Images de page
PDF
ePub

péens. Mais à présent, mes chers enfants, laissez-moi vous faire observer combien dans cette occasion vous avez eu tort de vous moquer de votre frère, moins vif, moins leste que vous, moins entreprenant, mais beaucoup plus réfléchi et plus observateur, ce qui est bien aussi essentiel. C'est à lui que nous devons déjà nos découvertes les plus utiles, les pommes de terre et le manioc. Si, au lieu d'envier l'un à l'autre vos succès, de vous raillier comme vous venez de le faire si injustement, vous saviez réunir vos divers talents, voyez quel bien il en résulterait pour tous. Ernest penserait pour vous, vous agiriez pour lui, et le bonheur de tous serait le résultat de cet esprit de paix et de concorde si nécessaire parmi les hommes, mais surtout entre des frères. Accoutumezvous aussi à ne jamais juger les actions des autres avant d'en connaître le résultat. Toimême, bonne mère, toi qui ne prêches que la paix et la douceur, et crois volontiers le bien, lu t'es laissé entraîner par l'apparence, tu as nal jugé Ernest; tu lui dois une réparation.

De tout mon cœur, s'écria-t-elle élevant vers son fils ses yeux mouillés de larmes; descends, mon cher Ernest, ne retarde pas le plaisir que j'aurai à t'embrasser.

-Que fais-tu si longtemps là haut? dit Fritz; on croirait que tu veux remplacer le chou que tu nous as envoyé; et dont je me réjouis de me régaler. ›

Nous levâmes les yeux au haut du palmier, et nous vîmes en effet Ernest accroupi au milieu de la couronne de grandes feuilles, et aussi immobile que s'il était devenu chou; ce qui, malgré ma leçon, fit encore éclater de rire mes petits railleurs.

Allons, allons, m'écriai-je à mon tour, veux-tu passer la nuit sur ton palmier; as-tu peur de descendre? Laisse-toi glisser doucement, et ôte, si tu le veux, le peaux de requin qui t'accrocheraient.

[ocr errors]

Je n'ai pas peur, s'écria-t-il; mais je prépare ici l'assaisonnement du chou, et cela va plus lentement que je ne le croyais: laissez faire, je vous apporterai de quoi boire à ma santé.

De quoi boire! s'écria le petit François : a-t-il donc aussi trouvé une fontaine à la cime de cet arbre? Je vous assure, papa, dit-il d'un air capable et sérieux, que je commence à croire que nous sommes dans une forêt enchantée, comme celles qu'on décrit dans les contes de fées. Qui sait si la plupart de ces arbres si singuliers ne sont pas des princes et des princesses ainsi métamorphosés ? Ne le pensez-vous pas, mes frères? › Il avait, en disant cela, l'air si persuadé et si craintif, que nous éclatâmes de rire. La mère le prit sur ses genoux, et lui expliqua aussi bien qu'elle put ce que c'était qu'un conte; et moi je fus toujours plus convaincu qu'on ferait beaucoup mieux de ne jamais dire aux enfants que la simple et pure vérité.

Pendant ce temps-là, Ernest descendait avec précaution et fort adroitement. A peine fut-il à terre, qu'il détacha de sa veste la coupe de noix de coco, la prit délicatement dans sa main, sortit de sa poche un flacon qu'il déboucha; il le vida dans la coupe, me la présenta, et me dit en souriant: Per

meltez, mon père et mon roi, que votre petit échanson vous présente une boisson nouvelle: je désire qu'elle vous plaise; c'est du vin de palmier, et j'espère que vous le trouverez excellent. ›

La maman et les frères regardaient cette liqueur avec étonnement: pour moi, qui connaissais déjà, par mes lectures, le vin de palmier, j'étais moins surpris, mais trèsréjoui de cette nouvelle acquisition, et de la devoir à mon petit philosophe; c'est ainsi que j'appelais Ernest. C'est excellent, mon cher fils, m'écriai-je; je bois à ta santé avec la reconnaissance que nous te devons, et j'engage tout le monde à en faire autant. »

[ocr errors]

En disant cela, j'en avalai une gorgée, et je tendis la coupe à ma femme, qui la passa à son fils aîné, celui-ci à Jack, puis à François; jusqu'à ce qu'il n'en restât plus une seule goutte. Nous trouvâmes tous que c'était une boisson très-agréable, douce et piquante, et qui nous rafraîchit singulièrement. ‹ Oui, m'écriai-je, gloire soit rendue au grand philosophe Ernest, à qui nous devons ce beau

présent! Mais apercevant sur son visage une nuance d'orgueil, je voulus l'abattre, et je continuai C'est fâcheux seulement que le motif qui l'a décidé à grimper sur le palmiste diminue un peu la gloire de sa découverte. J'aurais voulu qu'il y eût été conduit par le désir d'être utile, plutôt que par l'ambition et l'envie de l'emporter sur ses frères. Sans doute il eu est résulté un bien général; mais pour qu'une bonne action soit parfaite, il faut encore que le motif en soit pur et louable. Je vous assure, papa, dit Ernest, que si j'avais été sûr qu'il y avait ici des palmiers à chou, je me serais décidé d'abord à monter; mais je ne les connaissais pas; seulement, pendant que mes frères montaient sur les cocotiers, je regardais tous les arbres, et j'ai pensé que celui qui ne portait point de fruit. serait peut-être celui que je cherchais, et dont j'avais lu la description : le hasard m'a bien servi. » Il raconta ensuite en détail comment il avait recueilli ce vin de palmier.

Je ne me doutais pas qu'il y en eût, nous dit-il, et je n'étais monté que pour avoir le

« PrécédentContinuer »