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JUIN 1857.

VOYAGES DES Pèlerins bouDDHISTES, tome second. Mémoires sur les contrées occidentales, traduits du sanscrit en chinois, en l'an 648 (de notre ère), par Hiouen-thsang, et du chinois en français, par M. Stanislas Julien, membre de l'Institut, etc. Tome Ier, contenant les livres i à VIII et une carte de l'Asie centrale. Paris, imprimé par autorisation de l'Empereur à l'Imprimerie impériale, 1857, in-8° de LXXVIII-493 pages.

I

PREMIER ARTICLE.

M. Stanislas Julien poursuit sa belle entreprise, et voici le second volume des Voyages des pèlerins bouddhistes. Le premier contenait la vie de Hiouen-thsang, par Hoeï-li; ce second volume contient la relation originale de Hiouen-thsang lui-même, telle qu'il l'a traduite sur les documents sanscrits recueillis par lui dans l'Inde, et telle que nous la donne, traduite du chinois, notre savant confrère. Nous avons loué M. Stanislas Julien d'avoir conçu la pensée de cette collection si intéressante; nous le félicitons non moins vivement de la continuer avec tant de persévérance, malgré les obstacles qu'il a rencontrés, et dont il aurait pu s'effrayer, s'il eût été moins courageux. Grâce à la munificence éclairée de la Cour des directeurs de la Compagnie des Indes, ce nouvel ouvrage, achevé depuis longtemps, a pu paraître; et cette première partie des Mémoires de Hiouen-thsang ne tardera point à être complétée par la seconde, qu'on imprime en ce moment. Pour qui connaît l'état actuel des études bouddhiques, c'est un service signalé que

leur rend M. Stanislas Julien, après tant d'autres qu'il leur a déjà rendus; et, si la lecture des Mémoires de Hiouen-thsang est moins attachante que l'Histoire de sa vie et de ses voyages, elle ne sera pas moins féconde en renseignements précieux.

On sait maintenant, par la biographie de Hoei-li, ce qu'est Hiouenthsang. On connaît le caractère et les vertus de ce personnage, sa foi et son énergie, sa magnanimité et son savoir. Je n'insiste pas sur tous ces points, que j'ai tâché, dans une autre occasion, de mettre en lumière; mais il est bon, pour que l'on comprenne toute la valeur des Mémoires de Hiouen-thsang, de présenter quelques considérations générales sur le bouddhisme chinois, et de rappeler le rôle qu'il joue à côté du bouddhisme indien, qu'il développe et qu'il explique à bien des égards.

Depuis les grandes découvertes de M. Hogdson dans les monastères du Népal, où il a pu se procurer les livres originaux du bouddhisme en sanscrit, voilà bientôt trente ans; depuis les travaux de Csoma de Körös, ceux de M. Schmidt, ceux de M. Ph.-Ed. Foucaux, et surtout ceux d'Eugène Burnouf, on possède, sur les doctrines et l'histoire du bouddhisme indien, les documents les plus authentiques et les plus étendus, si ce n'est encore les plus complets. Cette étrange religion, née dans l'Inde du nord, six ou sept siècles avant notre ère, s'est propagée rapidement dans toute la presqu'île, où elle a pu subsister longtemps sans subir de persécution; elle a passé de bonne heure à Ceylan, au midi de la péninsule. Mais elle a surtout réussi au nord, dans les États qui se trouvent sur la rive gauche du Gange et sur les pentes de l'Himalaya. Puis elle a franchi ces montagnes, et elle s'est étendue, avec un succès vraiment prodigieux, parmi ces populations à demi barbares, qui remplissent les vastes espaces du Tibet et de la Mongolie. De plus, elle a pénétré à l'est; et, traversant les bouches du Gange, comme elle avait traversé l'Himâlaya et l'Indou-Kouch, elle a envahi le Birman, l'Ava et ces immenses provinces qui séparent l'Inde de la Chine. Enfin, elle est arrivée de proche en proche dans la Chine ellemême; et, dès l'an 61 de notre ère, elle y avait fait assez de progrès pour y être officiellement adoptée par les empereurs.

