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ce qui pouvait être sauvé vu que, d'un moment à l'autre, il courait les risques d'être complétement détruit, et toutes nos espérances pour l'avenir eussent été englouties avec lui. D'après cela, j'instruisis mes fils de ce qu'ils devaient dire à leur mère; je les exhortai à lui obéir, à lui prêter secours; el pour que leur course ne fût pas sans utilité, je leur fis ramasser un peu de sel, et leur enjoignis d'être avant midi à Falkenhorst : je souffrais de sentir ma pauvre femme avec la double angoisse de notre départ et de l'absence prolongée de ses deux fils. Pour ètre sûr que cet ordre serait exécuté, je priai Fritz de prêter à Ernest sa montre d'argent, en lui assurant qu'il en trouverait une en or sur le vaisseau, et qu'il pourrait laisser la sienne à son frère : j'ajoutai que nous en aurions peut-être une aussi pour Jack. Cet espoir le combla de joie et les consola de ne pas nous suivre.

Après avoir pris congé de ces chers petits, nous montâmes sur notre bateau, et nous nous éloignâmes de la terre pour gagner 'le

courant du ruisseau; nous sortimes ainsi promptement de la baie Sauveur, et nous arrivâmes heureusement au vaisseau, dont le ventre ouvert nous offrait une large entrée pour y monter. Aussitôt que nous fûmes débarqués, et que notre bateau fut solidement attaché, notre premier soin fut de chercher de bons matériaux pour construire un radeau. Je voulais commencer par exécuter l'excellente idée de mon fils Ernest. Notre bateau de cuves n'ayant pas assez d'espace ni de solidité pour transporter une charge considérable, nous eûmes bientôt trouvé un nombre suffisant de tonnes d'eau qui me parurent très bonnes pour ma construction. Nous les vidâmes aussitôt, nous les rebouchâmes avec soin, et nous les jetâmes dans la mer, après les avoir attachées fortement avec des cordes et des crampons aux parois du vaisseau qui étaient les plus solides; cela fait, nous établîmes sur ces tonnes un plancher très-fort, auquel nous fimes avec d'autres planches un rebord d'un pied de hauteur tout autour pour assu

rer sa charge, et nous eûmes alors un trèsbeau radeau, sur lequel on pouvait mettre au moins trois fois plus de charge que sur notre bateau. Notre journée entière était déjà passée dans ce pénible travail; nous nous étions à peine permis de manger un morceau de viande froide que nous avions apporté avec nous, pour ne pas perdre de temps à chercher les provisions de bouche sur le vaisseau. Le soir, nous étions si fatigués, Fritz et moi, que nous aurions été dans l'impossibilité de ramer pour arriver à terre, lors même que nos occupations ne nous auraient pas retenus; il fallut donc nous résoudre à passer la nuit sur le vaisseau; et, après avoir pris toutes nos précautions en cas de tempête, nous nous établimes dans la chambre du capitaine sur un bon matelas bien élastique et bien différent de nos hamacs; il nous provoqua tellement au repos el au sommeil, que notre prudente résolution de veiller tour à tour de peur d'accident nous abandonna, et que nous nous endormîmes profondément tous les

deux à côté l'un de l'autre jusqu'au grand jour. Nous nous réveillâmes avec une vive reconnaissance envers Dieu qui nous avait donné une nuit si douce et si tranquille; nous nous levâmes, et nous nous mîmes avec activité à charger notre radeau.

D'abord nous pillâmes complétement notre propre chambre, celle que nous avions habitée en famille sur le vaisseau, et tous les effets quelconques qui nous appartenaient avant le naufrage; de là nous passâmes à celle où nous avions si bien dormi, et nous enlevâmes jusqu'aux portes et aux fenêtres avec leurs garnitures; quelques riches caisses d'officiers se trouvaient là, mais cette belle trouvaille et ces habits galonnés nous firent moins de plaisir que les caisses du charpentier et de l'arquebusier, renfermant tous leurs outils celles que nous pûmes soulever avec le levier et le cylindre, furent mises entières sur le radeau; nous ôtâmes des autres ce qui les rendait trop pesantes. Une malle du capitaine était remplie d'une quantité d'objets précieux, dont sans doute il

voulait faire commerce, soit avec les riches planteurs du port Jackson, soit avec les sauvages. Il se trouva beaucoup de montres d'or et d'argent, des tabatières de toute espèces, des boucles, des boutons de chemise, des colliers, des bagues, enfin une pacotille considérable de toutes ces inutilités de luxe européen; il y avait de plus une forte cassette remplie de louis d'or et de piastres, qui nous intéressa moins qu'une autre renfermant de très-jolis services de table, en acier fin, qui nous dispensaient de nous servir de ceux d'argent du capitaine, pour lesquels ma femme avait tant de respect. Mais la trouvaille qui m'enchanta le plus, et pour laquelle j'aurais donné avec plaisir la cassette aux louis, fut une caisse renfermant quelques douzaines de jeunes plantes de toutes sortes de fruits européens, qu'on avait soigneusement empaquetées dans de la mousse pour les transporter. Je reconnus des poiriers, des pruniers, des orangers, des amandiers, des pêchers, des pommiers, des abricotiers, des châtaigniers, des ceps de vigne. Je TOME II.

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