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hardies, ou plutôt chimériques, quand elles ne sont pas sacriléges, que se sont permises certaines écoles philosophiques d'au delà du Rhin, nous sommes d'accord avec lui; et la réprobation sévère dont il frappe ces systèmes dangereux et faux est parfaitement juste. Mais il ne faudrait pas que cette réprobation, toute méritée qu'elle est, remontât de quelques philosophes à la philosophie elle-même. Pour bien faire comprendre notre pensée, nous emprunterons un exemple à M. E. Renan lui-même. Après un tableau largement et sûrement tracé des races qui couvrent le globe, et après les avoir distribuées en trois classes principales les races inférieures; les premières races civilisées, dont la Chine et l'Égypte sont les types les plus élevés; les grandes races nobles, Ariens et Sémites, venues de l'Imaüs, M. Renan se pose cette question, qui termine son livre : « A quoi tient-il qu'il ne se soit formé une race « aussi supérieure à la race indo-européenne, que celle-ci est supérieure << aux Sémites et aux Chinois? on ne saurait le dire. Une telle race juge<«<rait évidemment notre civilisation aussi incomplète et aussi défec<«<tucuse, que nous trouvons la civilisation chinoise incomplète et dé«fectueuse. L'histoire seule, en conclut M. Renan, a donc le droit d'a<< border ces difficiles problèmes; la philosophie a priori est incompétente « pour cela; et, si la philologie a quelque valeur, c'est parce qu'elle «fournit à l'histoire ses renseignements les plus authentiques et les « plus sûrs. >>

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A notre avis, c'est le contraire qu'il faudrait dire. Pour les questions de l'ordre de celles que se pose M. E. Renan, la philologie est profondément impuissante. Elle montre admirablement que les langues des races inférieures sont inférieures comme ces races; elle range systématiquement les idiomes avec les peuples, dans l'ordre de leur valeur et de leur perfection relative. Mais, arrivée de degré en degré jusqu'à l'idiome le plus achevé, elle est arrivée jusqu'au terme qui lui est propre, et, si elle franchit cette limite, elle usurpe un domaine qui n'est pas sien. Cependant, après les questions philologiques, n'est-il point des questions plus hautes qui éclairent et complètent la philologie ellemême? Sans nous arrêter à la question que nous venons d'indiquer et qui n'est pas nécessaire, nous pouvons citer la question de l'origine du langage. Celle-là, comment la résoudre? par la philologie livrée à elle seule ou par la philosophie? Évidemment, c'est là une recherche toute philosophique. La philologie, qui se borne à l'histoire, ne peut aller au delà des faits que l'histoire lui fournit. Elle les constate, elle les discute et elle en tire les conséquences que ces faits portent avec eux. Mais l'histoire commence bien tard; et la tradition même, qui commence

avant elle, la devance de bien peu. Croit-on cependant que cette grande question de l'origine du langage soit résolue, parce qu'on aura remonté aussi haut que les monuments le permettent? Ou bien dira-t-on que c'est là une de ces questions oiseuses qu'il est sage de ne pas agiter, et qu'on ferait mieux de laisser dans les ténèbres qui la couvrent?

Ce n'est pas, du moins, M. Renan qui ferait une telle réponse, et opposerait une fin de non-recevoir si peu convenable à la juste curiosité de l'esprit humain. M. E. Renan, sans avoir eu à trailer spécialement de cette question, s'y est cependant vingt fois arrêté; et ce qu'il en a dit prouve suffisamment que, sur ce grand sujet, sa pensée est parfaitement fixée. Il croit, et nous croyons tout à fait comme lui, que les langues, grâce aux facultés dont la bonté de Dieu a doué la race humaine, se sont produites spontanément et d'un seul jet, avec tous les éléments nécessaires, soit à leur développement, soit à leur durée, ici, avec les organismes multiples d'une grammaire plus ou moins savante, là, sans grammaire ni flexion. Sans doute, ce fait nous est attesté par l'histoire, puisque jamais on n'a trouvé de peuplade, quelque barbare et quelque dégradée qu'elle fût, à qui le langage ait manqué. Mais ce fait nous est attesté bien plus encore par la raison, cette philosophie a priori, qui ne peut pas plus comprendre l'homme sans la faculté du langage, que sans aucune de ses autres facultés. C'est là aussi ce qui fait que la raison, quand elle veut remonter jusqu'à l'origine même et à la création de l'humanité, doit nécessairement donner, de ce problème, une solution analogue, dans ses traits généraux, à celle qu'en donne la Genèse. L'homme, pour durer et se perpétuer, a dû naître avec son développement entier; et les évolutions inévitables de faiblesse et de croissance, que parcourt actuellement l'individu enfermé dans les conditions de la famille, n'ont pas été imposées à ces êtres primitifs, source de la famille et du genre humain. Si, à l'origine, l'espèce humaine, sous ses diverses formes, n'eût été composée que d'enfants, il est trop clair qu'elle n'aurait pu vivre et se perpétuer. La question du langage n'est qu'une partie de cette question plus générale et plus ardue. L'homme a parlé au premier jour de la création, comme il a vu, comme il a entendu, comme il a marché, comme il a agi.