Ce ne sont pas là des conjectures plus ou moins probables, recueillies dans de vagues traditions et répétées sur des autorités suspectes. Ce sont des faits absolument incontestables qui reposent sur des ouvrages considérables, dont une partie est déjà imprimée et dont le reste le sera bientôt; car les analyses qui en ont été faites par les juges d'ailleurs les plus compétents ne suffiront pas à la curiosité de notre

âge. Les originaux des livres bouddhiques sont en deux langues, fort rapprochées l'une de l'autre, quoique distinctes, le sanscrit dans l'Inde, et le pâli à Ceylan. Ces livres sont au nombre de plusieurs centaines, que possèdent nos bibliothèques, enrichies par les libéralités de M. Hodgson, et d'où les tire chaque jour la sagacité de nos philologues. Ils ont été traduits, à diverses époques, par les Tibétains, par les Mongols, par les Birmans, par les Chinois; et ces traductions existent dans les recueils les plus volumineux et les plus authentiques, aussi bien que les livres primitifs d'après lesquels on les a faites. C'est sur cet ensemble de documents qu'on peut aujourd'hui étudier la religion bouddhique en elle-même d'abord, et dans ses branches principales.

Ces rameaux du bouddhisme, qui couvrent la plus grande partie de l'Asie, et qui embrassent le tiers tout au moins de l'humanité, sont dans des relations diverses avec le tronc qui les a portés. Les emprunts qu'ils lui ont faits sont ou directs, ou médiats, sans cesser d'être aussi certains qu'importants. A Ceylan, et dans la presqu'île au delà du Gange, les ouvrages canoniques, rédigés en pâli, sont si ressemblants aux livres sanscrits du nord de l'Inde, qu'on hésite entre les deux rédactions. On est embarrassé de donner à l'une la priorité sur l'autre, et l'on peut se demander si le pâli a servi de texte au sanscrit altéré et corrompu du Népâl, ou si, au contraire, ce n'est pas plutôt ce sanscrit, tout incorrect qu'il est, qui a été le point de départ de la version singhalaise. Mais je laisse de côté cette question délicate, que Burnouf se proposait de traiter quand une mort prématurée est venue l'enlever à ce labeur comme à tant d'autres non moins regrettables. S'il reste quelques doutes sur les livres bouddhiques, rédigés en pâli, il n'y en a point pour les traductions birmanes, qui ont été calquées certainement sur la version dont Ceylan a fait usage. Il ne reste pas de doutes davantage sur les traductions tibétaines; elles ont eu pour modèle le texte sanscrit, comme l'a constaté M. Ph.-Ed. Foucaux en traduisant du tibétain le Lalita-Vistara et en confrontant la version tibétaine avec l'original sanscrit du Népâl. M. Schmidt a obtenu un résultat identique en traduisant les ouvrages mongols. Enfin, les Chinois ont employé le même procédé; et c'est sur le sanscrit directement qu'ils ont traduit les livres bouddhiques, dès les premiers siècles de notre ère et bien longtemps avant les Tibétains, qui, cependant, avaient reçu la foi bouddhique plusieurs siècles avant eux.

Quant à nous, c'est du tibétain, du mongol et surtout du sanscrit, que nous avons, jusqu'à présent, tiré la connaissance des livres canoniques du bouddhisme. On n'a rien demandé aux traductions chinoises,

bien qu'elles doivent être au moins aussi nombreuses et peut-être aussi exactes 1.

Mais ce que les Chinois ont par-dessus tous les autres peuples bouddhiques, ce sont les voyages de leurs missionnaires. A partir du IV siècle de notre ère au plus tard, jusqu'au x et au x1° siècle, une foi ardente entraîna une foule de pèlerins dans l'Inde; ils bravèrent les effroyables périls de la route pour aller retremper aux sources originales une croyance qui s'altérait dans leur pays; et les récits de leurs pérégrinations, plus ou moins complets, ont été conservés avec la scrupuleuse exactitude qui est une des qualités du caractère chinois. Il est assez probable que, chez les Tibétains et les Mongols, il s'est passé quelque chose d'analogue, et qu'il y a eu parmi ces peuples aussi plus d'un dévot pèlerinage. Mais le souvenir n'en a pas subsisté, et nous ne connaissons point de monuments qui en gardent la mémoire, tandis que, dans la Chine, rien ou presque rien ne s'est perdu.

Il paraît certain que, dans ces relations religieuses, devenues plus tard si intimes, c'est l'Inde qui d'abord a provoqué la Chine. Deux cent dixsept ans avant notre ère, un çramaņa pénétra le premier dans l'Empire du Milieu et y porta les germes de la religion nouvelle. Ce fait, consigné dans les annales chinoises 2, prouve que le bouddhisme a eu ses apôtres, comme on pouvait le supposer; et que l'esprit de propagande, dont le Bouddha lui-même avait donné l'exemple, n'a pas été étranger à cette religion non plus qu'à tant d'autres. Le prosélytisme est un devoir quand on se croit appelé à sauver les hommes par la vérité dont on possède le dépôt; et c'est là une des prétentions les plus nobles, si ce n'est les mieux justifiées, du bouddhisme. Le Bouddha était venu montrer au reste des créatures la voie du salut; et il était tout simple que ses disciples, en voulant l'imiter, conviassent le genre humain à les y suivre.

