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la tête des Ansar et des Mouhadjir, mais auxquels les tribus nouvellement converties à l'islam vinrent se joindre sur la route. Cette armée se montait, selon les historiens de Mahomet, à dix mille hommes. Dix jours après, l'armée musulmane entrait dans la ville sainte, sans rencontrer de défense et sans éprouver beaucoup de résistance, tant les mouvements avaient été prompts et tenus secrets; toutefois, une troupe de Koreïchites qui attaqua l'avant-garde musulmane à l'entrée de la Mecque fut taillée en pièces, et l'arrivée prompte de Mahomet sur la scène du carnage put seule épargner un grand nombre de victimes innocentes. Dix-sept personnes d'entre les Mecquois furent exceptées de l'amnistie, et Mahomet autorisa à les tuer, fussent-elles sous les tentures qui recouvraient la Caaba. Mahomet se rendit aussitôt à ce temple, en fit sept fois le tour, et toucha avec respect la pierre noire avec son mihdjan ou bâton recourbé par un bout; il demanda ensuite la clef du temple et pénétra dans l'intérieur. Il y vit des images, des figures d'anges peintes sur les murailles, une colombe de bois suspendue au plafond, empruntée peut-être aux emblèmes chrétiens, une figure qu'on disait être celle d'Abraham, tenant à la main les flèches à l'aide desquelles les Arabes avaient coutume de consulter le sort. Trois cent soixante idoles étaient réunies dans le temple; à mesure que Mahomet passait devant elles, il levait son mihdjan, et à ce signal on les brisait surle-champ, pendant qu'il prononçait ces paroles : « La vérité parut et le mensonge s'évanouit. » A midi, son crieur particulier, nommé Belal, monta au haut de la Caaba et proclama l'heure de la prière.

Le même jour, toute la population de la Mecque fut avertie de se rendre à la colline de Safa pour reconnaître le prophète et lui prêter serment d'obéissance, bi'at, bi'a, qui consistait en ce que chacun devait donner la main à Mahomet; Omar fut dans cette occasion le représentant de Mahomet, il tendait la main à chacun des assistants, pendant que Mahomet se tenait assis sur un siége élevé; après les hommes, les femmes furent admises à prèter aussi serment; elles promettaient de ne commettre ni larcin, ni adultère, ni fornication, ni infanticide, et de ne se rendre coupable d'aucun mensonge ni de médisance.

Mahomet resta environ quinze jours à la Mecque, et pendant ce temps il fit détruire dans les environs les idoles et les temples des idolâtres, et envoya des détachements de cavalerie pour appeler à l'islam les habitants des contrées voisines. Bien qu'il eût recommandé à ses troupes de ne faire usage de leurs armes que dans le cas d'extrême nécessité, quelques chefs ne se conformèrent pas cependant à cette recommandation et commirent des massacres que Mahomet se vit forcé de désavouer et de condamner. Une seule tribu, très-puissante et depuis longtemps rivale des Koreïchites, refusa de se soumettre et mar

