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au grade de Colonel; fes rares qua* lités ayant vaincu la répugnance Allemande pour les méfalliances, le Baron de ***, fon intime ami, lui a fait époufer fa fœur, & les deux époux deviennent des modèles par l'admi niftration intérieure de leur maison, par leur conduite envers de nombreux vaffaux dont ils fe font adorer, & par l'excellente éducation qu'ils donnent à la jeune Sophie leur fille. Cependant le Colonel perd fa digne époufe, & même le Baron de*** fon ami. Il fe livre à la mélancolie, & fans la compagnie de la fille du Miniftre de ce canton, il auroit été à craindre que Sophie, à fon exemple, ne prît l'habitude de la trifteffe. »Tous » deux verfoient fouvent des larmes fur les objets fi chers qu'ils avoient » perdus.Qelquefois M. de Sternheim, » prenant la main de fa fille âgée de » douze ans, la conduifoit devant le » portrait de fa mère, & lui parloit

d'une manière fi touchante de fes » vertus & de la bonté de fon cœur, que la jeune perfonne tomboit à » genoux inondée de larmes, & fou

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»vent defiroit de mourir pour se rejoindre à fa mère. C'eft cet excès » de fenfibilité qui fit appréhender » au Colonel que l'ame tendre de »Sophie ne contractât un penchant » trop fort à la mélancolie, & que la » délicateffe de fes nerfs n'augmentât » au point de la rendre incapable de » foutenir le chagrin & la douleur. » Il chercha donc à fe vaincre lui» même, afin d'apprendre à fa fille » comment il faut fupporter le mal» heur, à l'atteinte duquel les meil» leurs des hommes font les plus fen» fibles; &, comme on découvroit » dans cette jeune perfonne beaucoup » d'efprit & d'aptitude aux Sciences, » il l'inftruifit dans toutes les parties » de la Philofophie, lui enfeigna l'Hif>>toire & les Langues, parmi lefquelles » elle s'attacha fur-tout à l'Angloife, » qu'elle pofféda bien-tôt comme fa » Langue maternelle. » Ses progrès ne furent pas moins rapides dans la Danfe & dans la Mufique. Parvenue à l'âge de feize ans, elle fut chargée du gouvernement de la maifon, & fon goût pour l'ordre & la vie active,

fortifié par le defir de retracer l'ima ge de fa mère, la fit encore réuffir dans cette partie auffi parfaitement que dans les autres: mais à dix-neuf ans, elle fit une feconde perte plus irréparable encore que la première. Son père mourut, emportant avec lui des regrets univerfels, & la laiffa entre les mains de la Comteffe de Loëbau foeur de fa femme, qui vivoit, ainfi que fon mari, à la Cour de D** & qui y fit venir la jeune Sophie de Sternheim après la fin de fon deuil.

C'eft dans ce féjour dangereux que Sophie, n'ayant pour toute défenfe que la beauté de fon ame, la jufteffe de fon efprit & les excellens principes qu'elle avoit reçus, fe trouve feule en butte aux piéges de la féduction la plus adroite. Elle fait connoiffance à cette Cour de deux perfonnes dignes de fon amitié, de Mademoiselle de C*** Dame d'Honneur de la Princeffe, & du Lord Seymour, neveu du Miniftre d'Angleterre. Ce dernier paroît épris de fes charmes & de fa vertu. Mais dans le même temps les perfonnes dont elle devoit

devoit le moins fe défier, trament contr'elle le plus odieux complot. Son oncle & fa tante, dans le deffein de gagner un procès confidérable & d'augmenter leur crédit, fecondés du Comte de F***, principal Miniftre, & de la Comteffe fa femme, forment le projet d'en faire la maîtreffe du Prince, que l'efprit de Sophie & fa beauté avoient déja frappé d'admiration. Le monde où Mademoiselle de Sternheim fe trouvoit tout-àcoup transportée, étoit bien nouveau & bien étrange pour elle. » On » veut abfolument, dit elle dans » une de fes lettres, que je pense » comme les autres, que je fente » comme eux. Il faut que je me ré

jouiffe du fuccès de ma toilette, que. »je me trouve heureufe de m'entendre » louer, que je fois ravie de la perf»pective d'un bal ou d'un grand fou»per. L'Opéra que je voyois pour la » première fois de ma vie, auroit dû » me mettre hors de moi-même, & à >> tout moment on me demandoit : » Mademoiselle, n'êtes-vous pas bien » fatisfaite ?». ... Une autre circonfANN. 1773. Tome I.

L

tance donnera une idée du caractère & de la tournure d'efprit de cette fingulière perfonne. Elle étoit, avec le refte de la Cour, dans les appartemens du Palais. C'eft encore ellemême qui raconte ce qui fuit, dans une lettre à fa chère Emilie, fille d'un Miniftre refpectable, ami de fon père.

Un bruit que nous entendîmes toutà-coup dans la rue, nous fit tous » approcher des fenêtres; je me pla» çai près de mon amie Mademoiselle » de C*** & de Milord Seymour. » C'étoit le retour d'une foule de »Peuple, qui s'étoit rendu fur le ri vage pour voir débarquer le Prince qui avoit fait fur l'eau une très-jolie promenade. En voyant paffer ces gens, j'en apperçus plufieurs dont l'air & les habits offroient l'aspect » de la misère, pendant que nous » étions vêtus avec tout le fafte ima»ginable, & que des rouleaux d'or » étoient répandus fur les tables de jeu. » Mademoiselle de C*** faifoit la def»cription d'un repas dans le goût de » celui que nous venions d'avoir; elle » en calculoit la dépenfe, & difoit

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