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qui avait une longueur de trois milles et une largeur un peu moindre. « Cette ville, dans l'origine, était à dix stades du rivage de la mer, et << elle avait un port maritime. Suivant Juba, il en était à cinquante mille « pas. Maintenant, suivant l'assertion des ambassadeurs arabes et de «nos négociants qui sont revenus de cette contrée, cette ville est à «< cent vingt milles du rivage de la mer. Nulle part ailleurs, les terres « charriées par les fleuves n'ont produit un effet plus considérable et « plus prompt, et il est bien étonnant que ces terres n'aient point été repoussées par la marée qui se fait sentir bien au delà de ce point. «Il est constant que cette ville a donné naissance au plus récent des «géographes, à Denys, que l'empereur Auguste envoya dans l'Orient « pour y faire des observations complètes, au moment où le fils aîné « de ce prince se préparait à porter la guerre chez les Arméniens, les « Parthes et les Arabes. >>

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Ce passage, que j'ai cru devoir reproduire dans son entier, peut donner matière à plusieurs observations. D'abord, comme je l'ai insinué plus haut, et comme le pense M. Loftus, la ville fondée par Alexandre devait être située au point où existe la place moderne de Mohammarah. C'était le point d'où elle pouvait, véritablement et avec avantage, commander la navigation du large fleuve formé par la réunion du Tigre et de l'Euphrate. Elle se trouvait, d'ailleurs, placée entre le Tigre et l'Eulæus, dont les eaux, baignant la butte factice sur laquelle s'élevait cette place, pouvaient, dans des cas d'inondations extraordinaires, briser les digues qui s'opposaient à leurs efforts et renverser les murs minés par la violence du courant. Je n'ai pas besoin de revenir sur ce que j'ai dit plus haut, relativement à Antiochus, le cinquième des rois. Étienne de Byzance confirme cette assertion, lorsqu'il dit : « Spasini « Charax est une ville située dans la Mésène, qu'environne le Tigre. » La Table de Peutinger, en traçant la route qui conduisait à cette ville, fait bien voir que, pour y arriver, on côtoyait le Tigre. Xiphilin, l'abréviateur de Dion Cassius, atteste que, dans l'expédition de Trajan, les habitants de Spasini Charax accueillirent cet empereur avec toutes sortes de témoignages d'affection. Or on sait que, dans le cours de cette expédition aventureuse, ce prince suivit jusqu'au golfe Persique le cours du Tigre et ne pénétra pas dans le Susiane. La position que Ptolémée assigne à Spasini Charax confirme parfaitement cette opinion, puisqu'il place cette ville sous la même longitude que l'embouchure orientale du Tigre 1. J'ai prouvé plus haut que le territoire qui

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composait le royaume de la Mésène ne s'étendait qu'à une faible distance des deux rives du Tigre. Il me paraît donc impossible de souscrire à l'assertion de Gossellin et de Saint-Martin, qui supposaient que Spasinu-Charax était située plus à l'orient, dans l'intérieur de la Susiane. On a vu plus haut; que le chef arabe Spasinès ou Pasinès, qui releva les ruines de la ville d'Antioche, l'appela de son nom, Znaσívov Σπασίνου xápas, ce qui, en grec, signifie : « le retranchement de Spasinès. » Mais est-il bien sûr que ce soit là la véritable orthographe? C'est ce que je ne crois pas. A coup sûr, si la réédification de cette ville avait eu lieu tandis que la Mésène était soumise à des princes d'origine grecque, on concevrait sans peine que la langue des vainqueurs de l'Asie eût fourni le nom par lequel devait être désignée la nouvelle capitale. Mais, puisque Spasinès ou Pasinès, fondateur d'une seconde dynastie, était un Arabe, ou plutôt un Chaldéen, il est peu probable que ce prince, qui semblait devoir être intéressé à faire disparaître les vestiges de la domination des Grecs, ait été chercher un nom emprunté à la langue de ceux-ci pour désigner la capitale de ses États. Je crois done que le mot xápas n'a jamais été connu dans la Mésène et ne doit son origine qu'à une méprise des Grecs. Si je ne me trompe, Spasinès, en relevant les ruines de cette ville, dut, par un sentiment d'ambition patriotique, choisir, pour la désigner, un nom appartenant à la langue du pays. Il employa, pour cet effet, le mot karak, 772, qui, en chaldéen, signifie ville. Il y joignit son propre nom. Les Grecs entendant prononcer ce terme, qui offrait une ressemblance assez frappante avec celui de xápas, se sont persuadés facilement que ce dernier mot, appartenant à leur langue, était entré dans la composition du nom de cette capitale. Cette erreur, une fois introduite dans l'opinion des populations grecques, a passé chez les écrivains grecs et latins; de là s'est formé le nom de Characène, par lequel les Grecs et les Romains ont désigné la partie septentrionale du royaume de Mésène, mais qui n'a jamais été connu des populations indigènes. Et ce qui confirme l'opinion que je viens d'émettre, c'est que, comme on le verra tout à l'heure, le nom donné à cette ville par les Orientaux était précédé du mot karkh, ¿, qui représente le terme chaldaïque karak, ville.

