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taché à Thalie fon mafque, fon efprit, fon enjoûment, & l'ont affublée du crêpe de la Philofophie, ou plutôt ils l'ont chaffée, pour mettre à fa place une trifte figure de catafalque. Les Drames funèbres leur doivent leur naiffance & leur vogue; ils ont fi bien fait qu'il ne faut plus de talent pour compofer des Pièces de Théâtre: des lambeaux de morale vague & pefante, & des exclamations douloureufes avec des points remplis de fentiment: voilà tout le myftère. La fcène Italienne étoit charmante antrefois par fes Comédies Françoifes & par fes Parodies. L'ancien Opéra-Comique en Vaudevilles amufoit tout Paris. Ces deux afyles reftoient à la gaîté Françoife; on les a détruits comme indignes d'une Nation penfante. Le larmoyant s'eft introduit jufques dans l'Opéra Bouffon. Des Philofophes eux-mêmes, des Académiciens François n'ont pas honte de cultiver ce genre déteftable, & d'y briguer des fuccès déshonorans. Vous gémiffez, Monfieur, de cette révolution; mais j'ofe vous prédire

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qu'elle n'aura qu'un temps, & qu'elle eft même déja fur fon déclin. On commence à ne plus tant admirer l'énorme fatras de l'Encyclopédie; l'enthou fiafme factice de M. Diderot n'échauffe plus tant de têtes; la féchereffe combinée du froid M. d'Alembert a moins de partifans; la bouffiffure collégiale du phrafier M. Thomas n'en impofe qu'à des oreilles novices; les jeunes gens eux-mêmes s'extafient moins devant les gambades éternelles du vieux OurangOutang de Ferney. Enfin, le grand nombre de perfonnes qui applaudiffent aux ouvrages où les Philofophes font appréciés, prouve combien il y a de bons efprits qui réfiftent au torrent & qui tiennent aux anciennes mœurs, à l'ancienne Littérature, à l'ancien goût. Au refte, Monfieur, fi ce délire dure encore quelques années, ne foyons pas affez dupes pour nous en affliger férieufement, & n'allons pas faire là-deffus des Drames lamen tables; prenons le parti d'en rire : c'est en vérité tout ce que mérite cette folie.

Je fuis, &c.

A Paris ce 4 Janvier 1773.

LETTRE II.

Eloge de Racine, par M. de la Harpe; Brochure in-8° de 99 pages; 99 pages; à Paris chez Lacombe Libraire rue Chriftine.

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I l'on fut révolté il y a dix ou douze ans de la févérité minutieufe avec laquelle M. de Voltaire, quelques droits que paruffent lui donner fes fuccès, fon expérience & fon âge, ofa juger Corneille fous prétexte de le commenter, que penferez-vous Monfieur, d'un adolefcent qui n'est connu que par des chutes & des 'rechutes au Théâtre, & qui s'avise d'ỡter le nom de Grand à Jean-Baptifte Rouffeau, de prononcer que Corneille eft fort au-deffous de Racine, que M. Colardeau fait mal des vers, que M. Marmontei eft un Pindare, &c, &c ? Dans quelle anarchie eft donc tom -bée la Littérature Françoife! Jufqu'ici le nom feul de notre premier Tragique imprimoit le refpect & la vénération aux plus illuftres Littéra teurs; fes fautes, qui lui appartien

nent moins qu'à fon fiècle, ne fembloient pas dangereufes; fon génie couvroit tout. Aujourd'hui ce nom facré eft profané, & l'auteur de Pharamond infulte le grand Corneille! Le même homme qui nous a donné Timoléon & Guftave comme des Tragédies, vient nous demander fi Cinna en eft une. Enfin (s'y feroit-on attendu?) on fe voit réduit à défendre le talent de notre Efchile pour l'art Dramatique, Je fuis loin, dit M. de la Harpe, de vouloir affoiblir le juste Sentiment de reconnoiffance & d'admiration qui confacre parmi nous le nom de Corneille. Si j'étois affez malheureux pour pouvoir jamais être le détracteur d'un grand homme, oferois-je louer Racine ? Cependant cet Eloge, dans fa totalité, n'eft qu'un parallèle de Corneille & de Racine, où ce dernier eft préféré fans ceffe à fon rival. On nous affûre que ce même Corneille n'a fait que des fcènes, qu'il n'a point fait de Tragédies; qu'Andromaque eft le premier chef-d'oeuvre du Théâtre François, &c, &c. Si ce n'eft pas là être le détracteur d'un grand homme

quels blafphêmes faut-il donc profé rer pour en mériter le titre ? Quoi! le Cid, quoi! Cinna, Polieucte, les Horaces, Rodogune, Heraclius, ne font pas des Tragédies ! Pour nous le prou ver, on nous détaille les défauts qui peuvent fe trouver dans ces immortelles productions. Mais quelle Pièce eft fans défauts? Racine en eft-il plus exempt qu'un autre ? La plupart de fes deniers Actes ne font-ils pas foibles & de peu d'effet? N'y a-t-il pas deux intérêts affez diftincts dans Andromaque? L'auteur & le fpectateur n'oublient-ils pas entièrement la veuve d'Hector dans le cinquième Acte, pour ne s'occuper que d'Hermione? La représentation de Britannicus n'eft-elle pas un peu froide, lors même que cette Pièce eft jouée par de bons Acteurs ? La rufe de Néron qui fe cache derrière une tapifferie, eft-elle bien tragique? L'intrigue de Mitridate eft-elle digne du cothurne? Tous les autres rôles ne font-ils pas facrifiés à celui de Phedre dans la Pièce de ce nom? Cependant, qui ofera dire qu'Andromaque, Phedre ;

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