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ternir à nos yeux la délicatesse et la générosité. «Madame, Cyrus veut << finir ་ par où il a commencé, et vous rendre ses derniers devoirs comme <«< il vous a rendu ses premiers hommages. Votre Altesse sait que, dans la «plus grande chaleur de la guerre, et durant la plus aigre animosité des partis, l'on a toujours vu vos chiffres, vos armes, votre nom, vos « livrées et des inscriptions à votre gloire sur ses drapeaux; qu'il n'a point << craint la rupture entre les couronnes, et qu'il vous a été trouver en des lieux où il ne lui étoit pas possible d'aller sans être obligé de faire « voir de quelle couleur étoit son écharpe, et sans qu'on lui demandât « qui vive! Si bien, Madame, qu'après avoir passé à travers des armées royales pour s'acquitter de ce qu'il vous devoit, il n'a garde d'être moins <«<exact en un temps où les choses ont aucunement changé de face, et « où l'on ne peut plus l'arrêter sans violer le droit des gens aussi bien «que l'amnistie. Il s'en va donc vous donner de nouveaux témoignages « de la haute estime qu'il a pour votre mérite, et, au lieu de porter ses trophées à Persépolis ou à Ecbatane, il va les porter à Montreuil-Bellay, « afin qu'ils y soient tout à la fois des marques de sa servitude et de ses <«< victoires. Comme je l'ai engagé dans vos intérêts, je n'ai garde de condamner ce que je ferois moi-même; et, si vous honorer et être libre « étoient des choses incompatibles, ce seroit de la bataille que je vous « dirois que je suis et que je veux toujours être, Madame, de V. A. le « très-humble, très-obéissant et très-passionné serviteur, DE SCUDÉRY. » Ainsi, grâce à une fidélité courageuse1, sous le nom de Mandane et

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'La noble conduite de Scudéry et de sa sœur est d'autant plus remarquable, que l'un et l'autre étaient sans fortune, et que, pour soutenir sa famille, la seule ressource de George Scudéry était la sinecure de gouverneur de Notre-Dame de la Garde, à Marseille, que d'un trait de plume lui pouvait ôter Mazarin. Tant que dura la guerre civile, les partisans des princes furent recherchés avec soin et punis avec rigueur. A la fin de 1653, Mazarin, victorieux, couronna ses exploits par une amnistie générale; mais cet acte politique était une protection bien insuffisante à des gens de lettres qui ne pouvaient guère se passer des faveurs du gouvernement. Rappelons ici, à l'honneur de Scudéry, que ce n'est pas le seul exemple qu'il ait donné d'une fidélité vraiment chevaleresque. Ami de Théophile, quand celui-ci fut arrêté, Scudéry le défendit, et, après sa mort, composa la pièce intitulée, Le Tombeau de Théophile; on la peut voir en tête de l'édition de Théophile de 1662. Citons encore le trait suivant, Chevræana, Paris, 1697, p. 82: «La reine Christine m'a dit une fois (c'est Chevreau qui parle) qu'elle réservait pour la dédicace que Scudéry « lui ferait de son Alaric une chaîne d'or de 1,000 pistoles; mais, comme M. le comte « de La Gardie, dont il est parlé fort avantageusement dans ce poëme, essuya la disgrâce de la reine, qui souhaitait que le nom du comte fût ôté de cet ouvrage, « et que je l'en informai... il me répondit... que, quand la chaîne serait aussi grosse et aussi pesante que celle dont il est fait mention dans l'histoire des Incas,

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sous son propre nom, madame de Longueville, absente ou présente, dans la prospérité ou dans l'infortune, anime toujours et remplit le Cyrus. Comme elle en est l'héroïne, son frère en est le héros.

D'abord ce nom de grand, que mademoiselle de Scudéry donne à Cyrus (Arlamène ou le Grand Cyrus), n'est-il pas là pour rappeler celui que de bonne heure l'admiration des contemporains décerna spontanément à Condé comme à Corneille? Assurément l'histoire du véritable Cyrus ne contredit point ce titre, mais elle ne l'imposait point; il est tout à fait l'ouvrage de mademoiselle de Scudéry et ressemble fort à une allusion.