Nous savons qu'il y a des esprits timorés qui, dans leurs scrupules soi-disant scientifiques, proscrivent de plein droit de telles recherches, et veulent les bannir de la philosophie. Mais l'intelligence humaine ne se croit pas tenue à une circonspection qui n'est peut-être au fond que de l'indifférence; elle aborde hardiment les problèmes qui la sollicitent; et elle les résout, soit par des croyances religieuses, qui attestent tout

au moins cette sollicitude, soit par des systèmes, qui tâchent de pénétrer au delà des faits positifs par la puissance de l'induction et de l'hypothèse. Qu'il y ait des écueils à éviter dans les investigations de ce genre, personne ne le nie; mais aujourd'hui les lois véritables de la méthode sont assez connues et assez précises pour que des esprits bien faits aient peu à craindre de s'égarer. Parce que ces questions ont causé bien des naufrages, ce n'est pas un motif pour les déserter; et, d'ailleurs, on aurait beau faire, l'esprit humain ne les déserte pas; ces questions s'imposeraient toujours à lui, avec l'autorité de ce besoin supérieur de savoir, non pas seulement ce qu'on est, mais ce qu'on a été et ce qu'on a pu être.

Nous ne pensons donc pas qu'il faille exiler la philosophie a priori de la philologie, à moins qu'on ne veuille mutiler la philologie elle-même et la réduire à ses moindres parties. Nous pensons seulement, et nous présumons que c'est là aussi la véritable opinion de M. E. Renan, qu'il faut être très-prudent et très-réservé dans l'emploi de l'hypothèse, et que, partout où l'observation est possible, c'est à l'observation qu'il faut s'en tenir. Mais il faut nous accorder aussi que l'observation n'est pas toujours possible et suffisante, et qu'on a le devoir, là où elle manque, d'aller au delà et de passer outre, sans trop se mettre en peine de réclamations plus spécieuses que fondées.

Mais nous préférons quitter le terrain de la critique et revenir à l'éloge pour ce qui nous reste à dire de l'ouvrage de M. E. Renan. Nous en avons déjà signalé les principaux mérites; mais il en est un sur lequel nous tenons à insister en terminant c'est l'idée même de ce travail, si habilement exposée et développée par l'auteur. Nous savons bien que la première pensée d'une histoire des langues sémitiques comparées entre elles appartient à l'Académie des inscriptions et belleslettres, qui a donné ce sujet de prix. Mais le jeune lauréat n'en est pas moins louable d'avoir si heureusement répondu à l'appel du corps illustre qui l'a couronné, dix ans avant de se l'associer par l'élection. Chacune des langues sémitiques avait été cultivée à part dès longtemps. Chacune d'elles avait été l'objet des plus profonds et des plus admirables travaux. Mais on n'avait point étudié avec un zèle égal les rapports communs qu'elles présentent entre elles, et les liens généraux qui les unissent. C'était une sorte de lacune dans les études sémitiques; et, sans exagérer la valeur du livre de M. E. Renan, on peut dire qu'il contribuera, lorsqu'il aura été complété par la seconde partie qui lui manque encore, à combler ce desideratum de la science. La famille sémitique, représentée surtout par l'hébreu, par l'araméen et par l'arabe,

est parfaitement circonscrite; et, précisément parce qu'elle est philologiquement isolée de toute autre, elle se prête admirablement à une étude qui s'étend à toutes ses branches, les rapproche pour les mieux comprendre et en montre les affinités et les divergences. C'était là tout ce que l'Académie des inscriptions et belles-lettres demandait; et elle a jugé que le travail de M. E. Renan, dont le public ne connaît encore que la moitié, avait satisfait au programme.

