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tables de la lune, une nouvelle série d'efforts, qui furent surtout provoqués par l'Académie des sciences et le Bureau des longitudes de France. L'ouvrage de M. Hansen est un dernier résultat de l'impulsion qui fut alors imprimée à l'astronomie lunaire. Je devrai donc expliquer comment elle s'est exercée avant de se propager jusqu'à lui; et alors l'analyse de son travail montrera ce qu'il doit, ce qu'il ajoute à ses devanciers. Tel sera l'objet de mon second article.

(La suite à un prochain cahier.)

J. B. BIOT.

TRAVELS AND RESEARCHES IN CHALDEA AND SUSIANA, with an Account of excavations at Warka..... and Shush..... in 18491852-1853-1854, by William Kennett Loftus. London, 1857,

in-8°.

DEUXIÈME ARTICLE1.

M. Loftus, après avoir exploré la Babylonie, quitta les bords de l'Euphrate, traversa le désert jusqu'à Basrah (Bassora), descendit le Schatel-Arab, jusqu'à une ville nouvelle, appelée Mohammarah, et, de ce point, se dirigea vers les principales villes de la Susiane. M. Loftus pense, et je partage son opinion, que Mohammarah nous représente Spasinu-Charax, l'ancienne capitale du royaume de Mésène. Comme il s'agit ici d'un point de géographie et d'histoire fort intéressant, j'ose croire que l'on me pardonnera si je m'engage, à cet égard, dans une discussion un peu approfondie.

Il exista jadis, dans l'Orient, à l'extrémité méridionale de l'Asie, près des rivages du golfe Persique, une province désignée sous le nom de Mésène. Cette contrée, par suite de sa médiocre étendue, semblait destinée à jouer, dans l'histoire, un rôle extrêmement secondaire. Et toutefois, grâce à sa situation, qui la rendait susceptible de servir d'entrepôt pour le commerce avec l'Inde, elle devint florissante, obtint et conserva, durant un laps de temps assez considérable, un degré de richesse

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Voyez, pour le premier article, le cahier de mai, page 273.

et de puissance pour lequel la nature ne l'avait pas prédestinée. Un savant, distingué par son érudition et sa sagacité, feu Saint-Martin, avait fait, de ce petit pays, l'objet de recherches intéressantes. Et ce sujet, qui paraissait ne pouvoir fournir la matière que d'un petit nombre de pages, prit, sous sa plume, l'étendue d'un volume entier; malheureusement, la mort prématurée de l'auteur ne lui permit pas de publier son travail, qui vit le jour par les soins de M. Lajard. Moi-même, avant l'apparition de cet ouvrage, j'avais écrit, sur le même sujet, un mémoire, qui est resté entièrement inédit. Aujourd'hui, de nouvelles réflexions m'ont engagé à modifier mon sentiment, ainsi que celui de mon docte confrère, et je vais exposer l'opinion que je me suis formée sur ce point d'érudition intéressant.

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En abordant cette discussion, une première question se présente d'abord. Il s'agit de savoir si le nom de Mésène, Meovn, est d'origine grecque, ou si cette dénomination, appartenant à une langue de l'Orient, a, par la suite, reçu une terminaison grecque. On sait que, chez les Syriens, cette contrée est désignée par le nom de Mischan,, et, chez les Arabes, par celui de Maïsan,. Saint-Martin n'a point hésité à adopter la seconde hypothèse. Il suppose que le nom de cette contrée existait antérieurement à la domination des Séleucides, et il ajoute que le nom Meovn ne paraît pas formé d'une manière analogue au génie de la langue grecque.

La question ne pourrait manquer d'être décidée dans ce sens, si l'on croyait devoir s'en rapporter au témoignage de Josèphe. Cet historien, commentant le dixième chapitre de la Genèse, fait observer que Moïse indique, parmi la postérité d'Aram, un fils nommé Masch, vp. L'écrivain ajoute: «Mesas fonda la nation des Messanéens, dont la capitale « se nomme aujourd'hui Spasinu-Charax. » Mais, quand il s'agit de ces temps antiques, qui remontent jusqu'à l'origine même de l'histoire, l'autorité de Josèphe ne saurait être invoquée comme un témoignage irréfragable. Car il n'avait sous les yeux aucun monument contemporain, et son opinion, à cet égard, n'était fondée que sur une conjecture, produite par la ressemblance des noms. Or une pareille ressemblance, quand elle n'est pas appuyée de preuves plus directes, ne peut former la démonstration d'une vérité historique.

