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DES SAVANTS.

AOÛT 1857.

Lettres de JeaN CALVIN, recueillies pour la première fois et publiées, d'après les manuscrits originaux, par Jules Bonnet. Paris, 1854, librairie de Ch. Meyruis et Compagnie, 2 vol. in-8°.

CINQUIÈME ARTICLE1.

Le château d'Amboise, dans lequel les Guise s'étaient enfermés avec le jeune roi François II, était d'un accès difficile. Il s'élevait sur un rocher assez vaste, flanquant la rive gauche de la Loire et formant une esplanade dont les bords étaient presque à pic dans la plus grande partie de sa circonférence, et d'où l'on dominait le cours de la Loire au nord et la forêt d'Amboise au sud. Le rocher était de forme longitudinale, et le château qu'y avaient construit les anciens comtes d'Anjou, qu'avait réparé et fortifié Charles VII en 1421, et auquel Charles VIII avait ajouté, trois quarts de siècle auparavant, deux grosses tours, l'une du côté de la rivière et l'autre du côté de la forêt, s'étendait de l'est à l'ouest. Vers sa partie occidentale et à ses pieds était la petite ville d'Amboise, qui était entourée de murailles et qu'il fallait assiéger, si l'on n'y était pas introduit. La possession même de la ville n'entraînait point la prise du château, dont il était plus malaisé encore de se

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Voyez, pour le premier article, le cahier de décembre 1856, page 717; pour le deuxième, celui de février 1857, page 92; pour le troisième, celui de mars, page 156, et, pour le quatrième, celui de juillet, page 405.

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rendre maître. On ne pouvait y pénétrer que par des tours faciles à garder et par des ponts-levis jetés sur les fossés qui le couvraient là où le rocher taillé à pic n'en défendait pas l'abord. Le 6 mars, toute la cour fut sous les armes. Ce jour-là et les jours suivants, la place d'Amboise fut fermée et défendue comme si l'ennemi eût été à ses portes et que le roi y fût menacé d'un siége1.

Dans ces moments de vives alarmes, d'après les conseils de l'amiral Coligny 2, qui venait d'être mandé à la cour sur les instances de la reine mère, poussée à la modération par la crainte, et de l'avis du chancelier Olivier, que son équité et sa clairvoyance auraient, s'il n'avait pas été si faible, disposé non-seulement à suspendre les poursuites contre les dissidents, mais à leur accorder une entière tolérance, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine consentirent à un édit d'adoucissement dans la persécution. Ils espérèrent apaiser par là la secte poussée à bout et devenue entreprenante des réformés. François II avouait, dans cet édit, que, à son avénement à la couronne, ayant trouvé la plupart des provinces troublées par des dissensions religieuses et par la licence des guerres passées, agitées par des prédicants venus de Genève, inondées de livres qui étaient apportés de cette ville hérétique, et dont on avait infecté le peuple de son royaume, il avait, conformément à ses devoirs et aux ordonnances, fait procéder avec rigueur contre ceux qui avaient été pris par la justice et reconnus sacramentaires. Mais il ajoutait que le nombre des prisonniers arrêtés, pour avoir été entraînés avec simplicité et ignorance dans les assemblées illicites des prédicants, ou qui avaient pris part à l'administration de la cène et du baptême, selon l'usage de Genève, était trop grand, et l'obligerait, s'il voulait agir rigoureusement, à verser trop de sang, ce qui répugnait à son naturel et à son âge, et qu'il s'était dès lors décidé à user envers eux de clémence et de miséricorde. C'est pourquoi, de l'avis de la reine, sa mère, des princes du sang, d'autres

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Desto ha avido tanta alteracion en todos, y dado tantas muestras della como - si tuvieran un exercito enemigo á las puertas porque aquellos dias que tenian

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aviso que se avia de intentar la conjuracion, encerrandose en el palacio llamaron los cavaileros de la orden que le velassen redoblando las guardias ordinarias del rey chr y del palacio, no dexando entrar en el a quien no fuesse muy conocido < y segur. Dépêche de Chantonnay, du 19 mars. — Tous les historiens contemporains prétendent que les trois Châtillon vinrent en même temps à la cour; c'est inexact. Le cardinal Ꭹ était déjà. Dans une lettre qu'il écrit, le 26 février, à son oncle le connétable, il lui annonce que l'amiral, son frère, a été mandé à cause des affaires d'Écosse. Ms. Béthune, n° 8674, fol. 22 v°. Quant à d'Andelot, il n'arriva que le 15 à Amboise, longtemps après Coligny. Dépêche de Chantonnay,

du 19 mars.

