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eufé de trahifon auprès de ce Prince, qui le fit mutiler, & le condamna à être enfermé dans une cage de fer à la fuite de l'armée. Lyfimaque, l'un des Capitaines d'Alexandre, & l'ami fidele de Callifthenes, ne difcontinua cependant point de venir le voir. Ce Philofophe, après l'avoir remercié de cette attention courageufe, le pria, au nom des Dieux, que ce fût pour la derniere fois. Laissez-moi, lui dit-il, foutenir mes malheurs, & n'ayez pas encore la cruauté d'y joindre les vôtres. « Je vous verrai tous les » jours, répondit Lyfimaque; fi le Roi vous fa» voit abandonné des gens vertueux, il n'auroit plus de remords, & commenceroit à vous n croire coupable. Oh! j'efpere qu'il ne jouira » pas du plaifir de voir que la crainte d'encou rir fa difgrace, m'a fait abandonner un ami.,, Le Comte d'Aubigné, aïeul de Madame de Maintenon, fit paroître cette même générosité dans les fentiments. Henri IV. lui reprochoit de ce qu'il fe montroit l'ami du Seigneur de la Tiimoille, difgracié & exilé de la Cour, "Sire, lui répondit d'Aubigné, M. de la Trimoille » eft affez malheureux, puifqu'il a perdu la fa» veur de fon Maître ; j'ai cru ne devoir point » l'abandonner dans le temps qu'il avoit le plus » befoin de mon Amitié. 22

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On aimera à voir dans les Lettres ci-après, de Voiture & de l'Abbé Coftar, un trait de cette confiance & de cette aimable franchife qu'infpire la fincere Amitié. Voiture étoit un des beaux ef prits du fiecle de Louis XIII. Ayant un jour perdu tout fon argent au jeu, il fe trouva avoir befoin de deux cents piftoles; il écrivit en con féquence à l'Abbé Coftar, fon fidele ami : " Je perdis hier tout mon argent, & deux cents » piftoles au-delà, que j'ai promis de rendre dès aujourd'hui. Si vous les avez, ne manquez pas » de ne les envoyer; fi vous ne les avez pas, empruntez-les : de quelque façon que ce foit

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», il faut que vous me les prêtiez; & gardez-vous bien de fouffrir que quelqu'autre vous enleve " fur la mouftache cette belle occafion de me » faire plaifir; j'en ferois fâché pour l'amour de vous comme je vous connois vous auriez de la peine à vous en confoler bientôt; afin d'éviter ce malheur, vendez plutôt ce que vous "avez.... Vous voyez comme l'amour eft impérieux je prends un certain plaifir à en ufer de la forte avec vous; & je fens bien que j'en aurois encore un plus grand, fi vous en ufiez ainfi avec moi; mais vous êtes un poltron. Jugez, s'il ne faut pas que je m'assure bien de » vous.... Je donnerai ma promeffe à celui qui » m'apportera votre argent. Bon jour.,,

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Coftar lui répondit : « J'ai une extrême joie d'être en état de vous rendre le petit fervice » que vous defirez de noi; jamais je n'euffe penfé qu'on eût tant de plaifir pour deux cents piftoles. Après l'avoir éprouvé, je vous donne ina parole que j'aurai toute ma vie un petit fond prêt aux occafions où vous en aurez affaire.... Ordonnez-moi donc hardiment ce qu'il vous plaira : vous ne fauriez prendre tant de plaifir à me commander, que j'en aurai a vous obéir. Néanmoins, quelque foumis que ,, je fois, je me révolterai, fi vous voulez m'obliger à prendre une promeffe de vous.,,

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Le véritable ami ne diffimule point les défauts de fon ami; il cherche même à les lui faire remarquer, pour qu'il s'en corrige. C'eft la vérité de cette maxime, qui donne un prix à cette réponfe franche & magnanime de Philippe, Roi de Macédoine. Ce Prince étoit préfent à la vente de quelques captifs, dans une pofture indécente. L'un d'eux l'en avertit. Qu'on mette cet homme en liberté, dit Philippe; je ne favois pas qu'il fût de mes amis.

L'Amitié, ainfi que l'Amour, a eu fes victimes. Au fiege de la Capelle, en 1650, par les Fran

çois,

gois, un Efpagnol apprend que fon ami a été renverfé d'un coup de moufquet dans la tran chée. Il vole auffi-tôt à fon fecours; il le trouve mort, étendu fur la pouffiere. Son premier mouvement eft de fe jetter fur fon ami; il l'embraffe, le tient quelque temps preffé contre fon fein palpitant; & accablé de fa propre douleur, il expire un moment après. L'Archiduc, inftruit de cet événement, en fut attendri; il voulut qu'on renfermât dans le même tombeau deux amis que la mort n'avoit pu féparer ; & après les avoir fait tranfporter en grande pompe à Avefnes, il leur fit élever un maufolée en marbre. C'étoit un monument que fa fenfibilité érigeoit à l'Amitié. Annales Belgiques, Douai, | Page 436.