Autre conjecture, qui ne paraît pas sans fondement : Cyrus commence à se distinguer sous le nom d'Artamène, comme Condé s'illustra, plusieurs années, sous le nom de duc d'Enghien, avant que la mort de son père lui permît de s'appeler M. le Prince. Aussi, est-ce le duc d'Enghien, tout autant que le prince de Condé, que célèbre le roman de Cyrus. On peut même dire que c'est particulièrement le duc d'Enghien que mademoiselle de Scudéry s'est proposé de peindre. Celui-ci, en effet, offrait bien davantage le modèle de l'héroïsme chevaleresque tel qu'on se le figurait à l'hôtel de Rambouillet, tel que l'exprimaient et l'inspiraient les vers de Corneille. L'âge, la vie des camps et surtout celle de l'exil, gâtèrent un peu les mœurs de Condé; mais il est certain qu'à son début il y avait en lui quelque chose du héros de roman. Il fut toujours d'une modestie admirable, comme Cyrus, ne parlant jamais de ce qu'il avait fait, supportant impatiemment tout éloge, et se plaisant à partager sa gloire avec ses compagnons d'armes pour lesquels il demandait sans cesse, avec un zèle souvent impérieux, que mademoiselle de Scudéry exprime en l'adoucissant. Il garda aussi jusqu'à la fin cette magnanimité naturelle qui éclate dans les moindres actions de Cyrus. Mais, outre cela, Condé, à vingt-deux ans, au sortir des mains de sa sœur et de l'hôtel de Rambouillet, avait le ton et les manières de la parfaite galanterie alors à la mode. Nous avons ailleurs raconté, sur les témoignages les plus authentiques, ses chastes et nobles amours avec mademoiselle du Vigean1. Un peu plus tard, il éprouva encore un senil ne détruirait jamais l'autel où il avait sacrifié. Cette fierté héroïque déplut à la reine, qui changea d'avis; et le comte de La Gardie', obligé de reconnaître la générosité de M. de Scudéry, ne lui en fit pas même un remerciment. » Madame de Longueville se conduisit bien différemment. Elle ne se contenta point de remercier Scudéry et sa sœur dans les termes les plus vifs (Bibliothèque de l'Arsenal, manuscrits de Conrart, in-4°, tomes X et XI), elle leur envoya, de l'exil, son portrait avec un cercle de diamants, et elle ne cessa de leur rendre toutes sortes de services. La Jeunesse de madame de Longueville, chap. 11.

timent presque semblable pour la belle mademoiselle de Toussy, qui devint la maréchale de Lamothe-Houdancourt'. Depuis, comme fatigué d'aimer sans succès des beautés vertueuses, il se jeta dans des succès faciles et compromit sa renommée. Dans le Cyrus, la passion d'Artamène pour Mandane rappelle de la façon la plus vive celle du duc d'Enghien pour Marthe du Vigean. Artamène est partout représenté partageant son cœur entre l'amour et la gloire. Il prend la défense de l'amour qu'on avait traité de faiblesse; il fait profession de penser (tome I, liv. II, p. 692), «que cette faiblesse est glorieuse et qu'il faut avoir « l'âme grande pour en être capable. » Nous avons vu qu'un de ses serviteurs dit de lui que son amour pour Mandane était si respectueux, qu'auprès d'elle le guerrier intrépide devenait le plus timide des hommes. Est-ce à Mandane ou à mademoiselle du Vigean que sont adressées ces paroles (ibid. p. 714): «Qu'avez-vous fait pour Arta« mène que n'ait point approuvé l'innocence ? Vous m'avez fui opiniâ<< trément; vous vous êtes combattue vous-même; vous m'avez caché « une partie de votre bienveillance, et vous ne m'en avez presque « jamais donné d'autres preuves que celles que j'ai pu tirer par de faibles «< conjectures. Il a fallu que j'aie pénétré dans votre cœur par des voies « détournées. Vous m'avez dérobé jusqu'à vos regards, vous avez « ménagé jusqu'à vos moindres paroles, etc. » Quelque passionné qu'il soit pour la guerre, dès qu'il faut quitter Mandane pour aller à l'armée, Artamène se trouble et frémit, comme faisait le duc d'Enghien lorsqu'il quittait mademoiselle du Vigean. «Quand il partait pour l'armée, nous << dit Mademoiselle, le désir de la gloire ne l'empêchait pas de sentir la «< douleur de la séparation, et il ne pouvait lui dire adieu qu'il ne répandît des larmes, et, lorsqu'il partit pour ce dernier voyage d'Alle« magne, (où il remporta la victoire de Nordlingen), il s'évanouit en la « quittant 2. »

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On s'est accoutumé à se représenter Condé d'après le portrait célèbre de Nanteuil; et c'est bien là, en effet, une assez fidèle image du grand Condé. On y reconnaît encore ses yeux pleins de feu, et ce nez fortement aquilin qui donnait à sa figure l'aspect de l'aigle, comme toute sa personne exprimait la force et l'agilité du lion. Mais le portrait de Nanteuil est de l'année 1662, lorsque Condé avait quarante et un ans, et qu'il revenait de l'exil, triste, fatigué, mécontent de lui-même et des autres, et n'ayant pas encore reparu à la tête des armées. Ce n'est pas

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Voyez d'elle le charmant portrait gravé par Poilly. - La Jeunesse de madame de Longueville, ch. II.

