussitôt que nos voix retentirent en chant d'allégresse,

leurs lamentations se changèrent en cris de joie, et bientôt nous fûmes tous rassemblés sous les arbres à calebasses, et nous racontâmes notre excursion à la bonne mère, après avoir étendu à ses pieds l'ennemi vaincu, ce qui lui fit d'abord une peur horrible, et la divertit ensuite quand je lui racontai la ressemblance que Jack avait trouvée entre elle et le lézard. Nous eûmes tant de choses à lui raconter, que nous oubliâmes notre soif; elle fut cependant affligée que nous n'eussions pas trouvé d'eau, mais il fallut bien aussi nous le pardonner. Mes fils avaient sorti de leur poche les pommes inconnues qu'ils avaient ramassées; elles étaient dans l'herbe à côté de nous; notre Knips les eut bientôt flairées, et, suivant sa bonne coutume, il vint furtivement en voler et s'en régala avec avidité; j'en jetai aussi une ou deux à la poule outarde, qui les mangea sans hésiter. Convaincu alors que ce n'était pas du poison, je permis aux enfants, qui les regardaient avec envie, de s'en régaler aussi; je leur montrai l'exemple: nous les

trouvâmes très-bonnes, et j'eus le soupçon bien fondé que ce pouvait être des goyaves, ou espèce de fruit assez estimé dans ces parages. L'arbre qui les porte a quelquefois vingt pieds de hauteur; mais sans doute que ceux qui nous avaient fourni nos pommes étaient encore très-jeunes. Ils croissent dans une telle abondance, que dans les pays habités on est obligé de les extirper, pour qu'ils n'envahissent pas tout le terrain.

Cette friandise nous avait un peu désaltérés; mais notre faim n'en était qu'augmentée, et comme nous n'avions pas le temps d'apprêter notre yguana, nous fumes obligés de nous contenter des provisions froides que nous avions apportées avec nous; mais au dessert nous eùmes quelques excellentes pommes de terre cuites sous les cendres, où mes fils les avaient mises en arrivant.

A peine fùmes-nous fortifiés et ranimés par ce repas, que la mère insista vivement pour reprendre le chemin de notre demeure, avant que la nuit fût tout à fait noire. En effet, le jour me parut tellement avancé,

que je me décidai à ne pas ramener avec nous la claie, qui était déjà si chargée que l'âne n'aurait pu la traîner que très-lentement, d'autant mieux que je voulais prendre un chemin plus court à travers les buissons, qui auraient entravé sa marche. Je résolus donc de la laisser jusqu'au lendemain, que je viendrais la chercher. Je me contentai de ne mettre sur le baudet que les sacs ordinaires remplis de notre vaisselle de courge, le lézard yguana, qui aurait pu être gâté le lendemain, et mon petit François, auquel il servit de dossier; j'arrangeai le tout, et laissai à ma femme et à Fritz le soin d'attacher l'outarde de manière qu'elle pùt marcher devant nous saus risquer de s'échapper.

Dès que ces préparatifs furent faits, la caravane se mit en marche pour retourner en ligne droite au logis. Sortis du bois des calebasses, nous arrivâmes à la continuation des arbres des goyaves, où nous renouvelâmes notre provision de pommes savoureuses; ensuite nous entrâmes dans un majestueux

TOME II.

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