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tous les articles, prévu les objections qu'ils pouvaient soulever, et rédigé les lettres patentes qui devaient les confirmer, le tout fut soumis au ministre et discuté de nouveau par lui; puis, le 24 décembre 1663, Colbert fit signer au roi les statuts et les lettres patentes, chargea M. Du Metz de les expédier et sceller le jour même, et fit envoyer d'urgence l'expédition aux trois cours souveraines pour y être vérifiée et enregistrée.

La cour des comptes procéda, dès le 31 décembre, à l'enregistrement pur et simple des lettres et des statuts. La cour des aides ne fit pas plus de difficulté; son arrêt, également pur et simple, fut rendu le 13 février. Quant à l'arrêt du parlement, il n'intervint que trois mois plus tard, le 14 mai 1664, après une lutte opiniâtre soutenue par les jurés. Il y avait sept ou huit ans qu'ils gardaient le silence, ils le rompirent à ce moment suprême et tentèrent un dernier effort. Judiciairement parlant, leur cause était spécieuse : ils soutenaient que les nouveaux statuts n'étaient rendus qu'au mépris et en contravention de l'arrêt de la cour du 7 juin 1652, portant enregistrement et des premiers statuts de l'Académie et du contrat de jonction passé entre elle et la maîtrise. Cet arrêt n'était pas rapporté, il était la loi des parties. Ce qu'on demandait à la cour c'était donc de détruire son propre ouvrage, d'enregistrer le pour et le contre, de se donner un démenti. Sur les esprits de la grand'chambre ce moyen n'était pas sans force, et Mignard l'exploitait avec son savoirfaire accoutumé. Devenu chef des jurés, il les avait poussés à livrer cette dernière bataille. C'était la seule revanche qu'il pût se promettre encore pour se venger du ministre, il n'avait que le parlement.

La manœuvre était si bien conduite et le danger devenait si pressant que Colbert dut écrire de sa main et de la part du roi, pour inviter le procureur général à bien conclure, ce que ce magistrat était visiblement disposé à ne pas faire. L'invitation porta son fruit, mais bientôt il fallut en adresser une autre, le procureur du roi au Châtelet s'étant à son tour avisé de s'opposer à l'enregistrement, dans l'intérêt de sa juridiction. Quand ces avis réitérés eurent fait connaître clairement la volonté royale, les esprits se calmèrent, et M. Tambonneau lui-même se rendit. C'était le rapporteur de l'affaire, honnête praticien, que les vieux titres et l'antique possession de la maîtrise touchaient profondément. Le premier président, Guillaume de Lamoignon, acheva de tout aplanir. Il fit venir à sa maison d'Auteuil les petits commissaires; l'affaire fut mise sur le bureau et jugée sans désemparer. On changea quelques rédactions, on exigea dans les statuts deux restrictions sans importance, pour faire plaisir aux pointilleux, et l'arrêt fut rendu, arrêt contradictoire et sans

appel, portant que : « Nonobstant l'opposition des maîtres, les nouvelles « lettres et les nouveaux statuts seraient registrés au greffe de la cour.» L'issue de ce procès n'était douteuse pour personne, et Lebrun, au fond de l'âme, n'en pouvait être inquiet, mais la joie du triomphe n'en fut pas moins complète et s'exprima par de bruyants transports. Pendant huit jours, ce fut dans l'Académie un concert de louanges, d'admiration et de reconnaissance dont Lebrun fut comme accablé. Il y répondit en donnant à tous ses confrères, dans son logement des Gobelins, le plus magnifique banquet.

Notre tâche serait terminée si nous nous étions seulement proposé de raconter l'établissement de l'Académie royale de peinture et de sculpture. La voilà parvenue à sa constitution définitive; en fait d'autorité, de crédit, de puissance, elle n'a plus rien à conquérir. Mais nous avions un autre but que de faire un simple récit, nous cherchions à nous rendre compte du véritable caractère de cette institution, du genre d'influence qu'elle a exercé sur nos arts du dessin, de la place qu'elle occupe dans leur histoire. C'est là ce qu'il nous reste à étudier. Nous ne sommes entré avec si grand détail dans l'exposé des faits, que pour donner une base plus sûre à nos appréciations. L. VITET.

(La suite à un prochain cahier.)

DIE PHOENIZIER (les Phéniciens), von Dr Movers. T. I, 1841; t. II, re partie, 1849, 2° partie, 1850; t. III, 1re partie, 1856.

DEUXIÈME ARTICLE1.

