Images de page
PDF
ePub

Étant arrivés au bois des chênes verts, nous trouvâmes sous les arbres notre laie à l'engrais, et avalant une quantité de glands doux qu'elle paraissait trouver excellents. Nous lui souhaitâmes bon appétit, en la priant de vouloir bien nous admettre à l'honneur de partager son déjeuner. Fritz remplit de fruit les poches de sa veste. Nous vîmes avec plaisir que la leçon de la veille avait rendu cet animal plus traitable ; il ne cherchait pas à nous éviter, et nous aurions pu l'amener avec nous s'il n'avait été trop incommode. Tout en ramassant nos glands doucement et sans faire de bruit, nous vîmes les oiseaux qui remplissaient le bois de tous côtés s'approcher de nous; il y en avait de charmants par leur plumage, et cette fois je ne pus refuser à mon grand chasseur Fritz de tirer un ou deux coups de fusil, pour en examiner quelques-uns de plus près. Il en mit trois à bas; je jugeai que l'un était le grand geai bleu de Virginie, et les deux autres des perroquets: l'un des deux était un superbe arros rouge, le plus beau des perro

quets connus; l'autre était une perruche verte avec quelques plumes jaunes.

Pendant que Fritz rechargeait son fusil, nous entendimes dans l'éloignement fun bruit singulier, qui ressemblait tantôt à celui d'un tambour couvert, tantôt à celui d'une scie qu'on aiguise. Nous pensâmes d'abord à la musique des sauvages, et nous nous glissâmes un peu de côté dans les buissons. Nous parvinmes doucement en avant vers la place d'où venait ce bruit singulier: ne voyant rien qui pût nous effrayer, nous écartâmes les branches, et nous aperçûmes, sur un tronc d'arbre renversé et à moitié pourri, un très-bel oiseau de la grosseur d'un coq domestique, paré d'un beau collet de plumes autour du cou et d'une belle huppe relevée; il était occupé à faire les gestes les plus extraordinaires. Sa queue était étalée en éventail comme celle d'un coq d'Inde, mais plus courte. Les plumes de son cou et de sa tête étaient relevées et hérissées; il les agitait quelquefois avec une telle vitesse, qu'elles paraissaient un nuage

qui l'enveloppait subitement; quelquefois il tournait en cercle sur son tronc; tautôt il remuait la tête et les yeux comme s'il était possédé, et poussait ce cri singulier qui nous avait alarmés, précédé, et suivi d'une espèce d'explosion. C'était un mouvement de son aile frappant à temps précipités sur le tronc creux et sec, qui causait ce bruit semblable au son du tambour. Autour du tronc était rassemblée une quantité d'oiseaux qui lui ressemblaient, mais qui, plus petits, n'avaient pas sa belle forme. Tous avaient les yeux attachés sur lui et paraissaient admirer ses manières. Je regardais ce singulier spectacle, dont j'avais entendu parler avec étonnement. Le nombre des spectateurs du farceur emplumé augmentait à chaque instant, ainsi que ses cris et ses jeux, qui donnaient l'idée de l'ivresse ou du délire, lorsqu'un coup de fusil de M. Fritz, placé à quelques pas derrière moi, termina le spectacle, en faisant tomber de son théâtre l'acteur, étendu mort sur le sable: le coup mit tous les spectateurs en

fuite. Cette interruption d'une scène aussi remarquable me fut très-désagréable, et je ne pus m'empêcher d'en faire de vifs reproches à mon fils. ‹ Pourquoi, lui dis-je, pourquoi toujours la mort et l'anéantissement? la nature et ses actions animées ne sont-elles pas mille fois plus réjouissantes que la destruction? Il peut sans doute vous être permis d'accorder quelque chose à votre curiosité, à vos besoins, et même à votre goût pour la chasse. Je ne m'oppose pas, vous le savez, å vous voir faire la guerre au gibier ou aux bêtes singulières ou dangereuses; mais la modération est utile partout, et le spectacle de ce coq de bruyère ou fétras, prenant tant de peine pour attirer autour de lui sa cour de femelles, était pour moi fort amusant, et je suis très-fâché de voir sans mouvement la créature qui en avait de si rapides il y a une seconde. Éprouves-tu un grand plaisir d'avoir mis en fuite ces jolies poules qui avaient tant de plaisir à admirer l'oiseau que

tu as tué?»

Fritz baissait les yeux et paraissait hon

teux et repentant; je lui dis que puisque le mal était fait, il fallait au moins tirer parti de sa chasse; que le fétras (1), ou coq de bruyère, était un gibier très-estimé, et qu'il

(1) La poule à fraise, ou grosse gelinotte du Canada, se trouve aussi dans le Maryland, la Pensylvanie et les îles de ces parages. Ses mœurs sont les mêmes que celles du tétral ou coq de bruyère d'Europe; aussi quelques auteurs l'ont simplement désigné sous le nom de coq de bruyère à fraise. Lorsque le måle est tranquille, le bouquet de longues et belles plumes qu'il porte au cou retombe de part et d'autre sur la partie supérieure des ailes; mais quand quelque passion l'agite, il les relève, ainsi que les plumes du sommet de la tête, et en forme une huppe et une fraise très-belles : c'est pour lui une parure d'amour. Lorsqu'il veut appeler ses femelles, il enfle son jabot, fait la roue avec sa queue, laisse traîner ses ailes jusqu'à terre ; ¡l les relève, les abaisse, et, par ses mouvements singuliers et précipités, fait un bruit si fort, qu'on l'a comparé à celui du tambour ou du tonnerre éloigné. Mais cette invitation d'amour est souvent pour lui le signal de la mort c'est le moment où le chasseur impitoyable, qui l'entend de loin, vient, par un coup assuré, frapper l'oiseau, trop occupé de sa passion pour penser au soin de sa vie.

(Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle.)

« PrécédentContinuer »