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chou; dès que je l'eus coupé, j'en vis couler une liqueur, je la goûtai, et la trouvai parfaite. Après avoir exprimé dans ma coupe ce qui sortait du chou même, je vous le jetai, et je fis une incision à côté du tronc. Bientôt je vis couler abondamment cette agréable liqueur, que je reçus dans la coupe, et que je mis ensuite dans mon flacon. C'est grand dommage que je ne me sois pas muni d'un petit tonneau, je l'aurais rempli; mais une autre fois nous tâcherons d'en recueillir davantage: nous savons à présent où est la source.

- Console-toi, mon cher, lui dis-je, de n'en avoir pas pris davantage aujourd'hui; ce jus délicieux, qui ressemble au vin de Champagne, et qui peut-être nous enivrerait de même si nous en prenions beaucoup, serait demain tout à fait aigri comme le lait gâté de la noix de coco. Il faut d'autant moins en faire de provision, que, d'un moment à l'autre, nous pouvons en avoir du frais sur ces arbres, qui dans ces parages sont trèsabondants cependant, comme on assure que l'arbre meurt lorsque son sommet à été

coupé, il faut y aller avec modération, pour ne pas détruire l'espèce. Il y a une quantité de sortes différentes de palmiers qui ont d'excellentes qualités; tous ne sont pas encore connus des botanistes; il y en a un, dit-on, d'où il découle une espèce d'huile qui brûle aussi bien que les huiles des fruits d'Europe, et que nous trouverons peut-être une autre fois. En attendant, mes chers fils, rendons grâce au ciel des biens qu'il nous accorde. >

Le jour était déjà fort avancé, et comme nous étions décidés à passer la nuit dans cette charmante contrée, nous résolûmes d'établir une espèce de cabane de branchages, comme les chasseurs sauvages en construisent dans les forêts d'Amérique, pour nous préserver de la rosée et de la fraicheur de la nuit; car nous ne craignions pas les bêtes féroces, n'en ayant aperçu jusqu'alors aucune trace. Je me mis donc à l'ouvrage. J'avais apporté de Falkenhorst une pièce de toile de voile; nous plantâmes quelques pieux, sur lesquels nous l'assujettimes avec des cordes en forme de tente.

Les côtés ouverts furent garnis de branches et de feuilles; une perche posée en travers formait le faîte, et nous eûmes ainsi en très-peu de temps un asile très-commode et très-sûr.

Pendant que nous étions occupés à cette construction, et lorsque notre ouvrage tendait à sa fin, nous fûmes tout à coup troublés par les cris de notre âne, qui paissait tranquillement dans le voisinage, et qui se mit à braire d'une telle force, que nous allâmes voir ce qui l'effrayait à ce point. Avant d'ètre près de lui, nous le vimes, le nez en l'air, donnant des ruades, et faisant des sauts extraordinaires. Avant que nous eussions eu le temps de réfléchir à ce que nous devions faire, il nous tourna le dos et prit la fuite au galop, en nous laissant là tout surpris de le voir disparaître. Malheureusement Turc et Bill, que nous avions envoyés à sa poursuite, s'étaient glissés dans les buissons de cannes à sucre, et ne nous entendirent pas; l'âne, au contraire, était entré dans les bambous du côté opposé, sans que nous eussions pu l'arrêter. Nous n'étions pas d'ailleurs

sans crainte que son effroi n'eût été causé par la vue de quelque bête sauvage, que nous n'avions nulle envie de rencontrer; et nous allâmes prendre nos armes à feu pour nous défendre en cas d'attaque. Nos chiens revinrent enfin à notre appel, et ne donnèrent aucun signe de danger; ils ne flairaient point, et sautaient autour de nous comme à l'ordinaire. Je fis la ronde autour de la cabane, et n'ayant pas aperçu la moindre chose qui pût m'inquiéter, je courus avec Fritz et les deux dogues vers le buisson où notre fuyard s'était dirigé; j'espérais, au moyen du nez de nos deux braves chiens, retrouver bientôt ses traces; mais ces bonnes bêtes ne comprirent pas ce que nous leur demandions : la piste de l'âne, avec qui ils passaient leur vie, n'était pas pour eux un objet de chasse qui pût les encourager; en sorte qu'ils allaient de côté et d'autre dans les bambous, ne nous indiquant rien, et ne suivant aucune trace. La nuit s'approchait; je n'osai m'éloigner davantage des miens. Fatigué et chagrin de ma course inutile et de la perte de notre âne

TOME II.

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qui m'était si nécessaire, nous retournâmes vers la cabane, où nous trouvâmes tout en bon ordre; la hutte était entièrement finie. Nous n'avions plus qu'à couper de l'herbe pour nous coucher, et ramasser des branches sèches et des roseaux pour allumer du feu, tant pour nous chauffer que pour éloigner les animaux dangereux; je remis ce soin à ma femme. Comme je vis qu'elle ne pouvait se procurer assez de bois sec pour entretenir du feu toute la nuit, je voulus y suppléer par un nombre de flambeaux que je composai d'abord. Je liai ensemble, comme de petits faisceaux, des cannes à sucre on se sert pour cela aux Antilles de cannes vidées; mais, comme je n'en avais point, je les pris tout bonnement pleines de leur jus, et je soupçonnai qu'elles n'en brûleraient que mieux. J'en préparai donc, avant souper, trois ou quatre douzaines de cinq à six pieds de longueur. Je les plaçai debout à droite et à gauche de la cabane, et au milieu de cette singulière avenue fut placé le feu qui devait servir à faire cuire notre souper, et que nous

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