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onze premiers académiciens, les mêmes priviléges, honneurs et prérogatives qu'aux quarante de l'Académie française.

M. Ratabon s'était chargé de faire signer par le roi en conseil et les articles et le brevet, mais, pour plus de sûreté, Lebrun fut invité à solliciter, comme en 1648, les bons offices du chancelier Séguier. Celuici approuva tout, sauf un oubli. Il faut trouver moyen, dit-il, que le cardinal soit personnellement intéressé à votre affaire. Mettez son nom dans vos statuts, priez-le d'accepter le titre de protecteur de votre compagnie. Puis, comme l'objection lui fut faite que, si l'académie devait choisir un protecteur, ce ne pouvait être que lui-même. Je le serai toujours, ajouta-t-il, mais en second. Son conseil fut aussitôt suivi. Mazarin se prêta de grand cœur aux instances qui lui furent faites, et accepta, avec le protectorat, deux beaux tableaux de fleurs et de fruits qu'on se permit de lui offrir comme un échantillon des talents de la compagnie.

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Tout cela se passait, dans le plus grand secret, en décembre 1654. Les articles additionnels furent signés le 24, le brevet le 28, et, en janvier 1655, le roi rendit, sans les faire expédier, les lettres patentes confirmatives et du brevet et des articles. «Nous permettons, était-il << dit vers la fin de ces lettres, que l'académie fasse choix de telles «personnes de la plus haute qualité et condition du royaume que bon «lui semblera, pour sa protection et vice-protection, et avons trèsagréable que notre très-cher et très-amé cousin le cardinal Mazarin, qui a une connaissance et un amour singulier de toutes les belles et «grandes choses, ait été prié de vouloir prendre ladite protection. >> Ajoutons que ces lettres patentes, sollicitées et rendues dans le seul intérêt de l'académie, n'en faisaient pas moins à la maîtrise une gracieuse concession. Elles déclaraient, au nom de la couronne, que désormais, pour les arts de peinture et sculpture, il ne serait plus créé de lettres de maîtrise, pas plus à l'occasion du mariage des rois et de la naissance de leurs enfants, que pour leur avénement à la couronne. L'abandon de ce droit régalien ne profitait évidemment qu'à la maîtrise. Aussi l'intitulé des lettres patentes portait-il qu'elles étaient accordées aux maîtres peintres-sculpteurs en même temps qu'à l'académie. C'était en vue du parlement qu'on prenait ce détour et qu'on reconnaissait l'existence de la jonction dans l'acte même qu'on destinait à la détruire. Lebrun et ses amis n'auraient voulu pour rien au monde négliger cette fois les formalités judiciaires; ils avaient trop appris ce qu'on gagnait à s'en passer. Pour eux, rien n'était fait sans l'enregistrement. Or, messieurs du grand banc, si disposés qu'ils fussent à devenir dociles, avaient be

soin, pour vérifier ces lettres, qu'on leur donnât prétexte de n'en pas voir le véritable but et de paraître croire que ni l'intérêt de la maîtrise, ni le contrat de jonction ne couraient de sérieux dangers.

Tout se termina, au parlement comme au conseil, comme chez le cardinal, avec une admirable facilité et un secret plus merveilleux encore. Rien ne fait sentir le changement qui s'opérait alors dans les esprits, et l'ère nouvelle où entrait la France, comme cette procédure mise en regard de celles qui la précèdent. Les mandataires de l'académie s'étaient donné du mouvement et avaient pris des précautions dix fois plus qu'il n'était nécessaire. Ils n'avaient plus affaire qu'à des juges sans passion et à des adversaires sans espoir. Subitement dégénérés et infidèles à toutes leurs traditions, les jurés se tenaient dans un repos crédule. L'esprit querelleur et processif s'était retiré d'eux. Ils ne firent pas la moindre opposition, ou, ce qui revient au même, ils se mirent en campagne lorsqu'il n'était plus temps. Tout fut vérifié, homologué, enregistré le 23 juin 1655, après quatre ou cinq mois d'instance, tout au plus.

Si bien gardé qu'eût été le secret, les membres de l'académie avaient, à diverses reprises, reçu quelques confidences de leurs représentants. et les maîtres eux-mêmes étaient mieux informés que leur inaction ne l'eût fait croire. Il n'en fallait pas moins procéder à la promulgation, à la déclaration publique de la nouvelle constitution. M. Ratabon eut l'idée de faire, à cette occasion, un grand coup de théâtre, d'éblouir les jurés, et de leur démontrer, à force d'apparat, que c'était bien à la royauté qu'ils avaient personnellement affaire.

