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naître ici le terme hébreu mearah, ny, qui signifie « une caverne. >> En effet, le sol sur lequel reposait Carthage était percé de profondes excavations, que l'industrie des habitants transforma, par la suite, en magnifiques citernes, destinées à conserver les eaux nécessaires pour les besoins de cette ville immense. Une partie de ces citernes existe encore de nos jours. On peut croire que, parmi les Tyriens débarqués sur une côte étrangère, quelques-uns, peut-être en grand nombre, allèrent chercher, dans ces cavités du sol, un asile frais et salutaire, en attendant qu'ils pussent se procurer des demeures plus commodes et plus dispen

dieuses.

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Je ne m'étendrai point ici sur ce qui concerne la topographie de Carthage les détails dans lesquels je devrais entrer excéderaient de beaucoup les limites d'un article, et ce sujet a été traité avant moi par des antiquaires estimables, entre autres par mon savant confrère, M. Dureau-Delamalle.

Les Tyriens fondateurs de Carthage, malgré l'enthousiasme que leur arrivée avait fait naître, même parmi la population libyenne, ne tardèrent pas à voir fondre sur leur ville des orages qui semblaient devoir lui annoncer une ruine imminente. Iarbas, roi d'une nation africaine, s'éprit d'amour pour Élissa et la demanda en mariage. Il est probable que, dans cette circonstance, la passion eut moins de part à cette démarche qu'un but politique. Le prince libyen, voyant la prospérité toujours croissante de la nouvelle cité, l'ardeur et l'aptitude que les habitants montraient pour le commerce et la navigation, désirait adjoindre à ses États cette place déjà importante, qui, par sa position, aurait offert à lui et à ses sujets une source abondante de richesses. Élissa fut consternée d'une pareille demande. Ce n'était peut-être pas le souvenir de son premier mari qui lui donnait pour de secondes noces une répugnance invincible; mais cette princesse, élevée à Tyr sur les marches du trône, accoutumée aux délices d'une cour somptueuse, nourrie au milieu de tout ce que la civilisation de cette époque pouvait amener dans une cité qui, comme celle de Tyr, était l'entrepôt du commerce du monde, se trouvait peu flattée d'unir son sort à celui d'un prince à demi sauvage, qui, probablement, n'avait d'autre mérite que celui de la guerre. Elle aurait bien voulu, sans doute, répondre par un refus absolu, mais, comme son royal amant pouvait venir renouveler sa demande à la tête d'une puissante armée, voulant échapper à un hymen odieux, elle préféra se donner la mort. Iarbas, vainqueur sans avoir combattu, entra dans la ville de Carthage et la démantela, du moins en partie. Il est probable que les Tyriens, qui devaient prendre un vif

intérêt au sort d'une place qu'avait fondée la fleur de leur population, envoyèrent à Carthage de puissants renforts, qui mirent les habitants en état de rétablir leur capitale et d'en relever les remparts. C'est peutêtre à cette circonstance qu'est due la variété des dates que nous donnent les chronologistes anciens sur la fondation de Carthage, puisque plusieurs de ces écrivains auront pris pour la véritable fondation ce qui n'était, dans la réalité, que le rétablissement d'une place en partie ruinée.

