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sûreté sur notre grand arbre, et plus près de notre Zeltheim, que nous venions d'embellir; ainsi nous nous contentâmes de faire de ce beau site le but de nos promenades. Nous dételâmes aussitôt nos deux bêtes de somme pour les laisser paître en liberté la belle herbe qui croissait à l'ombre des palmiers, et nousmêmes nous fimes une petite halte restaurante avec nos provisions, en causant de nos affaires et de la beauté de ce lieu.

Après nous être rafraîchis, nous nous divisâmes en arrêtant le travail de chacun; les uns allèrent à droite couper des bambous, et les autres à gauche aux cannes à sucre; nous en fimes des paquets, qui furent liés pour les mettre sur le char. Le travail excita de nouveau l'appétit des jeunes gens, ils sucèrent quelques cannes : cela ne leur suffit pas. Leur mère ne voulait pas leur livrer encore le reste des provisions, et leurs yeux se porlaient vers le haut des palmiers, où pendaient les plus belles noix de coco. Enfin il fut décidé que deux d'entre eux grimperaient hardiment sur ces arbres de soixante ou quatre

vingts pieds de hauteur, avec une hache attachée à la ceinture pour abattre les noix. Fritz et Jack ne balancèrent pas; ils choisirent les palmiers les plus chargés de fruits, et, avec mon aide, ils s'élevèrent d'abord assez haut; mais lorsqu'ils furent livrés à eux-mêmes, leurs jambes et leurs bras n'embrassant point cet immense tronc, ils ne purent s'accrocher à rien, et ils dégringolèrent plus vite qu'ils n'étaient montés. Arrivés au pied de l'arbre, je les vis honteux et chagrins; alors je m'avançai, et, comme un bon père, je vins à leur secours. « J'ai voulu, leur dis-je, vous laisser faire l'essai de vos forces, et vous prouver que la présomption est quelquefois punie. C'est fort bien d'avoir du courage et de ne pas balancer dans l'occasion ; mais à votre âge, mes amis, il faut prendre conseil de l'expérience, et si vous aviez eu recours à la mienne, je vous aurais dit qu'il vous était impossible de monter sans secours à une telle hauteur. Sans doute de petits mousses aussi jeunes que vous grimpent à des mâts presque aussi hauts, mais ces

pas la grosseur

mâts n'ont de ces arbres, et les mousses s'aident avec des cordages. Voici donc ce que je vous conseille de faire pour y suppléer : d'abord je vais vous attacher aux jambes des morceaux de peau de requin, qui vous empêcheront de glisser et vous retiendront à l'arbre; voici ensuite une corde avec laquelle je vais vous attacher au tronc, de manière qu'en la faisant monter avec vous, vous puissiez, en vous soutenant avec les bras, vous asseoir de temps en temps, et grimper en avant, au lieu de vous cramponner, en poussant la corde toujours un peu plus haut. Cette manière de grimper est pratiquée avec succès par les sauvages et par les esclaves nègres; elle demande de l'habileté et de l'habitude. Vous monterez d'abord très-lentement, puis vous irez aussi vite que les sauvages. »

Ils m'avaient écouté avec attention; animés par mes conseils, ils essayèrent la manière que je leur avais indiquée, et réussirent bien plus facilement que je ne l'avais imaginé; ils arrivèrent heureusement à la

couronne de l'arbre, où il leur était facile de se tenir, et nous saluèrent avec des cris de joie. Ils sortirent bien vite leur petite hache de leur ceinture, et, frappant sur les noix de coco, ils les firent tomber comme la grèle autour de nous; à peine eùmes-nous le temps de nous mettre de côté pour ne pas les recevoir sur la tête. Mais notre singe, après avoir bien regardé ce qui se passait, voulut en faire autant, et l'instinct d'imitation s'empara de lui; il s'élança de l'herbe sur un palmier, et il fit tomber des noix, en travaillant des pattes et des dents, aussi bien que Fritz et Jack avec la haché; il redescendit ensuite aussi vite qu'il était monté, et s'assit par terre en grugeaut une noix qu'il tenait entre ses pattes, et faisant les plus drôles de grimaces. Mes deux fils descendirent moins vite, mais aussi heureusement, et reçurent nos félicitations sur leur adresse dans ce pénible exercice.

Ernest ne disait mot; ses frères se moquaient de lui et de sa paresse; ils lui offraient leurs noix de coco pour se restaurer après tant

de fatigue; il ne répondait rien et les repoussait. Il se leva ensuite et regarda attentivement tous les palmiers les uns après les autres; il vint ensuite me prier de lui scier une noix de coco par le haut, et d'y faire un trou pour y passer un lien et l'attacher à un des boulons de sa veste. Personne ne comprenait ce qu'il voulait faire; il prit une petite hache dans sa ceinture, puis s'avançant de deux pas, il nous prononça ce petit discours avec assez de grâce:

« Je vois, mes cher parents, que, dans notre république, ou plutôt dans notre royaume (car notre bon père est notre roi bien-aimé, et notre mère une reine ché«rie); je vois, dis-je, qu'ainsi qu'en Europe, << celui qui a le talent de s'élever au-dessus des autres est en grand honneur et en ་ grande considération. Pour moi, j'avoue que je trouvais beaucoup plus doux et < plus commode de rester paisiblement à <ma place. J'ai peu d'ambition, et je pré

fère le repos; mais je n'en aurai que plus de mérite d'être à mon tour utile à la patrie

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