Il fit, pour le 3 juillet, une convocation générale de la jonction ; tous les membres des deux compagnies furent invités à se trouver dans la salle commune pour communication d'importance. Le 2 au soir, les tapissiers de la couronne s'introduisirent dans la salle et passèrent la nuit à la décorer secrètement. Les murs furent recouverts de tapisseries de haute lisse; on dressa dans le fond un riche et vaste bureau, on y plaça trois grands fauteuils garnis de leurs carreaux et revêtus de velours cramoisi à franges et crépines d'or. Les jurés et les maîtres, en entrant dans la salle, restèrent comme étourdis de cette magnificence. Bientôt ils virent s'avancer trois carrosses, d'où sortirent M. l'intendant des bâtiments suivi des officiers et des principaux membres de l'académie dans leurs plus beaux habits. M. Ratabon fut introduit et accompagné jusqu'au bureau avec un cérémonial de cour, puis, ayant pris séance dans le dernier des trois fauteuils, les deux autres demeurant réservés au protecteur et au vice-protecteur, il fit faire silence, et dit, en quelques mots, qu'il venait, de l'exprès commandement du roi,

au milieu des deux compagnies, pour leur donner connaissance des intentions de Sa Majesté. Lisez, monsieur, ajouta-t-il, en se tournant vers le secrétaire, et en lui remettant la clef d'une cassette en maroquin bleu, rehaussée de fermoirs en vermeil et semée de fleurs de lis d'or. Le secrétaire tira de la cassette trois parchemins à grands. cachets de cire, les déploya, et, se tenant debout et découvert, tous les membres de l'assemblée nu-tête et debout comme lui, il donna lecture à haute voix, d'abord du brevet, puis des lettres patentes, puis enfin des

statuts.

Jusqu'aux statuts tout alla bien : la pension de mille livres, le logement gratuit, le privilége exclusif de tenir école et de poser modèle, les faveurs et les exemptions attribuées aux trente premiers académiciens, tout cela n'avait excité chez les maîtres qu'un sourd mécontente ment, dont l'expression était comme étouffée par les bruyants éclats de joie et de reconnaissance que laissaient échapper, après chaque paragraphe, les membres de l'académie; mais, quand vint l'article des statuts qui n'accordait le droit de vote qu'aux officiers et dignitaires de l'académie, les jurés et la plupart des maîtres firent explosion de murmures. La lecture achevée, ils s'écrièrent avec humeur et comme hors d'eux-mêmes, que, puisqu'on les réduisait à ne rien faire, puisqu'on les dépossédait du droit qui leur appartenait, ils n'avaient plus qu'à se retirer. Là-dessus on les entoura, on essaya de les calmer; ceux mêmes qui souhaitaient leur retraite firent semblant de s'y opposer; ils ne voulurent entendre à rien et s'en allèrent tumultueusement, laissant dans l'assemblée une telle rumeur, une telle agitation, que M. Ratabon fut contraint de lever la séance.

A quelques jours de là on s'assembla de nouveau. Les seuls membres de l'académie se rendirent à la convocation, et procédèrent paisiblement à l'élection de leurs officiers selon les termes des nouveaux statuts. Les quatre recteurs furent Lebrun, Sarrazin, Errard et Sébastien Bourdon, revenu récemment de Suède. On conféra de plus à Lebrun les fonctions de chancelier. Au commencement de la séance, quelques esprits accommodants avaient remis sur le tapis la retraite de la maîtrise, et voulaient qu'on revînt à la charge pour ramener les déserteurs, mais la compagnie resta froide à ces pacifiques ouvertures; la maîtrise, de son côté, ne fit aucun effort pour entrer en négociation. On s'était séparé et repris si souvent, qu'un nouveau replâtrage devenait impossible. Pendant quelques séances, les mieux intentionnés d'entre les maîtres vinrent encore par habitude assister aux leçons de l'académie, mais en simples spectateurs et sans tirer à conséquence, comme ils le déclaraient eux

mêmes. Le divorce était complet, et bientôt les jurés, soit calcul, soit simplement mauvaise humeur, se chargèrent de le rendre plut éclatant et plus irrévocable encore. Ils firent, un beau matin, enlever brusquement, de la salle où naguère s'assemblait la jonction, tous les meubles et ustensiles à l'usage de l'école, les plâtres moulés sur l'antique qui presque tous appartenaient en particulier à l'académie, et jusqu'à des cloisons établies à frais communs. Il y avait là matière à les poursuivre en justice, mais sur un terrain glissant et difficile. C'était peut-être un piége. Le recteur en quartier, Sébastien Bourdon, se garda d'y tomber; il eut le bon esprit de répondre à cette agression avec une mesure parfaite. Il fit constater par commissaire la violence et la spoliation, en fit dresser procès-verbal et n'alla pas plus loin.