On est vraiment étonné, quand on parcourt l'histoire de ces temps reculés, de voir comment une ville, dont les commencements avaient été assez faibles, put, dans l'espace de quelques siècles, s'élever au plus haut point de la grandeur et de la richesse; comment, entourée de populations farouches et indomptables, elle sut, par des alliances, et surtout par des présents, adoucir ces hommes féroces, leur imposer sa langue, sa civilisation, en tirer de nombreuses légions de braves soldats, qui allaient au loin recruter ses armées; embarquer à la fois 30,000 Liby-Phéniciens pour aller établir des colonies sur la côte occidentale de l'Afrique, soumettre à son commerce le monde entier, et accumuler dans ses murs des trésors incalculables. Il fallait qu'il existât, chez les colons tyriens établis à Carthage, une activité dévorante et une rare capacité, qui ne se retrouvaient pas au même degré chez les autres colons des places fondées sur les rivages africains de la Méditerranée, car ces villes n'ont jamais brillé dans l'histoire que d'une façon tout à fait secondaire, et avaient, dès le principe, reconnu la supériorité de Carthage. Et cependant, tout en cédant à cet ascendant irrésistible, elles protestaient quelquefois contre le joug pesant que leur imposait cette orgueilleuse rivale, car, au moment où des ennemis descendaient sur le territoire de Carthage, ces villes se soumettaient au vainqueur sans grande résistance, et se montraient peu jalouses de partager le sort qui semblait menacer leur voisine.

Mais Carthage, même à l'apogée de sa puissance, portait en ellemême un principe actif de destruction. Les citoyens de cette ville étaient plus livrés aux spéculations du commerce qu'aux calculs de l'art militaire. Hors de ses murs elle voyait des populations guerrières, mais qui n'avaient avec elle aucune analogie sous les rapports de l'origine, des mœurs, du langage. Ces Libyens, ces Numides, ces Gétules, qui remplissaient les armées de cette république, étaient retenus sous ses drapeaux par l'appât d'une forte paye, par l'espérance du butin; mais ces hommes ne pouvaient prendre aux destinées de Carthage cet intérêt vif que l'on prend au sort de sa patrie. A l'issue de la première

guerre punique, on avait vu ces bandes de mercenaires, aguerries par
les combats livrés aux Romains, se révolter contre Carthage, la faire
trembler, et l'amener à deux doigts de sa perte. Il avait fallu, pour se
délivrer de ces dangereux auxiliaires, tout le courage et l'habileté d'A-
milcar. Aussi, lorsque les Romains, sous la conduite du premier Sci-
pion et ensuite sous celle de Scipion-Émilien, vinrent descendre sur les
rivages de l'Afrique, tous les peuples de cette contrée, qui avaient fait
la force des armées carthaginoises, se laissèrent entraîner sans peine, les
uns par l'intérêt, les autres par la crainte, et acceptèrent la loi du vain-
queur. Carthage, privée de ses nombreux alliés, réduite à ses propres
forces, ne fut plus en état de disputer à Rome l'empire du monde, et ne
tarda pas à tomber sous les coups de sa puissante rivale.

QUATREMÈRE.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

M. Biot, de l'Académie des sciences et de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres, a été reçu membre de l'Académie française dans la séance du 5 février, en
remplacement de M. de Lacretelle, décédé. M. Guizot a répondu au récipiendaire.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

M. le baron Desnoyers, membre de l'Académie des beaux-arts, section de
vure, est mort à Paris,
le 17
février.

gra-

TABLE.

Sancti patris nostri Gregorii, etc. (Article de M. Villemain.).
Lettres de Jean Calvin, etc. (2o article de M. Mignet. ). . . . . .
Mémoires pour servir à l'histoire de l'Académie royale de peinture et de sculp-
ture, etc.; Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Aca-
démie royale de peinture et de sculpture, etc. (4° article de M. Vitet.).......
Die Phoenizier, etc. (Article de M. Quatremère.)..
Nouvelles littéraires.

...

FIN DE LA TABLE.

Pages.

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DES SAVANTS.

MARS 1857.

Die Ssabier und DER SSABISMUS (les Sabéens et le sabisme), von Dr D. Chwolsohn. Saint-Pétersbourg, 1856, 2 vol. in-8°.

PREMIER ARTICLE.