Nous devons favoir gré aux Papiers Anglois, de nous avoir confervé cet acte d'Amitié géné reufe du célebre Mead, Médecin Anglois, mort en 1754. Freind, fon ami, & premier Médecin de la Reine d'Angleterre, avoit affifté au Parle ment en 1722, comme Député du Bourg de Lancefton, & s'étoit élevé avec force contre le Miniftere. Cette conduite ayant indifpofé la Cour, on fufcita à Freind un crime de haute trahison, & il fut renfermé, au mois de Mars, dans la tour de Londres. Environ fix mois après, le Mi. niftre tomba malade, & envoya chercher Mead, qui, après s'être mis au fait de la maladie, dit au malade qu'il lui répondoit de fa guérison, qu'il ne lui donneroit pas feulement un verre d'eau, que Freind, fon ami, ne fût forti de la tour. Le Miniftre, quelques jours après, voyant fa maladie augmentée, fit fupplier le Roi d'ac corder la liberté à M. Freind. L'ordre expédié, le malade crut que Mead alloit ordonner ce qui convenoit à fon état; mais ce Médecin perfifta dans fa réfolution, jufqu'à ce que fon ami fût rendu à fa famille. Après cet élargiffement, Mead traita le Miniftre, & lui procura, en peu Tome 1. C

de temps, une guérifon parfaite. Le foir même, il porta a Freind environ cinq mille guinées, qu'il avoit reçues pour fes honoraires en traitant les malades de fon ami pendant fa détention, & l'obligea à recevoir cette fomme, quoiqu'il eût pu la retenir légitimement, puisqu'elle étoit le fruit de fes peines.

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Que Montagne peint bien, dans fon vieux & énergique langage, la tendre & vive Amitié. Il parle ici de M. de la Boétie, fon ami, que la mort lui avoit enlevé. " A notre premiere ren», contre, nous nous trouvâmes fi pris, fi co11» nus, fi obligés entre nous, que rien dès-lors ne nous fut fi proche, que l'un à l'autre. Si » je compare tout le refte de ma vie, (quoi» qu'avec la grace de Dieu, je l'aie paffé douce, ,, aifée, &, fauf la perte d'un tel ami, exempte d'affliction poignante); fi je la compare, disje, toute aux quatre années qu'il m'a été donné de jouir de la douce compagnie & fociété de ce perfonnage, ce n'eft que fumée, ce n'eft » qu'une nuit obfcure & ennuyeufe. Depuis le » jour que je le perdis, je ne traîner languiffant; & les plaifirs mêmes qui s'offrent " à moi, au-lieu de me confoler, me redoublent le regret de fa perte. Nous étions à moitié de tout; il me femble que je lui dérobe fa » part: j'étois déjà fi fait & accoutumé à être , deuxieme par-tout, qu'il me femble n'être plus » qu'à demi.

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que

L'homme uniquement feul, eft celui qui n'a point d'amis. Le monde n'eft pour lui qu'un vafte défert, un lieu d'exil & de trifteffe, qu'il partage avec les animaux errants. Bacon.

AMOUR.

L'Amour eft dépeint, par les Poëtes, avec un

bandeau fur les yeux, pour marquer l'aveuglement dans lequel il nous plonge; la force de cette paffion ne fe mefure même que par le degré de cet aveuglement. C'eft ce qu'avoit trèsbien fenti cette femme qui, furprise par fon Anant entre les bras de fon rival, ofa lui nier le fait dont il étoit témoin. Quoi ! lui dit-il, vous pouffez à ce point l'impudence?.... Ah! perfide, s'écria-t-elle, je le vois, tu ne m'aimes plus; tu crois plus ce que tu vois, que ce que je te dis. Une jeune Languedocienne, qui avoit été trois mois privée de voir fon Amant, le rencontre au fortir de chez elle. Celui-ci lui témoignoit les plus tendres fentiments, lorfqu'il furvint une forte pluie. Le jeune homme en paroiffoit in quiet, & cherchoit à s'en garantir. Quoi! vous avez été trois mois abfent, lui dit fon » Amante avec emportement ; vous m'aimez, » vous me voyez, & vous fongez qu'il pleut? Une Dame Efpagnole, qui fentoit vivement, lifoit dans un Roman François, une longue & ten! dre conversation entre un Amant & une Amante : Que d'efprit mal employé! dit-elle; ils étoient enfemble, ils étoient feuls.

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Un homme de qualité, épris des charmes d'une fort jolie Demoifelle, lui difoit : Si nous nous aimions, obfédée, comme vous l'êtes, par votre mere, nous aurions bien de la peine à trouver un lieu favorable à nos plaifirs? « De quoi vous ,, embarraffez-vous? lui répondit - elle; fongez » feulement à m'en faire naître l'envie. L'Amour fatisfait fait fe cacher; mais l'Amour malheureux éclate: c'eft un feu dévorant qui

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