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On trouve auffi dans cette Bibliothèque des anecdotes bien intéreffantes, même fur les auteurs de l'Antiquité, lorfque les traductions qu'on en a faites donnent occafion à l'Editeur d'en faire mention. Entr'autres articles, ceux d'Ariftote & de Saint Bernard font très-curieux. Ariftote a regné fur les efprits pendant près de deux mille ans. Averroès difoit de lui que la divine Providence l'avoit accordé au monde pour que l'on fût perfuadé que rien n'étoit impoffible à fa puiffance. Avant que Luther eût commencé à dogmatifer, fon autorité étoit fi grande, qu'en Allemagne fes Morales étoient lûes les dimanches au prône au lieu de l'Evangile. A l'articlede Saint Bernard, M. de Juvigny remarque que, dans la dédicace du Livre de Confideratione adreffé au Pape Eugène III, qui avoit été Moine à Clairvaux, le faint Docteur établit tous les principes qui peuvent com. battre l'autorité pontificale, & cependant ce Livre a été imprimé à Rome in-4°. » Il y a quelquefois des expref» fions d'une naïveté qui tendent à la

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plaifanterie, comme lorfqu'il dit, » qu'il faut prendre la croix par le mi» lieu & la charger fur fes épaules, » parce qu'elle eft trop pefante par le »bout. Meffieurs de Sainte Marthe » affurent que les chartres de la fon»dation de l'Abbaye de Signy en » Champagne, portent expreffément » que Saint Bernard avoit promis aux »Seigneurs qui la fondèrent, autant » de places dans le Ciel qu'ils en don» neroient aux Moines fur la Terre; »fur quoi l'Abbé de Longuerue remar» que, qu'il ne faut pas s'étonner que » cette Abbaye foit fi riche. On a com» paré la douceur du ftyle de Saint

Bernard à celle du lait : Lacteam elo»quentiæ Ambrofiam in fcripta fua » fuaviffimè refudit, faveur qu'il affu»roit tenir de la protection fpéciale » de la Sainte Vierge, & qui avoit » déterminé quelques-uns de fes » Moines à le reprefenter à genoux » aux pieds de la Vierge, dans le mo»ment même que ce don lui fut ac» cordé. »

Je ne m'étendrai point fur les notes d'érudition qui se trouvent en grand

nombre dans cette Bibliothèque, & qui la rendent infiniment précieuse. Cette partie eft moins fufceptible d'extrait; cependant je ne puis m'empêcher de vous parler d'une obfervation importante fur le fameux paffage qui fe trouve dans l'Hiftoire de Jofeph, au fujet de Jésus-Chrift. Ce paffage étoit affez généralement regardé parmi les Critiques comme interpolé, quoique plufieurs Sçavans aient foutenu l'opinion contraire. M. de Bréquigny avoit rencontré des Religieux Maronites qui lui avoient affuré qu'ils confervoient dans un des Monaftères du Mont-Liban un manufcrit d'une verfion Arabe de Jofeph, où fe trouvoit ce paffage. Ils lui avoient promis de le lui envoyer; ils ne lui ont pas tenu parole. Mais de nouvelles informations lui ont appris que le paffage en question fe trouve effectivement en Árabe dans le Martyrologe des Eglifes Maronites; & le Patriarche d'Antioche, qui fait fa réfidence ordinaire au Mont-Liban, en a fait paffer une copie exacte & authentique, qui ne diffère que de quelques mots du paffage

Grec.

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Je finis cette Lettre, Monfieur, en Vous rapportant un conte, ou fabliau, très plaifant d'un Meneftrel, nommé Courte - Barbe. Il eft intitulé les trois Aveugles de Compiegne. » Trois » Aveugles fortant de Compiegne

>> rencontrent un écolier de nature » gaye; lequel voulant tirer du paffe» temps d'eux, quand ils lui demandé»rent l'aumône, leur dit : tenez, je >> vous donne ce Befant (c'eft une » pièce d'or qui valoit environ un de » nos petits écus) chacun des Aveugles » penfant qu'il l'eût donné à fon com>>pagnon, l'en remercièrent grande»ment. Et ayant cheminé quelque peu » d'espace, le plus ancien d'eux com» mence à dire aux autres: que paffé long-temps ils n'avoient fait bonne chère, & falloit retourner à Compie"gne fe réjouir; à quoi les autres s'ac» cordèrent. Etant donc arrivés en la »ville, & oyans crier ; Ceans a de » bon vin: ils prient l'Hôte de les » loger en une bonne falle peinte, les » bien traiter, & n'avoir égard à leur »état; car ils le contenteroient bien. » Le Clerc qui avoit mis pied à terre,

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depuis ce don imaginaire, & les » fuivoit pour entendre leurs propos, » vint femblablement loger en la mê» me hôtellerie, où les Aveugles fe > firent bien traiter de chair, de poif» fon, & de toutes fortes de vins : » puis après avoir bien bu, ils s'en » allèrent coucher, dormant fi haute » matinée, que l'Hôte les vint éveil»ler & demander leurs écots. Les » Aveugles répondirent que c'étoit » raison, qu'ils avoient un befant fur » lequel il fe payât. Ça donc (dit » l'Hôte) & un des Aveugles parlant » à fon compagnon, Robert baillez-le » lui, car ce fut à vous qui alliez le » premier qu'on le donna. Par dien » vous avez menti, dit Robert, mais ce fut à vous qui veniez le dernier. » Ceftui-ci jurant que non, tu l'as » donc, difent les deux autres au » troisième : Non ay, répondoit-il, » mais vous. Cependant l'Hôte cour» roucé, penfant qu'ils fe moquaffent » de lui, commençoit à frapper deffus » les Aveugles, quand le Clerc qui » avoit tout ouï, dit à l'Hôte, qu'il » ne fe fâchât, ains mis l'écot des

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