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là du tout le héros de Lens, de Nordlingen, de Fribourg et de Rocroy. Pour connaître Condé de vingt-deux à trente ans, pour voir le duc d'Enghien, il faut le chercher dans Grégoire Huret et dans Michel Lasne. Considérez cette gravure d'Huret', où le jeune duc est représenté, en 1643, après la prise de Thionville qu'on aperçoit dans le fond, d'une main tenant la foudre, de l'autre soutenant les fleurs de lis, et foulant à ses pieds un lion terrassé, tandis que la Renommée le couronne, et de sa trompette chante le prince illustre. La force est empreinte dans tous les traits de ce jeune visage. Sa taille est moyenne, mais très-bien prise, et sur ses épaules flotte en désordre l'abondante chevelure à laquelle on reconnaît aisément le frère de madame de Longueville. Prenez le grand cartouche de Michel Lasne, avec la tête de lion dans le haut et dans le bas l'écusson des Condé ce noble portrait, avec cette mine. martiale, ces grands yeux et ces longs cheveux pendants, est si naturel, si peu flatté, qu'il doit être de la plus parfaite ressemblance, comme d'ailleurs tous les portraits de ce grand artiste. Mademoiselle, en 1658, peint ainsi Condé, tel qu'elle l'avait vu avant son exil et au milieu de la Fronde: «Sa taille n'est ni grande ni petite, mais des mieux faites et des plus agréables, fort mince, fort maigre; les jambes belles et bien faites; « la plus belle tête du monde; ses cheveux ne sont pas tout à fait noirs,

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<«< mais il en a une grande quantité et bien frisés. Sa mine est haute et « relevée, ses yeux fiers et vifs, un grand nez, la bouche et les dents pas

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« belles, mais, à tout prendre, il n'est pas laid, et cet air relevé qu'il a sied «< bien mieux à un homme que la délicatesse des traits. » Remarquez que Mademoiselle avertit elle-même qu'elle dira la vérité 2, que Condé n'est plus très-jeune et que déjà il se négligeait. Voici maintenant le portrait qu'en donne mademoiselle de Scudéry à la fin de l'année 1649: il est peut-être un peu flatté, mais tout aussi vrai que celui de Mademoiselle, et il rappelle admirablement Huret et Michel Lasne. Tome III, liv. II, p. 598 « Cyrus avait ce jour-là dans les yeux je ne sais quelle noble « fierté qui semblait être d'un heureux présage 3; et, à dire vrai, il eût été

'Petit in-folio. N'est pas indiqué dans le père Lelong.«J'aime mieux en moins dire et me retrancher sur la vérité. » Bossuet, dans l'oraison funèbre de Condé en 1687, a dit aussi : « ce jeune prince du sang, qui portait la victoire dans ses yeux. Assurément Bossuet n'a pas imité mademoiselle de Scudéry, mais il s'en est souvenu, sans s'en rendre compte, comme dans la merveilleuse peinture de la bataille de Rocroy, il s'est souvenu du récit de la Moussaye et y a pris un de ses traits les plus admirés. «Près de Rocroy, dit la Moussaye, le terrain s'élevant peu à peu fournit un champ spacieux et capable de contenir de grandes armées... «Les deux armées étaient enfermées dans cette enceinte de bois comme si elles avaient eu à combattre en champ clos. Bossuet: « Les deux généraux et les deux

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« difficile de s'imaginer, en le voyant, qu'il eût pu être vaincu, tant sa physionomie était grande et heureuse. Ce prince était d'une taille très-avan«tageuse et très-bien faite; il avait la tête très belle; et tout l'art que les « Mèdes apportent à leurs cheveux n'approchait point de ce que la na<«<ture toute seule faisait aux siens, qui, étant du plus beau brun du « monde, faisaient mille boucles agréablement négligées qui lui pendaient jusque sur les épaules. Son teint était vif; ses yeux noirs pleins d'esprit, de douceur et de majesté; il avait la bouche agréable et souriante, le nez un peu aquilin, le tour du visage admirable, et l'action << si noble et la mine si haute, que l'on peut dire assurément qu'il n'y eut "jamais d'homme mieux fait au monde que l'était Cyrus. »

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Tel était Condé nous allons maintenant le suivre, sous le nom d'Artamène ou de Cyrus, dans ses deux ou trois principaux faits d'armes avant la Fronde, et nous verrons que le roman reproduit toujours fidèlement l'histoire, et que, sur un point même très-important, on se peut servir de l'un pour éclairer l'autre.

(La suite à un prochain cahier.)

V. COUSIN.

Nouvelles recherches sur la division de l'année

des anciens ÉgyptIENS, par M. Henri Brugsh. Berlin, 1856.

PREMIER ARTICLE.

Dans les derniers cahiers de ce journal, j'ai fait connaître à nos lecteurs l'ingénieux travail publié par M. Brugsh sur une éphéméride égyptienne des cinq planètes principales, écrite en caractères démotiques, et qui s'applique au temps de Trajan. J'ai fait remarquer la sagacité avec laquelle le savant égyptologue a reconnu le sujet, la con

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armées semblent avoir voulu s'enfermer dans des bois et dans des marais pour décider leur querelle comme deux braves en champ clos. Voyez La Jeunesse de madame de Longueville, troisième édition, Appendice, Bataille de Rocroy, p. 523. N'est-il pas aussi permis de conjecturer qu'en comparant, avec tant d'éclat, Condé à Cyrus, Bossuet cédait, à son insu, à l'empire de la tradition populaire et universelle qui, après le succès immense du roman de mademoiselle de Scudéry, ne séparait plus les noms des deux héros.

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