Dans un article précédent, j'ai, sur la trace de M. Movers, tout en m'écartant un peu de son opinion, discuté ce qui concerne la fondation de Carthage. Le savant écrivain, ayant entrepris de passer en revue toutes les expéditions maritimes des Phéniciens et des Carthaginois, ne pouvait oublier une page importante de l'histoire nautique de ces derniers je veux dire la navigation d'Hannon le long des côtes occidentales de l'Afrique; M. Movers a traité ce point d'histoire avec cette érudi

:

Voyez, pour le premier article, le cahier de février, page 117 et suiv.

tion consciencieuse qu'il a montrée dans tout le cours de son long et important ouvrage. Toutefois, comme mes idées relativement à la marche suivie par Hannon, et au terme de son exploration, s'éloignent un peu de celles qu'a émises M. Movers, on me permettra, je crois, d'exposer à cet égard le résultat de mes observations.

On sera peut-être surpris que j'entreprenne encore de commenter le Périple d'Hannon, attendu que ce monument précieux a déjà exercé l'érudition et la sagacité d'un grand nombre d'antiquaires et de géographes d'un talent distingué. Mais, il faut le dire, les difficultés que soulève cette expédition des Carthaginois sont bien loin d'être complétement résolues. Tout récemment, un de mes savants confrères, M. Dureau Delamalle, a présenté à l'Académie des inscriptions et belles-lettres le résultat d'idées nouvelles qui lui ont paru de nature à jeter beaucoup de jour sur ce fait important de l'histoire ancienne. Comme, à plusieurs égards, je ne saurais partager l'opinion du docte antiquaire, on me permettra, sans doute, de descendre à mon tour dans la lice, et d'exposer modestement ce que je pense sur le sujet qui a donné naissance à ces observations. Le Périple d'Hannon est à coup sûr un des monuments les plus remarquables que l'antiquité nous ait transmis. C'est une planche précieuse, échappée à un immense et irréparable naufrage. Quand on se représente ces longues et aventureuses expéditions qu'avaient entreprises durant tant de siècles les Phéniciens, et à leur exemple les Carthaginois, vers tous les rivages du monde connu, on est profondément affligé en pensant combien de relations importantes ont dû se perdre et s'abîmer dans ce gouffre où a disparu l'histoire presque entière de tant de peuples de l'ancien monde. Nous devons donc accepter et conserver avec un respect religieux ce Périple d'Hannon, le seul monument authentique et original qui nous soit resté de tant d'explorations géographiques et commerciales entreprises par les Carthaginois.

Quand on examine ce Périple, plusieurs questions importantes se présentent à l'esprit du lecteur : 1° Quel fut cet Hannon auquel Carthage confia la conduite d'une entreprise mémorable? 2° A quelle époque cette navigation eut-elle lieu? 3° En quelle langue fut rédigé le Périple? 4° Quels furent les lieux visités en cette occasion par les navigateurs carthaginois, et quel fut le terme de leurs investigations? La solution de ces différentes questions offre, à vrai dire, de très-grandes difficultés. D'un côté, l'extrême concision du texte du Périple, et, de l'autre, l'absence de monuments contemporains relatifs à l'histoire de Carthage, contribuent également à nous laisser dans une vague incertitude.

