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foient des gageures qu'elles n'y feroient point trompées, & chacune l'étoit dès le lendemain, ou tout au plus le furlendemain. Pinfon raconte une multitude étonnante d'aventures de ce genre; & même il y en a un trop grand nombre; car le lecteur fçait d'avance le dénoûment, qui est toujours le même, & ces fortes d'hiftoires finiffent par le fatiguer. Voici celle qui m'a paru la plus plaifante. C'est toujours Pinfon qui raconte fes proueffes. » M. le Cardinal de Luynes, » alors Evêque de Bayeux, voulut & » m'ordonna de lui jouer quelques » tours de surprise de ma façon: cela » fut bien-tôt préparé. Le lendemain » matin je vais au manége, où Son » Eminence pouvoit me voir par les » fenêtres de l'appartement de Mada» me la Ducheffe de Chevreufe fa nièce. » M. le Cardinal me dit: le Chevalier, »je n'appréhende point d'être ta » dupe, puifque je te vois à cheval, » & fe retira. Je fis encore quelques » tours dans le manége, enfuite je » vins trouver tous mes préparatifs : j'avois eu l'adreffe de prendre un

» tous

» de fes habillemens, la croix de Mãe » l'Abbeffe de l'Abbaye aux Bois, & » plufieurs groffes bagues de prix de » M. le Duc, une perruque & une » calotte. Après m'être revêtu de ces habillemens, je monte » dans un carroffe à fix chevaux; je me fais paffer par la grille des Do>> minicains du côté de la rue du » Bacq, & fortir par celle de la rue »Saint Dominique, qui eft vis-à-vis » l'Hôtel de Luynes, où je devois > entrer. Il y avoit une grande affluen» ce de peuple & dans l'Hôtel & dans » cette dernière rue pour me voir » paffer, parce qu'on étoit prévenu » qu'il devoit venir un Prélat étran»ger chez M. le Cardinal; & lorfque »je paffe, tous fe mettent à genoux; » je donne des bénédictions des deux » mains; mais, en paffant fur le feuil » de la porte, haut de trois pouces,

actuellement fupprimé, ma voiture » fait un cahot, ce qui me fait pefter » & jurer contre mon cocher, en » donnant toujours mes bénédictions » qui dans ce moment perdirent toute » leur vertu. Tout le monde fe lève,

» difant : Mon Dieu ! le mauvais Prélat, l'indigne Prêtre, & plufieurs » autres chofes femblables. Je mets » pied à terre, je me fais conduire à » l'appartement où étoit l'affemblée; » je me fais annoncer fous le nom de » l'Evêque d'Agde en Languedoc: ce » fut Daugicourt, Valet-de-Chambre » de Son Eminence, qui m'annonça; & » fans donner à M. le Cardinal le » moment de la réfléxion, il ouvrit » les deux battans du falon. M. de

Bayeux vint au-devant de moi, en » me faisant un million d'excufes: je » fuis au désespoir, dit-il, de n'avoir » point été averti de votre arrivée ; » il me fit un compliment honnête, & » m'embraffa en me donnant du Mon» feigneur, felon l'ufage. Pour la pre»mière fois de ma vie je pris un air » grave; je faifois tous mes efforts » pour répondre jufte à tout ce qu'il » me difoit, quoique je ne fuffe point » accoutumé à être Evêque. M. l'Abbé » de Lopignié, qui avoit été Précepteur » de M. le Duc de Chevreufe, me fai>>foit fa cour; par reconnoiffance je lui avois accordé ma protection, &

»je lui avois donné un bénéfice de » cinq mille livres dans mon Diocèfe. » Enfin, après deux heures d'une con» verfation faite pour impatienter un » homme moins vif que moi, M. de Bayeux me demanda comment j'étois venu. En pofte, dans ma berline. » M. l'Abbé de Lopignié, un peu trop » malicieusement pour un homme » qui vouloit me faire fa cour, me >> dit: Monfeigneur, vous vous trom» pez, je crois que vous êtes venu » certainement à franc étrier; vous » avez encore vos culottes de peau. » Effectivement, je les avois, n'ayant » pas eu le temps d'en changer; & n'étant pas accoutumé de porter la » foutane épifcopale, je ne fçavois » pas comment il falloit la lever pour » le faire épifcopalement ; alors je fus » vendu; mais M. le Cardinal avoua » généreufement qu'il avoit été at>> trapé. >>

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Enfin Pinfon entre au fervice du Cardinal de Rohan & enfuite du Prince Ferdinand fon neveu. Il eft dangereufement bleffé en courant à cheval devant la voiture de ce Prince,

Cet accident l'oblige à fe retirer: il fe trouve, dit-il, fans place & fans reffource, réduit au métier d'auteur, &, par goût pour fon premier état, il a choifi fa réfidence entre les deux corps-de-gardes des Gardes Françoifes de la rue des vieilles Tuileries.

Ces deux Volumes font amufans & pleins d'évènemens très-variés. D'ailleurs le fieur Pinfon eft inftruit ; il rapfans agréporte qu'il fçait neuf langues, & fa pas manière de narrer n'eft ment. Il y a peu de Romans dont la lecture foit plus amufante que celle de fes aventures, quoiqu'elles n'aient prefqu'aucune liaison les unes avec les

autres.

Voyages de Gulliver, traduits par feu M. l'Abbé Desfontaines: nouvelle édition ; deux Volumes in-12 d'environ 300 pages chacun; à Paris chez Mufier fils, Libraire Quai des Auguftins, au coin de la rue Git-leCœur.

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ES fictions ingénieufes & foutenues, des irronies piquantes, de

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