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déclamation, dans l'enflure, dans le précieux & le contourné. Quelle bouche, par exemple, ne faut-il pas ouvrir pour prononcer cette grande & fuperbe phrafe: un fiècle a ajouté aux lumières d'un fiècle; & c'est ainfi qu'en joignant & perpétuant leurs efforts, les générations qui fe reproduifent fans ceffe ont balancé la foibleffe de notre nature, & que l'homme qui n'a qu'un moment d'existence a jetté dans l'étendue des áges la chaîne de fes connoiffances & de fes travaux, qui doit atteindre aux bornes de la durée. . O Racine ton excellente organisation fut entiérement l'ouvrage de la nature, & portoit un caractère original, indépendant de toute imitation. Il feroit difficile qu'une organisation quelconque ne fût pas l'ouvrage de la nature. Mais que cette excellente organisation eft noble! Racine qui ne trouve pas dans fes premiers ouvrages l'aliment que cherchoit fon .. Cette même ame qui, defcendant en elle-même, y trouvoit le Un art mouvement de nos paffions.

ame....

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qu'on établit fur l'étonnement..... Le fentiment de fa grandeur qui le foumet

d'elle-même..

par l'admiration au pouvoir de la vertu. ... Une Tragédie qui fe recommande Un efprit agiffant qui fe commande le repos. . La gracieufe facilité du ftyle.... Defcendre au fond de fon cœur, &y furprendre les fecrets de la nature avec l'œil de l'imaginaLes ennemis de Racine

tion...

....

qui font tourmentés du fentiment de fa force.... Achille & Agamemnon, deux Grandeurs en préfence, prêtes à fe heurter.. La foule immobile & en filence fufpendue à tous les refforts que l'art fait mouvoir....... Racine n'ête jamais aux femmes cette décence, cette modeftie, cette délicateffe, ces formes plus douces & plus touchantes qui dif tinguent & embelliffent l'expreffion de tous leurs fentimens..... C'eft un tout qui femble éternel...... C'est bien affez d'avoir un grand homme à admirer; il paroît un peu pénible d'en admirer encore un autre fur lequel on n'a pas compté. Que cette expreffion familière fur lequel on n'a pas compté eft admirable dans un difcours d'éloquence! Ne les croyez pas ceux qui vantent fans ceffe la Nature brute; ils portent envie à la Nature perfectionnée ; ceux qui regrettent les

beautés du cahos; vous avez fous les yeux les beautés de la création. Cela eft très-beau fans doute; mais je ne l'entends pas. Qui font ceux qui vantent fans ceffe la Nature brute & qui regrettent

les beautés du cahos? Voudroit-on défigner les admirateurs de Corneille ? Cela n'eft pas croyable. Hélas, la Colonne de ce fiècle, celle fur laquelle il s'appuyoit pour regarder avec affûrance le fiècle précédent, ne peut pas toujours réfifter aux années. Un fiècle qui s'appuye fur une Colonne pour regarder un autre fiècle! Quelle magnifique image! Quel fublime rare! Mais quelle eft cette merveilleufe colonne ? Eh, ne le devinez-vous pas, Monfieur ? C'est M. de Voltaire. Effectivement cette Colonne là ne réfiftera pas, du moins toute entière,aux années. Dans un autre endroit, le Panégyrifte de Racine, qui l'eft encore plus de M. de Voltaire, appelle ce dernier une Puifance. M. de la Harpe a l'air d'avoir bonne envie d'être auffi luimême une Grandeur, une Puiffance; & c'est un spectacle divertiffant que fa lutte perpétuelle contre la Nature qui l'a fait petit.

M

M. de la Harpe parle volontiers de lui-même, & fe cite à tout propos pour exemple. Il fait la defcription pompeufe d'un orage qui le furprit un foir dans les Alpes: ce font d'épou vantables éclairs, des horreurs impofantes, une nuit affreuse, une Nature morte. Après la pluie le beau temps. M. de la Harpe fe trouve au commencement d'un jour ferein fur le fommet du Mont-Jura. Ma vûe, dit-il, fe perdoit dans la contemplation de la lumière immenfe. Mes idées étoient à la fois grandes & douces..... Voilà ce que font pour moi le génie brut & le génie épuré par le goût : c'est - àdire que Corneille eft pour M. de la Harpe une nuit affreufe, une nature morte, un génie brut, &c?....

Se refufer aux fentimens des beautés, c'eft mentir à fon ame & fon plaifir. Pour ce dernier crime, je puis affûrer M. de la Harpe que je n'en fuis pas coupable à fon égard. Il eft certain qu'à la repréfentation de fon Guftave & de fon Timoléon, à la lecture de toutes fes rapfodies en profe & en vers, enfin de tant d'ouvrages académiques & ANN. 1773. Tome I.

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lui paffent par la tête. Il fe laffe, par exemple, d'être couronné à l'Académie Françoise, c'est-à-dire, dans une très-petite falle, où la plupart des affiftans, debout & mal à leur aife ne font que des gens de lettres & des amateurs qui ne peuvent pas représenter la Nation; il déclare que dorénavant il lui faut un Lycée qui contienne au moins trois ou quatre mille perfonnes. Il trouve mauvais qu'il n'y ait pas un Hôtel des Lettres comme il y a un Hôtel des Fermes un Hôtel de la Monncie, &c.

M. de la Harpe n'eft pas moins las: d'être hué par le parterre de la Comédie Françoife. Pour mettre ordre à cela, il veut que tous les fpectateurs foient affis. Mais il n'y penfe pas; cette innovation lui feroit plus funefte qu'avantageufe; à des pièces telles que les fiennes, chaque fpectateur qui auroit un bon fauteuil à lui feul, n'en fiffleroit que plus à fon aife.

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Je ne finirois pas, Monfieur, fi je voulois examiner cette Brochure en détail. J'en ai dit affez pour vous

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