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grands, princes et seigneurs de son conseil, de son chancelier, il leur donnait une amnistie générale, à condition qu'ils vivraient désormais en bons catholiques. Il n'en exceptait que les prédicants et les conspirateurs contre sa personne, sa famille et son Etat. Cet édit, donné à Amboise, le 8 mars, et vérifié en toute hâte à Paris, le 11, par le parlement1, était à la fois tardif et insuffisant. Il ne devait pas arrêter les conjurés qui étaient en marche, et rassurer les protestants qui, pour sortir de prison ou pour n'y être pas jetés, étaient réduits à abjurer leur foi religieuse et à rentrer dans l'Eglise catholique.

Du 6 au 9 mars, les Guise s'étaient tenus constamment sur leurs gardes. Ils avaient fait mettre à la torture2, avec quelques hommes suspects qu'on avait déjà arrêtés sur les bords de la Loire, les prisonniers mystérieusement amenés de Vincennes. L'Angevin Soubselles et l'Écossais Stuart y avaient été appliqués quatre fois, et si rudement, que le dernier y avait eu le bras cassé. Rien n'ayant été dévoilé par eux, et personne ne se montrant, les Guise, qui avaient mandé quatre cents hommes d'armes, fait monter Sipierre, gouverneur des frères du roi, vers Orléans, pour y lever des troupes, descendre le comte de Sancerre vers Tours, pour surveiller le cours inférieur de la Loire, commencèrent à se rassurer. La confiance leur revint, et, le 10 mars, ils permirent au jeune roi de sortir du château où il était confiné, pour aller à la chasse3.

L'entreprise semblait manquée et, certainement elle était compromise. Calvin en augurait plus mal que jamais; il était dans la plus grande anxiété sur son issue. Il en connaissait l'époque, bien qu'il en eût désapprouvé le dessein; aussi écrivait-il, le 23 mars, à Jean Sturm instruit de la conspiration, à Strasbourg, comme il l'était lui-même à Genève : « Ce qu'ils ont conçu follement, ils l'ont accompli puérilement. «Je regrette maintenant leur molle inaction; ce qu'ils avaient résolu « d'exécuter avant les ides de mars, je sais que cinq jours après ils ne «<l'avaient pas tenté encore. De moment en moment nous nous atten

« dons à apprendre où ont abouti leurs magnifiques efforts. >>

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1 Mémoires de Condé, t. I, p. 335 à 337. Les noms de tous ceux qui ont pris part au conseil dans lequel l'édit a été accordé sont exactement indiqués. — Dépêches de Throckmorton, du 7, et de Chantonnay, du 19 mars. «En este alboroto se « estuvo hasta quatro dias, despues commenço el rey a salir à caça. » (Dépêche du 19 mars, B. 11, n° 111 à 116.) «Quod stulte agitaverant, pueriliter deinde aggressi sunt. Nunc me ignaviæ eorum piget, quia quod ante idus martias exequi statuerant, scio nondum tentatum fuisse quinque post diebus. Nunc in singula momenta expectamus quorsum magnifici eorum conatus eruperint.» (Lettre ms. arch. eccl. de Berne.)

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Calvin ne se trompait pas. Il n'y eut rien de moins bien conduit et de plus confus que cette entreprise téméraire et désordonnée, dont beaucoup d'historiens ont fait, avec trop d'imagination, le complot le plus savant et le mieux ourdi. La découverte inévitable qui en était venue du dehors et que confirma du dedans, vers les derniers jours de février ou les premiers jours de mars1, l'infidélité d'un avocat protestant, de Paris, nommé des Aveneles, chez lequel logeait La Renaudie, dans le faubourg Saint-Germain, et qui, après en avoir reçu de la Renaudie même l'entière confidence, l'avait dénoncée en la faisant connaître avec plus de détail au cardinal de Lorraine, rendait toute surprise désormais impossible. Il n'en était pas de même d'une attaque. Bien qu'avertis du danger, les Guise avaient assez faiblement pourvu à leur défense, et, si les conjurés avaient mis assez de concert dans leur arrivée et d'ensemble dans leur agression, ils auraient eu quelque chance de réussir. Mais, soit que les chefs du complot eussent été contraints, par le déplacement de la cour, qu'ils apprirent tard, de changer les rendezvous de leurs troupes, soit qu'il leur fût malaisé de conduire celles-ci des diverses parties du royaume sur les bords de la Loire aussi vite qu'ils l'avaient cru d'abord, ils avaient retardé de dix jours l'exécution de leur entreprise, qui fut renvoyée du 6 au 16. Toutefois, s'ils en ajournèrent l'époque, ils n'en modifièrent pas le plan, et ils conservèrent encore l'espérance de surprendre ceux qu'il était devenu nécessaire et qu'il n'était pas moins difficile de vaincre.