Cette place, ainsi que le petit royaume dont elle était la capitale, se trouvant, comme je l'ai dit, dans une situation favorable pour le commerce terrestre et maritime, obtint dans l'Orient une position importante. Les habitants, n'ayant pas assez de forces pour entreprendre des conquêtes sérieuses, mais se trouvant en état, par suite du nombre de leurs escadres, de protéger contre les pirates étrangers leurs côtes et

celles des provinces voisines, possédant d'ailleurs au plus haut point l'esprit du commerce, surent se maintenir, à l'égard des Parthes, dans une véritable indépendance, et entretinrent avec les peuples de l'Asie et de l'Europe des relations de négoce extrêmement actives. On conçoit que ce commerce, non interrompu, dut accumuler chez eux des richesses immenses. Un fait rapporté par Josèphe1 démontre l'importance qu'avait acquise le royaume de la Mésène et la considération dont jouissait auprès des étrangers le souverain de ce petit État. Monobaze, fils d'Hélène et roi de l'Adiabène, redoutant pour son fils Izatès la malveillance de ses frères, confia ce jeune homme aux soins d'Abennérig, roi de Spasinu-Charax. Ce souverain accueillit le jeune prince avec une bienveillance marquée, lui donna en mariage sa fille appelée Symacho, et lui confia la propriété d'un district qui devait lui produire un revenu considérable.

Sous le règne des empereurs romains, lorsque les habitants de la capitale du monde étaient livrés à tous les caprices, à toutes les exigences d'un luxe désordonné, les marchandises précieuses que produisait l'Inde formaient, pour ces hommes dégénérés, des objets dont la nécessité se faisait sentir d'une manière impérieuse. Les Romains, fatigués sans doute des dangers et des lenteurs que présentait la route qui, partant des côtes de l'Arabie Pétrée et de l'Égypte, longeant la péninsule de l'Arabie Heureuse, conduisait, avec une longue perte de temps, les vaisseaux jusqu'aux rivages de l'Inde, avaient dû, de bonne heure, chercher une voie de communication plus courte et plus directe. Le royaume de la Mésène offrait, à cet égard, toutes sortes d'avantages. En lisant les mémoires historiques de cette époque, on voit avec quel soin les Romains évitaient de s'aventurer sur les territoires soumis à l'empire des Parthes. Ces mortels ennemis du nom romain, ces hommes qui avaient appris au monde que les généraux et les armées de Rome n'étaient rien moins qu'invincibles, n'auraient pas vu, sans une extrême jalousie, la prospérité commerciale de leurs adversaires; et les négociants romains auraient eu trop à craindre pour leur sûreté personnelle et celle de leurs marchandises, s'ils avaient traversé quelque point soumis à la domination de ces redoutables voisins. Aussi nous voyons par les récits de Pline que les marchands de la Syrie supérieure, après s'être réunis à Palmyre, se dirigeaient vers Petra; que ceux de la Palestine se rendaient en droite ligne vers cette ville; et que, réunis là en caravanes plus ou moins nombreuses, ils traversaient le désert de

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Antiquitat. Judaic. lib. XX, cap. II, t. I, p. 957 et 958.

l'Arabie et arrivaient à Spasinu-Charax. Dans ce voyage long et aventureux, mais où les négociants se mettaient sous la protection des tribus nomades du désert, on avait bien soin de ne pas tomber sur le territoire des Parthes.