Cette provocation fut la dernière que se permit la maîtrise. Convaincue que la place ennemie serait dorénavant sur ses gardes et protégée de trop haut lieu pour se prêter à l'escalade, elle allait, pendant un certain temps, renoncer à troubler son repos, abdiquer toute prétention sur le domaine de l'art, et tourner contre elle-même, c'est-àdire contre ceux de ses membres qui lui donnaient ombrage, son humeur querelleuse, non sans batailler aussi avec les professions subalternes qui avoisinaient ses frontières, avec les fondeurs, les doreurs, les batteurs d'or, les selliers ou les éventaillistes. Tout cela nous est étranger. Nous allons donc, pendant quelques années, perdre de vue la maîtrise; l'académie sera seule en scène. Nous la suivrons dans ses développements, moins agités, mais encore laborieux. Elle n'est pas arrivée, tant s'en faut, à son parfait établissement. Ce n'est qu'en 1664 qu'elle atteindra le but. L'histoire de sa création se divise en trois phases. Nous avons vu les deux premières; reste à jeter sur la troisième un rapide et dernier coup d'œil. L. VITET.

(La suite à un prochain cahier.)

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Die Phoenizier (les Phéniciens), von Dr Movers. T. I, 1841; t. II, 1 partie, 1849, 2° partie; 1850, t. III, re partie, 1856.

J'ai, à plusieurs reprises, consigné dans ce recueil des observations assez étendues sur l'ouvrage important qui fait le sujet de cet article ;

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je veux dire l'Histoire des Phéniciens, composée par M. Movers. D'autres occupations m'avaient fait suspendre momentanément la continuation de ce travail, qui, par son objet, devait offrir un intérêt réel pour l'antiquaire comme pour le philologue. Mais une circonstance particulière m'y a ramené d'une manière toute naturelle le savant auteur vient de mettre au jour la première partie du troisième tome. Cette portion de l'ouvrage, qui forme un volume de 336 pages, est entièrement consacrée à recueillir tout ce qui concerne le commerce et la navigation des Phéniciens. Je n'ai pas besoin d'insister d'avance sur la richesse et le prix des matériaux qu'a mis en œuvre le docte historien. Je reviendrai sur ce sujet, lorsque j'examinerai ce nouveau fruit des patientes recherches de M. Movers, mais, en attendant, je dois revenir sur mes pas, et déposer ici quelques remarques sur le volume précédent.

Le second tome de l'ouvrage se divise en deux parties. Dans la première, le savant historien s'est attaché à recueillir tout ce qui a rapport à la géographie, au gouvernement, aux institutions des différentes villes qui composaient la contrée de Chanaan, à laquelle les Grecs avaient appliqué le nom de Phénicie. Dans la seconde partic, l'auteur a réuni tous les détails qui lui ont été offerts par les écrivains de l'antiquité, sur les nombreuses colonies que l'activité infatigable des Chananéens, et surtout des habitants de Tyr, avait semées sur les rivages de la mer Méditerranée. Ce travail, comme il est facile de le présumer, doit exciter chez les amateurs de la science et de l'érudition une vive curiosité, et leur offrir des résultats d'une haute importance. M. Movers n'a négligé ni soin ni recherches pour réunir tout ce qui pouvait jeter du jour sur un sujet si intéressant. Dans cette partie, comme dans le reste de son ouvrage, l'auteur a déployé une vaste et solide érudition, dont les résultats ont été, par lui, mis en œuvre à l'aide d'une critique extrêmement judicieuse. Tout en lui payant le juste tribut d'estime que mérite un labeur aussi consciencieux, on peut, sur quelques points, contester plusieurs des assertions de l'écrivain, hasarder quelques observations critiques. C'est ce que je me propose de faire. M. Movers, dans une série de chapitres, traite successivement des différentes contrées où l'esprit de colonisation avait conduit les Phéniciens. Il indique, dans chaque pays, les villes qui devaient leur naissance à ces intrépides navigateurs. Il rapporte tout ce que l'on peut savoir sur l'existence et l'histoire de ces différentes places, et discute avec sagacité les questions qui se rattachent à ce sujet intéressant. Ses recherches, comme on voit, embrassent presque toutes les côtes de la Méditerranée, et pénètrent jusque dans l'océan Atlantique. Mais, en admirant ces patientes inves

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