1o Le nom d'Hannon qui, en langue phénicienne, signifie bienveillant, a été porté chez les Carthaginois par un grand nombre de personnages, en sorte que, si quelque circonstance accessoire ne désigne d'une manière spéciale celui dont il est question, il devient fort malaisé, et souvent impossible, de déterminer à quelle époque a vécu celui dont l'histoire rappelle le souvenir. Le titre de roi, que le texte grec du Périple donne au chef de l'expédition, ne prouve absolument rien. Il indique seulement qu'Hannon avait occupé à Carthage le rang honorable de saffète, c'est-à-dire de «juge, magistrat suprême, p.» M. Kluge, le dernier éditeur du Périple, suppose que cet Hannon fut le père. d'Amilcar, qui perdit contre Gélon la bataille d'Himère, et qui, ne pouvant survivre à sa défaite, se précipita volontairement dans un bûcher. Gette conjecture est certainement fort ingénieuse; mais, comme elle n'est appuyée sur aucun témoignage historique, rien n'oblige ni de l'admettre ni de la rejeter; et toutefois je ne puis accepter cette hypothèse. D'abord, l'expédition que projetaient les Carthaginois présentait un caractère extrêmement pacifique. Il s'agissait d'atteindre un double but: 1o de coloniser quelques points du rivage de l'Océan Atlantique; 2° d'explorer, le long de cette mer, une vaste étendue de côtes, où n'avaient point jusqu'alors pénétré les flottes de Carthage. Une pareille mission réclamait plutôt les talents d'un navigateur expérimenté que ceux d'un général. En second lieu, cet Hannon, qui avait commandé en Sicile les armées carthaginoises, nous est représenté comme un général entreprenant et intrépide; tandis que celui qui dirigeait les opérations de l'escadre envoyée dans l'Océan Atlantique montre partout une circonspection, une prudence, je dirais presque une pusillanimité, qui s'accorderaient difficilement avec l'audace d'un chef accoutumé à braver les hasards de la guerre. Sous sa conduite, les navigateurs carthaginois n'osent presque jamais opérer un débarquement, s'aventurer dans l'intérieur d'une contrée; le moindre bruit, le moindre obstacle, les glace de terreur; et ils fuient devant des êtres peu redoutables, qui n'avaient pour armes que des pierres et des bâtons. Une telle conduite ne caractérise guère, ni chez le général, ni chez les soldats, un sentiment de hardiesse, encore moins d'héroïsme. Il vaut donc mieux avouer là-dessus notre ignorance, et convenir que nous ne savons pas quel était cet Hannon, dont l'intéressante relation fait l'objet de cette notice..

Quant à l'époque où l'on doit placer cette expédition navale des Carthaginois, nous n'avons aucun moyen d'exprimer une opinion certaine. Tout ce qu'on peut supposer, avec vraisemblance, c'est que cette expédition eut lieu avant le moment où les Carthaginois, se laissant entraîner

par les vues d'une ambition démesurée, changèrent le rôle de pacifiques marchands en celui de guerriers, et s'abandonnèrent aux rêves de la soif des conquêtes. En effet, lorsque les Tyriens eurent fondé, sur la côte septentrionale de l'Afrique, la nouvelle ville de Carthage, ces colons n'étaient pas bien nombreux et ne se trouvaient nullement en état de lutter, par la force des armes, contre les peuples sauvages et belliqueux dont ils étaient environnés de toutes parts. C'était, sans doute, par l'ascendant que donne une civilisation supérieure, par des alliances, des présents magnifiques, et, sans doute aussi, en semant la division parmi ces peuplades farouches, qu'ils s'assurèrent à eux-mêmes une sécurité qui les mit à même de réaliser des entreprises commerciales de la nature la plus gigantesque. Durant plusieurs siècles, ils couvrirent de leurs colonies et de leurs comptoirs tous les rivages septentrionaux de l'Afrique. Alors, comme de nos jours, des caravanes traversaient dans tous les sens cette partie du monde, et allaient chercher, dans l'intérieur de ce continent, la poudre d'or, l'ivoire, les gommes et quantité d'autres denrées précieuses qu'elles apportaient sur les marchés de Carthage, d'où ces marchandises allaient se répandre vers le reste du globe. Comme les Phéniciens, de temps immémorial, et longtemps avant la fondation de Carthage, avaient formé des établissements sur les rivages de l'Afrique, les mariages contractés par eux, avec des femmes du pays, avaient produit une race de sang mélangé. Les hommes qui composaient cette classe ont été désignés, chez les écrivains de l'antiquité, par le nom de Liby-Phéniciens. Il en sera fait mention dans le cours de ce mémoire. On conçoit facilement que de pareils êtres, qui, par suite de leur origine, devaient avoir un degré de culture plus avancée que celle des habitants indigènes de l'Afrique, et qui, d'un autre côté, connaissaient et parlaient la langue en usage chez ces derniers, n'avaient pu manquer de s'allier avec les colons de Carthage, et de leur offrir des auxiliaires extrêmement utiles.

Les Carthaginois, après avoir couvert de leurs colonies les rivages septentrionaux de l'Afrique, se basardèrent à passer les Colonnes d'Hercule, et à porter leur navigation dans l'Océan Atlantique. Les côtes occidentales de l'Afrique offraient à leurs recherches et à leur commerce un vaste champ d'explorations. Ils n'étaient pas les premiers qui eussent formé des établissements sur ces rivages lointains. A une époque, peutêtre assez reculée, les Phéniciens avaient parcouru, sans doute à une grande distance, les parages que baigne cette mer, et fondé, le long des côtes africaines, trois cents villes ou comptoirs. Mais, depuis, une nation belliqueuse et sauvage, celle des Pharusiens, avait, par des attaques

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