1

Par exemple, c'est au tibétain que M. Ph.-Ed. Foucaux a emprunté la traduction du Lalita-Vistara. Il aurait pu, s'il l'avait voulu, traduire directement l'original sanscrit, qu'il a, d'ailleurs, toujours consulté pour vérifier la traduction tibétaine. Le Lalita-Vistara aurait pu être connu également par les traductions chinoises, puisqu'il a été traduit jusqu'à quatre fois en chinois, la première remontant à l'an 76 de notre ère. D'un autre côté, c'est sur l'original sanscrit que M. E. Burnouf a traduit le Lotus de la Bonne Loi. On pouvait le tirer indifféremment de la traduction tibétaine que M. E. Burnouf a très-utilement consultée dans bien des cas, ou des traductions chinoises, dont la première est de l'an 280 de notre ère. J'ai traité plus au long de toutes ces questions dans le premier de mes articles sur le bouddhisme; voir le Journal des Savants, cahier de mai 1854, page 280 et 281. - Abel Rémusat, Foe-koue-ki, page 41, et préface de M. Landresse au Foe-koue-ki, page 38.

2

C'est là sans doute ce qui conduisit en Chine les premiers apôtres samanéens. Mais nous ne savons point, et peut-être ne saurons-nous jamais précisément comment se produisirent ces premières prédications. Tout ce que l'on peut conjecturer, c'est qu'elles réussirent avec assez de peine, puisqu'il leur fallut trois siècles encore avant que le bouddhisme ne devînt en Chine une religion publique et nationale, sans être, d'ailleurs, à l'abri des persécutions et des réactions violentes.

Mais il semble que ce n'était pas par les apôtres venus de l'Inde que la Chine eût dû recevoir le bouddhisme et le voir se propager dans son sein. Chez ce peuple, où tout semble se faire à l'inverse des autres, on alla chercher la foi religieuse chez les étrangers, loin d'attendre qu'ils l'apportassent. Ce fut une sorte de prosélytisme retourné. Les pèlerins chinois, j'ai eu tort de dire les missionnaires, se rendirent dans l'Inde, à quelques mille lieues de leur patrie, pour y puiser un dogme plus pur ou réveiller les langueurs d'une croyance qui s'affaiblissait. Il fallut s'y reprendre à plusieurs fois, et, pendant six siècles à peu près, les pélerinages furent constants, avec des succès plus ou moins féconds. Après être parvenu dans l'Inde, et surtout dans l'Inde du nord et dans l'Inde centrale, on y résidait pour en apprendre la langue, gardienne du dépôt sacré de la Loi; on parcourait ensuite le pays plus ou moins longtemps; on y recueillait des traditions saintes; on y visitait les monuments et les lieux consacrés par la présence du Bouddha; on consultait les docteurs les plus autorisés et l'on conférait avec eux dans de solennels entretiens; on se mettait à leur école quand on les trouvait dignes d'une telle déférence par leur savoir et leur sainteté; on obtenait d'eux les livres canoniques dans les éditions les plus correctes; on y joignait les commentaires les plus développés et les plus fameux; on en faisait des collections les plus nombreuses possible, et, quand on ne pouvait pas se procurer les ouvrages eux-mêmes, on en notait du moins les titres avec une pieuse vénération pour les recommander aux recherches de successeurs plus heureux. A tous ces trésors de la science, on ajoutait, quand on le pouvait, des statues du Bouddha, surtout quelques parcelles de ses reliques inestimables; et l'on revenait triomphalement dans sa patrie, après quinze ou vingt ans d'exil et de souffrance, rapportant ces richesses et ces lumières acquises au prix de tant d'efforts et de dangers. Puis on passait le reste de sa vie à traduire, pour l'usage de ses compatriotes, raffermis dans leur salutaire croyance, ces précieux livres qui leur seraient demeurés inaccessibles dans la langue originale.

Telle a été la carrière de la plupart des pèlerins bouddhistes, du moins de ceux qui ont pu accomplir leur entreprise tout entière, et mener

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