cha contre la Mecque. Manomet en sortit à la tête d'une armée imposante, et la vue de ces forces inspira une telle confiance aux musulmans, qu'ils se crurent invincibles. Cette confiance est blâmée dans le Koran (IX, 25); effectivement, lorsque les musulmans entrèrent dans une vallée étroite et arrivèrent à Honaïn, situé à dix milles de la Mecque, ils se virent assaillis par les Hawazin avec une telle violence, que le désordre se mit bientôt dans leurs rangs, et ce ne fut qu'après des efforts inouïs que Mahomet parvint à arrêter les fuyards et à les rallier de nouveau. Il ordonne à sa mule blanche Doldol de se coucher, lance comme à la bataille de Bedr une poignée de sable fin sur l'ennemi, et par ce miracle, disent les historiens, il assure la victoire; l'ennemi est mis en déroute et se retire à Taïf, ville située à l'est de la Mecque, entourée d'un pays très-fertile, enrichie par le commerce et protégée par des murailles. Le siége de cette ville se prolongeant, Mahomet voulut d'abord détruire toutes les vignes des environs, il y renonça ensuite sur les instances des Arabes d'alentour; mais il fit annoncer en même temps que tout esclave qui passerait de Taïf dans le camp musulman serait libre. Malgré une défection considérable qui s'ensuivit, la ville tint bon, et Mahomet jugea à propos de lever le siége, après vingt jours d'efforts inutiles pour la réduire. Cet insuccès fut compensé par la soumission d'autres tribus. Lorsque Mahomet retourna à Médine, il laissa à la Mecque un lieutenant chargé de présider aux fêtes et aux cérémonies du pèlerinage, et, ce qui est assez digne de remarque, les Arabes idolâtres qui y arrivaient ne furent pas exclus de ces cérémonies; mais, l'année suivante, Mahomet fit cesser cet usage et proclama l'exclusion absolue des idolâtres, en leur accordant un délai de quatre mois pour se convertir.

L'année 9 de l'hégire (631 de J.-C.) vit s'accomplir la conversion et la soumission de quelques autres tribus tant païennes que chrétiennes; ces dernières, après une dispute soutenue par Mahomet lui-même avec des évêques, des chrétiens de Nedjran, dispute dans laquelle les chrétiens s'avouèrent vaincus, disent les historiens musulmans: C'est encore à la fin de cette même année que Mahomet, ayant appris la marche d'une armée romaine contre les musulmans, fit un appel général à tous les fidèles et réunit une armée forte de trente mille hommes, qu'il conduisit à Tabouk, sur les frontières de la Syrie; on reconnut que la nouvelle de l'approche des Romains était fausse, mais la présence d'une armée aussi considérable eut pour résultat la soumission d'Aïla, ville commerçante située sur la Mer Rouge, et de quelques autres places voisines de Tabouk. La ville de Taïf, qui l'année précédente avait résisté aux attaques de Mahomet, se soumit également cette année, qui fut appelée année des députations à cause des députations qui se succédaient sans cesse pour offrir à Mahomet l'adhésion des villes et des tribus.

L'année suivante, 10° de l'hégire (631 de J.-C.), le nombre de conversions et de soumissions ne fit que s'accroître; restreintes jusqu'ici au Hedjaz et aux contrées du nord de l'Arabie, elles s'étendirent alors aux provinces méridionales et à celles de l'est; c'est ainsi que le Hadramaut, l'Yémen et le Nedjd reconnurent le culte d'un seul Dieu et en même temps la mission prophétique de Mahomet, et il est à remarquer que le prophète des Arabes ne se contentait pas de la profession du culte unitaire, s'il n'avait pas pour corollaire la reconnaissance de sa mission. Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu (Allah) et Mahomet est l'envoyé de Dieu; c'était la formule consacrée, les deux témoignages (chehadetein) indispensables pour être regardé comme musulman, mouslim (homme résigné à la volonté de Dieu).

L'œuvre de Mahomet était enfin accomplie, après vingt ans d'efforts persévérants dont la première moitié ne semblait promettre que des mécomptes, et ne lui avait valu que des railleries, des insultes et la haine. Pour consacrer le succès de son œuvre, Mahomet annonça, dans la dixième année de l'hégire, son intention de faire un pèlerinage solennel à la Mecque, et aussitôt de tous les côtés de l'Arabie on accourut à Médine pour l'accompagner dans cet acte de dévotion traditionnelle; le cortège se montait selon les uns à quatre-vingt-dix mille, selon d'autres à cent quatorze mille hommes. Arrivé à la Mecque, il accomplit toutes les cérémonies consacrées par l'usage, dit la prière et se rendit le lendemain au mont Arafat, où il prononça une allocution qui fut ensuite répétée par un Koreïchite doué d'une voix retentissante, afin que la multitude rassemblée sur le penchant de la colline pût l'entendre. Cette allocution, que la tradition a conservée, résumait les principaux préceptes contenus dans le Koran; elle inculquait la justice, l'humanité, la bienveillance, la fraternité entre tous les musulmans, les bons procédés envers les femmes, la probité dans les relations de la vie civile; elle condamnait l'embolisme 1. « Je vous laisse, disait enfin Mahomet, une loi qui vous préservera de l'erreur, une loi claire et positive, un livre envoyé d'en haut. » Il termina en criant: « O mon Dieu! ai-je rempli ma mission? » Et toutes les voix répondirent : « Oui, tu l'as remplie. >>

