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quérir en réfléchissant souvent de sang-froid comment on se tirerait d'affaire dans tel ou tel cas supposé si l'on ne prend pas cette habitude, on se laisse dominer par la crainte au moment du danger, et on est perdu. Voyons, par exemple, ce que tu ferais si nous étions subitement surpris par un ours? ERNEST. Je crois presque que je me sauverais à toutes jambes.

- Je le crois aussi, du moins tu me l'as avoué franchement; mais si tu réfléchis, tu peux conclure que les ours courent sur quatre pieds, et toi seulement sur deux; qu'ils courent bien plus fort et bien plus longtemps que tu ne peux le faire, et qu'ils t'auraient bien vite attrapé.

Alors je tirerais dessus si j'avais mon fusil; et à présent que j'y réfléchis, je ne veux plus marcher sans l'avoir.

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Ce serait encore un mouvement irréfléchi; tu pourrais bien aisément manquer lon coup ou ne faire que blesser la bête, et tu aurais alors tout à craindre de sa colère. - Eh bien, j'attendrais de sang-froid

qu'elle ne fût qu'à trois pas de moi: alors je lâcherais mon coup de feu au milieu de sa tête, ce qui lui ôterait pour jamais l'envie de m'attaquer.

-Lui ou toi, bien sûrement, seriez hors de combat, car on ne sait ce qui peut arriver; tu courrais encore le risque que ton fusil ratât; alors il serait trop tard pour essayer un autre moyen, et tu serais déchiré à l'instant.

Eh bien, je sais ce que je ferais; je me coucherais par terre, je ferais semblant d'être mort, je retiendrais mon haleine, je me laisserais flairer, tourner et retourner par la bête: on dit qu'ils ne font jamais rien aux

morts.

-Pure fable, à laquelle je ne voudrais pas me fier: on les voit souvent dévorer un animal crevé; c'est même un moyen de les attirer et de les surprendre.

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Oh! mais, c'est que je tiendrais mon couteau de chasse, avec lequel je l'éventrerais, ou je l'assommerais avec la crosse de mon fusil.

Pauvre moyen! tu n'aurais sûrement pas la force d'assommer un si formidable animal, et ton couteau pénétrerait difficilement à travers son épaisse fourrure. Tu n'aurais pas non plus la ressource de grimper sur un arbre, où les ours grimpent aussi. Il faut que je t'avoue que je crois que le seul moyen possible, mais cruel sans doute, de se soustraire à sa férocité, serait de lui livrer notre âne, que tu teindrais ferme devant toi pendant que l'ours attaquerait, tu pourrais lui tirer un coup de pistolet, ou lui enfoncer ton couteau de chasse dans la gueule; mais, s'il plait à Dieu, nous n'en rencontrerons point, car je serais très-fâché de sacrifier notre âne, même pour sauver notre vie.

Et moi de même; mais s'il n'y avait que ce moyen-là?

Alors il nous serait permis de l'employer, avec l'espoir de le sauver aussi. »

Tout en discourant nous arrivâmes au bord de la mer, très-contents de n'avoir point rencontré d'ours, et d'y trouver en abon

dance le bois qui était l'objet de notre course. Je résolus de couper ce qu'il m'en fallait de la longueur nécessaire, et de lier ces morceaux en travers sur la branche que l'âne avait trainée; comme elle avait encore tous ses rameaux, elle pouvait nous servir de traîneau. Nous nous mimes de suite à l'ouvrage, et nous ajoutâmes à la charge de notre âne une petite caisse que nous trouvâmes au bord de la mer et à moitié enterrée dans le sable: nous prîmes aussi des perches, que nous tînmes en main pour nous en servir comme de leviers; avec ces pieux nous pouvions faciliter la marche de notre baudet dans les endroits difficiles, et nous reprimes doucement le chemin de Falkenhorts.

Déjà de loin nous entendimes la fusillade, qui nous apprit que la chasse aux ortolans était en train; mais quand on nous vit arriver, les cris de joie retentirent, et on s'empressa de venir au-devant de nous. La caisse que nous avions apportée fut aussi ouverte avec une forte hache: nous étions tous cu

rieux d'en connaître le contenu ; elle ne renfermait que quelques habits de matelot et du linge mouillé,

J'eus à me justifier auprès de ma femme de ce que, sans l'avertir et sans lui dire adieu, je m'étais éloigné avec un de ses fils; elle avait été très-inquiète, et je convins de mon tort. Dans notre situation, il pouvait arriver tant d'événements fâcheux ! Du reste, lorsqu'elle s'était aperçue que nous avions pris l'âne, elle avait été rassurée; la vue de notre beau bois, et la promesse d'une claie pour lui assurer ses provisions de ménage, l'eurent bientôt apaisée, et nous allâmes paisiblement déjeuner.

Je fis ensuite l'inspection du butin des trois chasseurs d'ortolans et de grives; ils en avaient justement quatre douzaines. Ainsi que l'avait prévu Ernest, le premier coup manqua pour avoir oublié de charger leurs fusils avec de la grenaille; ensuite, ils avaient tantôt attrapé et tantôt manqué, et employé tant de poudre et de plomb, que, lorsqu'ils voulurent monter sur l'arbre, et

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