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étaient pleines de pommes de terre : j'eus cependant l'idée d'en mettre également entre les vides; il y en entra passablement ; mais les sacoches devinrent pesantes, et aucun de nous ne se souciait guère de les porter. Fritz pensa que le vaillant et complaisant Turc voudrait bien se charger de la plus lourde; il lui ôta sa belle cotte, qui fut laissée à Zeltheim, et le sac fut attaché sur le dos du fort et paisible animal. Bill porta le singe comme en allant, et de plus une autre sacoche moins pesante que celle confiée à Turc.

Nous nous remimes en chemin, emportant nos richesses; notre caravane élait encore plus plaisante que lorsque nous étions venus; les canards et les oies, perchés sur nos épaules et caquetant de leur mieux, nous donnaient une drôle d'apparence : nous ne pûmes nous empêcher d'en rire lorsque nous passâmes sur notre pont les uns après les autres, avec tout notre bagage: notre gaieté et d'innocentes plaisanteries raccourcirent la route, et nous ne sentîmes la fatigue que lorsque

nous fumes chez nous en repos. La mère nous en consola, en mettant bien vite sur le feu un grand pot rempli de pommes de terre, dont tout le monde désirait manger; elle alla ensuite traire la vache et la chèvre pour nous restaurer de leur bon lait chaud. Elle nous prouva combien l'amour maternel et conjugal peut donner de forces : cette excellente femme était aussi fatiguée que nous, et ne se reposa que lorsqu'elle eut pourvu à tout ce qui pouvait nous soulager. Enfin, après un excellent repas, dans lequel le mets nouvellement découvert reçut de notre part mille tributs d'éloges, nous fìmes la prière, où, suivant l'intention du petit François, nous ajoutâmes des remercîments à Dieu pour ce bienfait inattendu; nous grimpâmes joyeusement notre échelle, et nous fùmes chercher un doux sommeil dans notre château aérien.

TOME II.

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CHAPITRE XV.

L'ours supposé. La claic. Leçon de physique.

J'avais remarqué, la veille, en revenant au bord de la mer, une quantité de bois qui m'avait paru propre à faire une claie, sur laquelle je pourrais traîner notre tonneau de beurre et d'autres provisions, de Zeltheim à Falkenhorst; je m'étais proposé d'y aller de grand matin avant que mon monde fût éveillé. J'avais choisi pour aide mon second fils, Ernest cet enfant, très-paresseux, très-indolent, avait besoin d'être excité au travail; je lui fis valoir, comme une grande faveur, la préférence que je lui donnais; il me promit d'être prêt de bonne heure. J'étais bien aise aussi de laisser Fritz à la maison pour me remplacer; comme le plus grand et le plus fort, il devait être le protecteur de sa mère et de ses jeunes frères.

Je vis à peine le premier crépuscule du

matin, que j'éveillai doucement Ernest; il se leva en bâillant et en étendant les bras. Nous descendîmes l'échelle sans être entendus des dormeurs, dont nous respectâmes le paisible repos : nous fûmes chercher notre âne, qui devait être de la partie; et pour qu'il ne vint pas à vide, je lui fis traîner une forte branche d'arbre, qui devait m'ètre nécessaire. Tout en cheminant, je demandai à Ernest s'il n'était pas un peu de mauvaise humeur d'avoir été obligé de se lever si matin pour un travail assez pénible, au lieu de rester avec ses frères à tirer des grives et des pigeons sur le figuier.

‹ Oh! pas du tout, papa: à présent que je suis sur pied, cela ne me fait plus rien; je suis bien aise d'être avec vous et de vous aider; mes frères me laisseront assez d'oiseaux à tirer, car je parie que tous ces beaux chasseurs manqueront leur premier coup.

- Pourquoi donc crois-tu cela, mon fils? Parce qu'ils oublieront d'ôter les balles des fusils, et de mettre de la grenaille à la

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place; et puis je suis sûr qu'ils voudront tirer depuis le bas, et l'arbre est si haut que le coup ne peut porter jusque-là. Pour moi, j'ai tiré de notre château, sans quoi je n'aurais pas réussi.

Tu peux avoir raison dans tes soupçons; mais j'ai là-dessus deux choses à te dire: la première, qu'il eût été plus généreux et plus amical de faire part à tes frères de tes observations, que de triompher de leur ignorance, et de les exposer à perdre pour rien leur poudre, qui est pour nous si précieuse; la seconde est que je suis charmé de te voir agir avec sang-froid et réflexion, mais je crains pour toi une lenteur de décision qui nuit beaucoup dans certains cas: il y en a où il faut sur-le-champ prendre une résolution. Celui qui, dans les moments de frayeur, de danger, de détresse, ne perd pas la tête et sait vite se décider, a beaucoup d'avantage sur celui qui combine toutes les choses possibles avant d'agir; c'est ce qu'on appelle présence d'esprit : jointe à la sagesse, c'est une qualité très-utile, et tu peux l'ac

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