Le lendemain, jour des sacrifices, Mahomet immola de sa main soixante-trois chameaux et donna la liberté à soixante-trois esclaves, ce nombre étant précisément égal aux années de son âge, compté en mois lunaires dont il venait de recommander la conservation. Il se fit ensuite raser la tête (car pendant le pèlerinage il n'est pas permis de se raser la tête ni de se couper les ongles); les personnes les plus rapprochées se partageaient les cheveux coupés. Le pèlerinage dont nous venons de parler s'appelle le

'Ou l'intercalation des jours pour corriger les mois lunaires.

pèlerinage d'adieu. Mahomet avait fait pressentir dans son allocution du mont Arafat qu'il ne lui serait peut-être pas donné de revoir la Mecque. Effectivement, peu de temps après son retour à Médine, il tomba malade. Cette indisposition, bien qu'elle affaiblit ses forces physiques, n'altéra en rien ses facultés intellectuelles; il conçut le projet d'une nouvelle expédition contre les provinces romaines, et désigna même le chef des troupes Ouçama, fils de son affranchi Zeïd, qui devait conduire cette expédition. Vers cette époque un orage surgissait dans l'Arabie même. Trois hommes se déclarèrent en même temps dans trois différentes provinces, prophètes des Arabes, l'un était Tolaïka, dans le Nedjd, l'autre Moçailama, dans l'Yémama, et le troisième Aïhala nommé aussi el-Aswad (le noir) de la tribu d'Ans (el-Ansi), dans I'Yémen. Ces prophètes, qui ne pouvaient être regardés par les musulmans que comme de faux prophètes, avaient déjà fait quelques progrès parmi les tribus nouvellement converties, mais éloignées de Médine; et Moçaïlama adressa même à Mahomet une lettre dans laquelle il lui proposait de partager avec lui le pouvoir, tous deux étant également prophètes et envoyés de Dieu. Mahomet répondit à ce message par ces mots : « Mohammed, envoyé de Dieu, à Moçaïlama l'imposteur. Salut à ceux qui suivent la voie droite. La terre appartient à Dieu, il en donne la possession à qui il lui plaît. Ceux-là seuls prospèrent qui craignent le Seigneur. » Les termes de cette réponse faisaient entendre que Mahomet allait remettre au sort des armes de décider à qui devait appartenir le pouvoir; en attendant il envoya des ordres à ses généraux pour contenir les progrès des imposteurs ; mais il ne connut que la défaite d'Elaswad, assassiné par un de ses propres lieutenants; car la fièvre qui l'avait quitté revint au bout de peu de temps, et affaiblit bientôt toutes ses forces. Se sentant de plus en plus mal, il s'installa dans le logement d'Aïcha, sa femme, et donna des instructions très-précises sur la manière dont il voulait être enterré.