Dans le passage de Pline, que j'ai traduit plus haut, on trouve, relativement à la position de Spasinu-Charax, des détails qui présentent une difficulté réelle. Suivant le témoignage du naturaliste romain, << Spasinu-Charax était primitivement à deux stades de la mer; elle << avait un port maritime. Au rapport de Juba, il en était éloigné de « 50,000 pas. Aujourd'hui, ajoute Pline, cette ville est à 120 milles « du rivage de la mer. » On peut, je crois, offrir ici une solution toute naturelle. D'abord, je commence par dire que, dans mon opinion, la leçon deux stades» présente peut-être une faute de copiste. Mais, dans tous les cas, voici comme on peut, je crois, entendre ce passage. Dans l'origine, il existait, à l'orient de l'embouchure du Tigre, un grand lac que les anciens et Pline lui-même désignent par le nom de Chaldaici lacus. Néarque traversa ce bassin lorsqu'il alla avec sa flotte rejoindre Alexandre. Le port de Spasinu-Charax était situé sur la côte du golfe Persique, non loin de l'embouchure de ce lac, à 50 milles de la ville. Plus tard, cette rade s'étant probablement comblée en partie par l'action des sables, les habitants de la ville choisirent, sur le golfe Persique, un port situé dans des conditions plus favorables, et qui se trouvait à 120 milles de la capitale. Je dirai, dans l'article suivant, ce que je pense sur la situation de ce port.

On a vu plus haut que la ville de Spasinu-Charax avait successivement été désignée par trois noms différents. Mais ces dénominations, qu'avait imaginées la vanité des princes, n'eurent qu'une existence passagère, et ne semblent pas avoir été connues dans le pays, car on n'y trouve nulle part aucune trace du nom de Spasinu-Charax. Cette ville est désignée, chez les écrivains orientaux, par le nom de Maïsan, l, qui est celui de la province, ou par celui de Karkh Maïsan,, c'est-à-dire la ville de Maïsan.

Les écrivains arabes qui ont raconté les guerres des Arabes contre les Perses emploient toujours le nom de Maisan pour désigner cette ville. Elle reçut le christianisme dans les premiers siècles de notre ère, et devint une métropole, qui avait sous sa juridiction trois évêchés.

QUATREMÈRE.

(La suite à un prochain cahier.)

Clef inédite dU GRAND CYRUS, roman de M. de Scudéry.

DEUXIÈME ARTICLE1.

A la fin de l'année 1649, le premier acte du trop long drame de la Fronde était fini depuis quelques mois: Paris commençait à respirer des périls et des ennuis du siége qu'il venait de soutenir; mais les esprits et les cœurs étaient encore tout émus des souvenirs de la guerre à peine terminée; et ses diverses aventures, les faits d'armes de l'un et de l'autre parti étaient l'entretien de tout le monde, de la bourgeoisie aussi bien que de la noblesse, parce que la bourgeoisie comme la noblesse y avait joué un rôle plus ou moins brillant. Après avoir été si étroitement renfermé dans les murailles de Paris, c'était comme un plaisir nouveau d'en sortir, d'aller visiter les lieux où s'était livré plus d'un combat sanglant :

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De tous ces combats, le plus célèbre, celui qui avait été le plus funeste et le plus honteux à la Fronde et qui avait aussi coûté bien cher à l'armée royale, est le combat de Charenton. Il avait eu lieu le 8 février 1649. Charenton avait été attaqué par un détachement de l'armée royale, composé des meilleurs régiments et commandé par un des vainqueurs de Lens, le duc de Châtillon, déjà lieutenant général, et auquel était promis le bâton de maréchal de France. La défense de la place était confiée au marquis de Clanleu, officier malheureux, mais d'une intrépidité à toute épreuve, et qui se batțit avec son obstination accoutumée. Près de cinquante mille hommes de milice bourgeoise et de troupes régulières sortirent de Paris, et débouchèrent dans la plaine pour venir au secours de la garnison et de son vaillant chef. Condé, adossé à Vincennes dont lui répondait un de ses plus braves officiers, le comte de Broglie, occupa tout l'intervalle entre Vincennes et Charenton, et fit monter de l'artillerie sur les hauteurs qui couronnent la plaine, ne laissant ainsi d'autre alternative à l'armée de la Fronde que de venir lui livrer bataille dans cette forte position, ou de rester spectatrice immobile de la prise de

1

Voyez, pour le premier article, le cahier d'avril, page 209.

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