Saint-Martin, pour confirmer son hypothèse, cite un autre passage du même chapitre de la Genèse, où Moïse, passant en revue les fils de Joctan, ajoute ces mots : « Ils habitent depuis Mescha, en se dirigeant << vers Sefar, et la montagne orientale. » Saint-Martin, à l'exemple de Gesenius, a pensé que le mot Mescha devait signifier la province de Mésène.

Mais je ne saurais souscrire à cette opinion. Et, en effet, si on examine avec attention le récit de Moïse, on se convaincra, je pense, que les lieux dont il fait mention, et qui composaient l'habitation des fils et des descendants de Joctan, devaient être compris dans l'Arabie heureuse, et former, des deux côtés, les limites de cette vaste contrée. Or la Mésène n'a jamais fait partie de cette division de l'Arabie. S'il est permis de hasarder une conjecture sur un point de géographie dont l'origine se perd dans la nuit des temps, on peut supposer que la ville appelée Mescha répond à la ville actuelle de Mokha, celle de Sefar à Dafar, et que la montagne orientale nous représente cette vaste chaîne de montagnes qui traverse du nord au sud la province d'Oman, et se prolonge jusqu'au cap Mocendom.

Il m'est impossible d'admettre que, du côté de l'orient, la contrée de Mésène se soit étendue jusque vers les frontières de la Perse. On lit, il est vrai, dans Pline: «Susianis ad orientem versus junguntur Oxii << latrones et Mizæorum XL populi, liberæ feritatis. » Saint-Martin a pensé que ces peuples, appelés Mizei, formaient une portion de ceux qui habitaient la Mésène. Mais je ne puis admettre cette hypothèse. Jamais, je crois, les limites de cette province ne se sont étendues aussi loin, du côté de l'orient. Si je ne me trompe, la leçon Mizæi, que nous offre le texte de Pline, est le produit d'une erreur de copiste ; mais que faut-il lire à la place? On pourrait être tenté d'y substituer le mot Mardi. En effet, Strabon, citant le témoignage de Néarque et passant en revue les peuples de l'Orient qui vivaient de brigandage, atteste expressément que les Mardes étaient voisins des Perses; que les Uxiens et les Élyméens confinaient avec eux et avec les habitants de la Susiane. On voit que ce passage correspond parfaitement à celui de Pline, et semble avoir été puisé à la même source. Mais, comme cette conjecture paraîtrait, sans doute, un peu hardie, il est facile de présenter une explication beaucoup plus simple, Dans un passage d'Hérodote', il est fait mention d'un département de l'empire de Perse qui comprenait, entre autres peuples, les Outiens, Ouriwv, les Myces, Múxwv, et les habitants des îles de la mer Érythrée. Si je ne me trompe, ces Myces nous représentent les Mizéens de Pline. Les Outiens, dont le nom, je crois, ne se trouve pas ailleurs, ne sont autres que les Ouxiens ou Uxiens. Enfin, par ces îles de la mer Érythrée où, suivant le même historien 2, le roi de Perse faisait déporter ses sujets rebelles, il faut entendre les grandes îles dispersées sur la surface du golfe Persique.

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Nous n'avons, je crois, aucun motif qui nous porte à croire que le nom de Mésène remonte à une époque plus ancienne que la domination grecque sur l'Orient. On peut donc supposer que le nom par lequel on a désigné cette province appartient réellement à la langue des peuples de la Grèce. Et je ne vois pas pourquoi cette dénomination n'aurait pas tiré son origine du mot μéoos désignant « ce qui est au mi«< lieu,» puisque, comme on va le voir, cette province se composait originairement d'une grande île renfermée entre deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate. Cette forme, je crois, n'a rien d'insolite, rien d'étranger au génie de la langue grecque. Et, en effet, il existait dans le Péloponèse une province appelée Messénie, Meσon, mais dont le nom, dans l'histoire de Polybe, est souvent écrit Meovn. On peut supposer que cette orthographe était l'orthographe primitive, et que cette contrée avait dû son nom à ce qu'elle se trouvait comprise entre deux golfes de la mer Méditerranée.