« Quand vous m'aurez lavé et enseveli, disait-il à ses parents, Vous me poserez sur ce lit au bord de ma tombe, qui sera creusée dans cette chambre même, à la place où je suis, puis vous me laisserez seul et vous attendrez que l'ange Gabriel et tous les anges du ciel aient prié sur moi, vous rentrerez ensuite pour prier sur moi, d'abord ma famille et ensuite tous les musulmans. » Malgré sa faiblesse extrême, il se rendit encore, s'appuyant sur ses deux cousins, à la Mosquée, et là, monté sur la chaire (minber), il fit aux musulmans l'allocution suivante : « O musulmans, si j'ai frappé quelqu'un d'entre vous, voici mon dos, qu'il me frappe; si quelqu'un a été offensé par moi, qu'il me rende of

Il est à remarquer que les princes musulmans commencent par cette for. mule de salut les lettres qu'ils adressent aux princes non musulmans.

fense pour offense; si j'ai ravi à quelqu'un son bien, qu'il le reprenne, qu'on ne craigne pas de s'attirer par là ma haine, la haine n'est pas dans ma nature. » Un individu vint lui réclamer trois dirhems; Mahomet les lui restitua aussitôt en disant : « Mieux vaut la honte en ce monde que dans l'autre. >> Quelques jours après, se sentant trop faible pour quitter le lit, il dit tout à coup aux assistants dans un moment voisin du délire : « Qu'on m'apporte de l'encre et du papier, je vais vous donner un écrit qui vous préservera à jamais de l'erreur. » Mais Omar empêcha qu'on n'exécutât cet ordre. « Le prophète est en délire, dit-il. N'avons-nous pas le Koran pour nous guider? » Pendant qu'on disputait s'il fallait se conformer aux ordres d'un moribond, Mahomet dit aux assistants : « Retirez-vous, il ne convient pas de disputer ainsi en présence de l'envoyé de Dieu. » Il reparut encore une fois dans la Mosquée, avec laquelle sa chambre communiquait, et recommanda cette fois-ci de suivre le Koran comme un guide infaillible au milieu des épreuves qui attendaient les musulmans. Ces conseils furent prononcés d'une voix puissante et sonore qui semblait indiquer un retour de forces; toutefois, ce ne fut que le dernier éclat d'une lumière qui allait bientôt s'éteindre. Rentré dans son appartement, il demeura pendant quelques heures affaissé après avoir prononcé des mots entrecoupés: « Mon Dieu... oui... avec le compagnon d'en haut (l'ange Gabriel). » Il expira sur les genoux d'Aïcha, le 13 rabi, 1er de l'année II de l'hégire (le 8 juin, 632 de J.-C.), qui était un lundi. Son tombeau est donc à Médine, qui a reçu à cause de cela l'épithète de monewwereh, l'illuminée. La nouvelle de sa mort se répandit bientôt à Médine et y jeta une consternation générale; les uns ne voulaient pas y croire, d'autres étaient déjà disposés à retourner à l'idolatrie; mais la résolution d'Aboubekr survenue promptement étouffa le désordre en germe et fixa pour toujours les destinées de l'islam. On voit par ce qu'on vient de dire que Mahomet n'avait désigné aucun successeur1. A l'époque de sa mort il ne laissa aucun enfant mâle; il épousa en tout quinze femmes, et eut commerce avec douze d'entre elles. A l'exception de Marie la Copte, d'abord sa concubine, ensuite sa femme, dont il eut un fils, Ibrahim, qui mourut avant lui; il eut tous les autres enfants de Khadidja, sa première femme, ce furent les quatre garçons Kacim, Taiib, Tahir, Abdallah, et quatre filles: Fatima, mariée à Ali Rokaïa et Omm Kolthoum, mariées toutes les deux à Othman, plus tard khalife, ainsi que Zeïnab (Zénobie). Parmi celles de ses

'Il serait inutile de discuter ici la valeur des arguments que les chiites produisent en faveur d'Ali, gendre de Mahomet, arguments tirés de plusieurs passages du Koran et de la tradition. Tous ces arguments sont donnés fort longuement dans un exposé de la doctrine chiite intitulé « Hakkoul-yakin » (la vécité certaine), ouvrage persan composé vers 1696 de notre ère, par MohammedBakir, fils de Mohammed-Taki, et imprimé à Ispahan.

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