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se sauvèrent sous les racines, en murmurant et hurlant; leurs cris réveillèrent ma femme, qui, ne m'ayant pas trouvé, descendit fort inquiète de savoir ce qui se passait. Pour l'amour du ciel, me criat-elle, qu'arrive-t-il? Nos chiens sont-ils enragés...?

LE PÈRE. Pas du tout; je leur faisais seulement un petit sermon touchant sur la tempérance et sur la nécessité de se vaincre soi-même.

LA MÈRE. Il vaudrait mieux pêcher d'exemple, commencer par vaincre sa colère, et ne pas se laisser aller à la vengeance contre des animaux fidèles, qui ne savent pas le mal qu'ils font.

LE PÈRE. Bonne âme de femme, lui dis-je en l'embrassant, tu voudrais qu'il n'existât point de bâton dans le monde. Je t'assure que je n'ai battu Bill et Turc ni par colère ni par vengeance, mais par prudence et par précaution; aussi ne leur ai-je pas fait grand mal ils voulaient manger notre kanguroo, que tu te réjouissais tant d'apprê

ter; et ne pouvant leur expliquer dans la langue des chiens, que j'ignore, que je ne l'avais pas mis là pour eux, il a bien fallu le leur faire comprendre en faisant succéder à leur voracité satisfaite une petite douleur corporelle qui leur fit craindre à l'avenir de s'y livrer: sans quoi, comme ils sont les plus forts, ils finiraient par avaler toutes nos provisions. »

Ma femme trouva que j'avais raison; mais je la vis du coin de l'œil rôder autour des racines, et faire une caresse aux chiens pour les consoler. Pour moi, j'allai déshabiller mon kanguroo, et tâcher de lui ôter la peau tout entière sans l'endommager: mais elle me donna tant de peine, et j'avançai si peu, que ma petite famille fut autour de moi et de leur mère, criant famine avant que j'eusse fini mon ouvrage. J'allai ensuite au ruisseau me laver les mains, puis je changeai d'habit en visitant la caisse du matelot, pour me présenter convenablement au déjeuner, et donner à mes fils l'exemple de la propreté, que leur mère leur prêchait sans cesse. Je

donnai, après déjeuner, l'ordre à Fritz de tout préparer pour aller à Zeltheim chercher notre bateau, et de là nous acheminer au vaisseau. Au moment du départ, voulant prendre congé de tous les miens, je ne trouvai ni Ernest ni Jack; leur mère ne savait, non plus que moi, ce qu'ils étaient devenus, mais elle soupçonnait qu'ils étaient allés chercher des pommes de terre dont nous manquions. Je la chargeai de les gronder un peu, ne voulant pas qu'ils s'accoutumassent à s'écarter seuls et sans permission dans cette contrée inconnue; mais cette fois ils avaient pris Turc avec eux, ce qui me tranquillisa.

Nous nous mîmes en chemin après avoir fait nos tendres adieux à ma femme et à mon petit François; je lui laissai Bill, et je l'exhortai à ne pas s'inquiéter, et à se confier, pour avoir soin de nous, à la bonne Providence, qui nous avait si bien gardés jusqu'alors, et nous ramènerait encore cette fois sains et saufs auprès d'elle, lui rapportant beaucoup de choses utiles à notre bien-être;

mais il n'y eut pas moyen de lui faire entendre raison sur ce voyage au vaisseau. Je la laissai tout en larmes, et priant Dieu que ce fût le dernier.

Nous nous arrachâmes avec effort de ses bras et marchâmes très-vite pour hâter notre retour: bientôt nous eûmes atteint et passé le pont; alors, à notre grand étonnement, nous entendîmes des cris perçants de voix humaines, et presque en même temps nous vimes sortir d'un buisson Ernest et maître Jack, qui se réjouissaient de nous avoir joué ce tour. Ah! n'avez-vous pas cru que c'étaient des sauvages? disait Jack. Ou bien nos gens du vaisseau? disait Ernest.

LE PÈRE. Ou deux méchants petits polissons que j'ai bientôt reconnus, dis-je, et que je serais bien tenté de gronder comme ils le méritent, non pas pour leur petite malice, mais pour s'être éloignés de nous sans permission.

ERNEST. Ah! papa, c'est que nous avons tant d'envie d'aller avec vous au vaisseau ! Nous avons pensé que vous nous refuseriez

si nous vous le demandions; mais que, lorsque vous nous verriez là, si près, vous consentiriez à nous prendre avec vous.

LE PÈRE. Fort mal calculé, mes enfants; peut-être y aurais-je consenti à Falkenhorst, quoique j'aie tant de choses à prendre et que vous eussiez occupé une place inutile sur le bateau à présent, pour rien au monde je ne laisserais votre pauvre mère toute la journée dans l'inquétude de savoir ce que vous êtes devenus, et vous-mêmes vous ne pouvez le désirer; j'ai d'ailleurs une commission à vous donner pour elle, qui me tient fort au cœur. » Je les priai alors de lui dire que, suivant toute apparence, nous serions forcés de passer la nuit sur le vaisseau, et de ne la rejoindre que le lendemain au soir. Je savais que c'était ce qu'elle craignait le plus, et je n'avais pas eu le courage de la prévenir d'avance de cette probabilité : j'avais eu tort, car il était encore bien plus inquiétant pour elle de ne pas nous voir revenir lorsqu'elle devait nous attendre. Mais il était essentiel d'ôter du vaisseau, s'il existait encore, lout

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