Il paraît même que, sous la domination des Séleucides, le nom de Mésène n'était pas encore connu, ou avait acquis seulement une faible célébrité, car ce nom ne se rencontre pas chez les écrivains qui nous ont transmis l'histoire de cette puissante dynastie. Au rapport de Polybe 1, Xénotas, envoyé par Antiochus le Grand pour faire la guerre à Molon, appela sous ses drapeaux Diogène, gouverneur de la Susiane, et Pythiades, qui commandait sur les rivages de la mer Érythrée. Un peu plus tard 2, Molon, s'étant rendu maître de la Babylonie et de tout ce qui avoisinait la mer Erythrée, τῆς περὶ τὴν ̓Ερυθρὰν θάλατταν, arriva à Suse. Après la défaite et la mort du rebelle, Tychon, général d'armée, fut envoyé par Antiochus vers les lieux situés dans le voisinage de la mer Erythrée, ἐπὶ τοὺς κατὰ τὴν Ερυθρὰν θάλατταν. Si, à cette époque, la Mésène avait formé une province tant soit peu importante, il est probable qu'elle aurait composé une satrapie particulière, qu'elle se présenterait désignée par une dénomination spéciale, et ne se trouverait pas confondue avec d'autres, sous la dénomination commune de « pays voisins de la mer Érythrée. »

Comme l'opinion que je viens d'émettre contredit celle qui été adoptée par des antiquaires éminents, je me vois obligé, pour défendre mon hypothèse, de m'engager dans une discussion un peu approfondie, et d'examiner les passages que l'on a produits, jusqu'à présent, pour prouver le contraire de ce que j'avance. Pline

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1 Historia, lib. V, cap. XLVI, t. II, p. 309. Cap. XLVIII, p. 314. — Cap. LIV, p. 329.

le Naturaliste, parlant de la ville de Spasinu-Charax, sur laquelle je donnerai plus bas quelques détails, atteste que cette place, ayant été détruite par une inondation, fut rétablie par Antiochus, le cinquième des rois, qui lui donna son nom. «Antiochus restituit quintus regum, <«<et suo nomine appellavit. » Ce passage a extrêmement embarrassé les antiquaires et les philologues. Comme on a supposé que cet Antiochus appartenait, de toute nécessité, à la dynastie des Séleucides, on s'est demandé si, par les mots « quintus regum,» il fallait entendre le cinquième des rois de cette dynastie, ou le cinquième de ceux qui ont porté le nom d'Antiochus. Comme cette dernière hypothèse paraissait se concilier difficilement avec les récits que nous ont transmis les historiens sur les événements qui ont signalé le règne d'Antiochus V, surnommé Eupator, Saint-Martin, à l'exemple du P. Hardouin, a supposé que le prince désigné par les mots Antiochus quintus regum nous représentait, non pas Antiochus V, mais Antiochus VI, surnommé le Dieu. Visconti, au contraire, adoptant l'opinion de Froelich, a prétendu que, par cet Antiochus quintus regum, il fallait entendre Antiochus Ier Soter, qui fut, en effet, le cinquième des rois de l'Asie, à compter depuis Alexandre le Grand. Mais je ne saurais admettre aucune de ces deux hypothèses. Si Pline avait voulu indiquer un roi de la dynastie des Séleucides, il l'aurait désigné d'une manière expresse, et n'aurait pas employé cette façon de parler si complétement vague, quintus regum. Et cela, d'autant plus que, dans tout ce qui précède, le naturaliste romain n'avait pas nommé les Séleucides. S'il l'avait fait, on conçoit qu'il eût pu, sans crainte d'égarer le lecteur, se servir de l'expression quintus regum. Mais, comme le nom des Séleucides ne se rencontre pas dans ce chapitre, rien n'oblige de voir, dans le roi dont l'historien fait mention, un prince appartenant à cette puissante dynastie. Or, comme le savent très-bien les antiquaires, le nom Antiochus n'a pas été porté exclusivement par des monarques Séleucides. Les listes des princes de plusieurs autres dynasties orientales nous offrent également la même dénomination. Si je ne me trompe, les mots Antiochus quintus regum désignent «Antiochus, cinquième roi de la dynastie qui régna sur la «province de Mésène. » Et une considération importante vient, je crois, confirmer cette hypothèse. Ainsi que nous l'avons vu, Pline atteste que la ville de Spasinu-Charax, ayant été détruite par une inondation, fut rétablie par Antiochus, le cinquième des rois, qui lui donna son nom. On sait, par le témoignage de l'historien latin, que, jusqu'à cette catas

Iconographie grecque, t. III, p. 180.

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