Ils s'étaient mis en marche des diverses provinces, par petites troupes, portant leurs armes et leurs munitions dans des coffres et sur des bêtes de somme. Ils s'acheminaient avec confiance vers les bords de la Loire, soit à travers champs, soit au milieu des villes qui les laissaient passer sans obstacle, et dont quelques-unes, comme Orléans et Tours, au-dessus et au-dessous d'Amboise, les logèrent et leur fournirent des vivres. Mais parties de points si inégalement éloignés, elles ne purent ni se trouver en même temps sur le même lieu, ni s'y entendre pour y agir de concert. Les unes y arrivèrent trop tôt, les autres y parvinrent trop tard. Les premières parurent dès le 12 mars. Le comte de Sancerre surprit ce jour-là vers Tours une petite troupe, à laquelle il fit dix-huit prisonniers, et le surlendemain on arrêta dans les champs, à deux lieues d'Amboise, une autre troupe qui, dans sa con

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Il ne put pas l'avoir divulguée plus tôt. Lui-même dit au cardinal de Lorraine, d'après Regnier de la Planche, que dedans dix ou douze jours, ce serait fait ou failli,

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fiance, annonça la venue prochaine de cinquante mille hommes1. Ces deux bandes furent suivies de près par une trentaine de gentilshommes ou de vieux soldats, à la tête desquels se trouvaient le baron de Castelnau Chalosse, le capitaine Mazères, et Raunay, le maître du château de Noisay, situé à une lieue d'Amboise et principal rendez-vous des conjurés. Ils entrèrent dans le faubourg de Tours et s'y logèrent. Le comte de Sancerre, fort bien accompagné, entreprit de les saisir ou de les expulser; mais ils lui résistèrent avec vigueur. Le comte de Sancerre ayant, au nom du roi, appelé à son aide les habitants de Tours sans qu'aucun ne bougeât, n'osa point s'engager entre une bande dont il ne connaissait pas la force et une ville dont il redoutait la défection. Il n'attaqua dès lors point Castelnau qui, de son côté, profita de la nuit pour sortir de Tours, traversa la Loire, qu'il remonta par la rive droite jusqu'à la hauteur de Noisay. Le 15 mars au matin, il était avec les siens dans ce château, où il attendit les autres conjurés 2.

C'était la veille du jour définitivement fixé pour l'exécution du complot. Les Guise, qui avaient envoyé le comte de Sancerre à Tours, le maréchal de Thermes à Blois, qui avaient chargé leurs zélés partisans, Sipierre et Villegomblain, de rassembler avec une grande diligence le plus d'hommes de guerre et de gentilshommes armés qu'ils pourraient, et qui firent partir un peu plus tard le maréchal de Vieilleville pour Orléans, instruits du passage de Castelnau à Tours et de sa présence à Noisay, tombèrent de nouveau dans de profondes alarmes. La défiance s'ajouta à leur crainte lorsqu'ils virent arriver le même jour3 à Amboise le prince de Condé et d'Andelot, qu'on soupçonnait de conduire ou de favoriser l'entreprise. Ils veillèrent à la garde du château avec plus d'anxiété encore qu'ils ne l'avaient fait le 6, et l'un des témoins de leurs dispositions et de leur épouvante en retrace ainsi le saisissant tableau: « C'est une merveille de voir dans quel état de crainte et de «< confusion ils sont, eux qui, en d'autres temps, n'ont pas eu peur de grandes armées de cavaliers, de fantassins, et de la furie tonnante des «< canons. Je n'ai jamais vu des gens plus terrifiés et qui de moment en « moment s'abandonnent davantage. Ils ne savent sur qui ils peuvent

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Respondieron muy confiados quales nos veys, y por lo mismo vereys antes de muchos dias cinquanta mil hombres. Dépêche de Chantonnay, du 19 mars. — Dépêches de Throckmorton à Élisabeth, du 21 mars, dans Forbes, t. I, p. 376 à 380; et de Chantonnay, du 19 mars. Ayer, dit Chantonnay dans la partie de la dépêche qu'il écrivait le 16 et qu'il ne ferma que le 19, llegaron a esta « corte el principe de Conde y Mos' de Andelot.» (Papiers de Simancas, B. II, no 111 à 116.)

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