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que l'homme a les moyens de composer une machine à l'aide de laquelle il pourra, à défaut d'ailes, s'élever et se soutenir dans les airs sans que cette machine tienne à rien, sera-ce vraisemblable ou invraisemblable? Qu'en dis-tu, Fritz?

FRITZ. Je crois que j'aurais dit invraisemblable, si je ne savais pas qu'on a fait des ballons avec lesquels on s'est élevé dans l'air.

LE PÈRE. Et pourquoi l'aurais-tu cru invraisemblable?

FRITZ. Parce que l'homme, de sa nature, est plus pesant que l'air, et qu'il m'aurait paru qu'une machine quelconque, loin de diminuer son poids, ne pouvait qu'y ajouter.

LE PÈRE. Fort bien raisonné. Mais on te dirait que cette machine est très-grande, qu'elle est composée d'une étoffe serrée et légère, et qu'on l'a remplie d'une sorte d'air préparé par des procédés chimiques, lequel, étant beaucoup plus léger que l'air atmosphérique, tend toujours à s'élever, et soutient l'homme dans les airs, comme les ves

sies le soutiennent sur l'eau. Est-ce que tu le comprends, mon fils? et qu'en dis-tu?

FRITZ. Très-bien, et je trouve très-vraisemblable que, puisque l'homme a trouvé un moyen de ne pas enfoncer dans l'eau, de rester même au-dessus, il ait aussi trouvé celui de s'élever dans l'air et de s'y soutenir.

LE PÈRE. Et quand une foule de personnes de tout âge, des gens respectables, des témoins de toutes espèces, attesteront qu'ils ont vu de leurs yeux un ballon, auquel était attaché une petite nacelle remplie d'hommes, s'élever dans les airs et disparaître au-dessus des nuages, direz-vous encore qu'il est faux que l'homme puisse voler?

LES ENFANTS. Non; nous 'dirons que c'est vrai, et très-vrai.

LE PÈRE. Et vous disiez tous, il n'y a qu'un moment: C'est faux, de toute fausseté!

FRITZ. Oh! nous disions cela, mon père, de l'homme seul, privé des machines qu'il peut construire; car si la nature lui a refusé des nageoires et des ailes, elle lui a donné

un génie inventif, qui supplée à tout ce qui lui manque.

LE PÈRE. Tu dis là, mon fils, une grande vérité, dont j'espère que tu feras ton profit. Avec son intelligence et sa raison, l'homme peut parvenir à tout, ou du moins à beaucoup de choses. Mais pour en revenir à notre exemple, vous y trouverez la définition des mots que vous me demandiez : Il est faux que l'homme, de lui-même, puisse voler; il est vraisemblable qu'à l'aide d'une machine de son invention il pourra parvenir à s'élever et à se soutenir dans les airs; et il est vrai, de toute vérité, qu'il y est parvenu, mais sans avoir encore trouvé un moyen sûr de diriger ces ailes factices, ce qui rend cette découverte à peu près inutile.

LA MÈRE. Voilà une leçon dans toutes les règles et bien longue, pendant laquelle je n'ai pu dire un mot; je crains que tu ne rendes tes petits trop savants, je ne saurais plus de quoi leur parler.

LE PÈRE. N'aie pas peur, chère amie, quand même ils sauraient tout ce que je sais,

ils ne seraient pas bien habiles. Il faut qu'un homme tâche de n'être pas ignorant : s'il vit dans le monde, il se tire mieux d'affaire, il en est plus estimé, plus considéré; s'il est appelé, comme ceux-ci le seront peutêtre, à vivre dans une espèce de solitude, elle leur sera moins ennuyeuse lorsqu'ils auront l'habitude de penser et de réfléchir, et le peu de connaissances que je puis leur donner leur sera utile. Je ne me suis jamais repenti de trop savoir, et j'ai regretté souvent de ne pas savoir assez, surtout à présent que nos fils ne peuvent avoir d'autres maîtres que moi et la nature. Si les jeunes gens savaient quel parti ils peuvent tirer de l'étude, ils s'appliqueraient davantage dans l'âge où il est si facile d'apprendre. >

Tout en discourant, nous arrivâmes au Ruisseau des Chacals, que nous traversâmes avec précaution sur de gros quartiers de pierres amoncelés près de sa chute, et de là nous fùmes bientôt à notre ancienne demeure, où nous trouvâmes tout parfaitement en ordre, et tel que nous l'avions laissé; chacun

se dispersa pour prendre ce qui lui convenait. Fritz emporta sa charge de poudre et de plomb; moi, ma femme et François nous nous occupâmes du tonneau de beurre; nous remplîmes le grand pot dont la mère s'était munie, et qui devait être mon partage au retour. Ernest et Jack cherchèrent les canards et les oies; mais comme ils étaient devenus un peu sauvages, ils ne purent venir à bout d'en attraper un seul. Alors Ernest eut l'idée de couper quelques petits morceaux de fromage, de les attacher à une ficelle, en guise d'hameçon, et de les laisser flotter sur l'eau; les bêtes voraces s'en saisirent bientôt et les avalèrent gloutonnement; Ernest les attira doucement, et put ainsi en prendre autant qu'il en voulut on les enveloppa dans des mouchoirs, en laissant dehors seulement la tête et le cou; puis mes enfants les attachèrent sur nos gibecières; de façon que chacun de nous eût sa part du fardeau.

Nous pensâmes à la provision de sel, mais nous me pûmes en prendre autant que nous l'aurions voulu, parce que nos sacoches

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