Il a existé dans l'Orient, depuis un assez grand nombre de siècles, une religion dont les adhérents ont été désignés par le nom de Sabéens,

Cette dénomination الصابة ou الصابية الصابئون au pluriel الصابي

s'est perpétuée jusqu'à nos jours, et on l'a regardée comme désignant les adorateurs des planètes. De là, on a formé le nom de sabisme, ou sabaïsme, pour indiquer ce genre de culte. Sans doute, cette religion remonte à une haute antiquité. Lorsque le genre humain, en s'éloignant de son berceau, eut, par degrés, méconnu le Dieu suprême, le créateur de l'univers, il chercha, dans la nature, des objets auxquels il pût adresser son hommage. Élevant naturellement ses regards vers le ciel, il ne dut pas manquer d'être frappé d'admiration, à la vue du soleil et des autres grands corps lumineux, qui peuplent l'espace, et dont un ciel pur et diaphane lui permettait d'observer la masse imposante et l'éclat merveilleux. Au lieu de voir, comme les premiers hommes, dans ces corps célestes, les instruments que faisait mouvoir la toute-puissance divine, il ferma ses yeux à la vérité, il en vint au point de regarder ces grands flambeaux lumineux comme les auteurs réels de l'influence qu'ils exercent sur les choses de la terre. Entraînés par les conséquences de cette erreur, les hommes s'accoutumèrent à regarder les astres comme des dieux, et rendirent ainsi à des créatures le culte qui n'était

dû qu'au seul monarque de l'univers. Certes, en blâmant cette aberration de l'esprit humain, cette substitution de la créature au créateur, on est forcé de convenir que ce culte, quoique coupable, présentait, au moins, quelque chose qui le rendait moins inexcusable, et n'offrait point à l'imagination ces dogmes odieux, ces superstitions honteuses, qui déshonoraient d'autres religions. A coup sûr, voir dans les corps célestes des dieux dignes de l'adoration des hommes, était une anomalie moins repoussante que d'avoir, à l'exemple des Grecs, attribué aux divinités de l'Olympe les passions les plus brutales, ou, comme les Romains, placé dans le ciel les monstres dont on voulait délivrer la terre. Mais ce n'est pas ici le lieu de m'étendre sur ce sujet. Et je me hâte de revenir à ce qui doit former la matière de cet article.

Le nom de Sabéens a été inconnu à tous les écrivains de l'antiquité, et même aux auteurs ecclésiastiques. On le trouve, pour la première fois, dans le Coran. On y lit1: « Les Juifs, les Chrétiens et les Sabéens, , ceux qui croient en Dieu et au dernier jour, ceux qui prati<«<quent la vertu, obtiendront de Dieu leur récompense; aucune crainte «ne les atteindra, et ils ne seront pas livrés à la tristesse.» Ailleurs 2 on trouve les mêmes détails. Plus loin 3 on lit ces mots : «Quant à <«< ceux qui croient, ceux qui sont attachés au judaïsme, les Chrétiens « et les Sabéens, les mages et les polythéistes, Dieu, au jour de la « résurrection, établira entre eux une différence. » Les commentateurs du livre fondamental de la religion musulmane se sont appliqués à rechercher l'origine et la signification de ce mot, dont ils ont voulu trouver la source dans la langue des Arabes. Mais leurs efforts n'ont abouti qu'à produire des étymologies tout à fait dénuées de vraisemblance.

D'un autre côté, il existait, aux premiers siècles de l'islamisme, dans la Mésopotamie, et surtout, dans la ville de Harran, la Karra des Latins, un assez grand nombre de sectaires qui avaient conservé, à ce qu'il paraît, les restes de l'antique religion des Chaldéens, en y joignant quelques dogmes, quelques pratiques superstitieuses, qu'ils avaient empruntées à l'idolâtrie des Grecs. Ces hommes avaient trouvé moyen de se soustraire aux rigueurs du fanatisme intolérant des Arabes musulmans, et de conserver en paix la foi et les rites qu'ils tenaient de leurs ancêtres.

Cet état de choses se prolongea sans trouble jusqu'à l'année 217 de l'hégire (de J. C. 832). A cette époque, le calife Mamoun, dans

Surat. II, v. 59. ⚫ Surat. v, v. 73.

3 Surat. XXII, v. 17.

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