M. E. Renan a cru devoir aller au delà; et non-seulement il a jugé les Sémites en eux-mêmes; mais il a voulu les juger en les replaçant dans le cadre général de l'histoire et de la philologie comparée. Pour nous personnellement, c'était là ce qui nous touchait le plus dans son travail; et nous le félicitons d'avoir abordé ces questions plus vastes et non moins intéressantes. Nous lui avons adressé quelques objections, qui ne font que prouver davantage l'estime que nous faisons de son livre et de son talent. La comparaison qu'il a établie entre les Sémites et les Ariens n'était en quelque sorte qu'un accessoire dans le plan qu'avait indiqué l'Académie des inscriptions, et qu'a dû suivre M. E. Renan. Ce pourrait être l'objet d'un travail spécial plus étendu et plus complet, que nous signalons à l'attention de notre jeune confrère. Ainsi que nous l'avons dit, M. E. Renan a déjà fait d'heureuses excursions dans le champ des études sanscrites. Nous croyons qu'il sera conduit à y pénétrer de plus en plus, à mesure même qu'il étendra ses recherches de philologie comparée. Toutes les langues qui sont les plus dignes d'occuper la science découlent d'une source arienne ou d'une source sémitique. M. E. Renan a déjà exploré la moitié de ce beau domaine; il doit explorer l'autre pour que ses investigations, ingénieuses autant qu'exactes, soient aussi complètes qu'elles peuvent l'être. Nous n'ignorons pas que c'est embrasser beaucoup que d'embrasser à la fois le monde sémitique et le monde indien. Il n'est pas encore de philologue, même parmi les plus justement illustres, qui ait pu joindre les deux sciences, et les pousser l'une et l'autre jusqu'à leur limite. Aujourd'hui, quoique la chose soit plus facile, grâce à de récents progrès dans les méthodes, il faut une bien rare aptitude pour se montrer égal à ces deux tâches, dont une seule suffit pour absorber les forces entières du plus studieux des savants. Mais M. Renan est jeune; et c'est une palme qu'il peut cueillir. Nous souhaitons, pour lui comme pour la science, que cette palme lui soit réservée; il n'en serait pas de plus féconde ni de plus glorieuse.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

Chants du peupLE EN GRÈCE, par M. de Marcellus, ancien ministre plénipotentiaire, auteur des Souvenirs de l'Orient et des Vingt jours en Sicile. Paris, Jacques Lecoffre et compagnie, éditeurs, 1851, deux volumes in-8° de xIx, 428 et 496 pages.

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Άσματα δημοτικὰ τῆς Ἑλλάδος, ἐκδοθέντα μετὰ μελέτης ἱστορικῆς περὶ μεσαιωνικοῦ ἑλληνισμοῦ ὑπὸ Σπυρίδωνος Ζαμπελίου Λευκαδίου. ὁ Θεὸς πᾶσιν ἀνθρώποις πάτριος ἐξηγητής. Οὐδενὶ ἄλλῳ πεισόμεθα, ἐὰν νοῦν ἔχωμεν, οὐδὲ χρησόμεθα ἐξηγητῇ ἀλλ ̓ ἢ τῷ πατρίῳ. Πλάτων. Κερκύρα, τυπογραφεῖον Ἑρμῆς. 1852. C'est-à-dire CHANTS POPULAIRES DE LA GRÈCE, publiés, avec une Étude historique sur l'état de la nation pendant le moyen âge, par M. Spyridon Zampelios de Leucade. «Pour tous les hommes, « Dieu est le seul interprète de leur patrie. Si nous sommes «sages, ne nous en rapportons pas à un autre, et ne consultons pas d'autre interprète que celui du pays. » Platon. Corfou, imprimerie Hermès, 1852, 767 pages in-8°. Σπυρίδωνος Τρικούπη ἱστορία τῆς ἑλληνικῆς ἐπαναστάσεως. Τόμος Α ́. Καλλίστην παιδείαν ἡγητέον πρὸς ἀληθινὸν βίον..... ἀποτελεῖ τοῦ βελτίονος. Εκ τῶν τοῦ Πολυβίου. Εν Λονδίνῳ· ἐκ τῆς ἐν τῇ αὐλῇ τοῦ Ερυθροῦ Λέοντος τυπογραφίας Ταυιλόρου καὶ Φραγκίσκου. ΑΩΝΓ. C'est-à-dire HISTOIRE DE L'INSURRECTION GRECQUE, par M. Spyridon Tricoupis. Tome Ier. « Soyons « convaincus que l'instruction tirée de l'histoire, quand celle-ci « nous révèle les causes des faits dont elle abonde, est le guide le plus sûr pour régler notre conduite. Dans tous les temps « et dans toutes les circonstances, cette instruction seule, sans « nul inconvénient, peut nous rendre juges éclairés de ce que « nous avons de meilleur à faire. » Polybe (I, xxxv, 1o). Londres, imprimerie de Taylor et Francis, cour du Lion Rouge, 1853, VIII et 404 pages in-8°.

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CINQUIÈME ARTICLE 1.

Indépendamment des genres de mérite que peut réunir une langue,

Voyez, pour le premier article, le cahier de janvier 1856, page 24; pour le

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