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bras droit considérablement blessé, et avoir été mis hors de combat, il eut la douleur de voir l'aile qu'il commandoit entièrement mise en fuite, plusieurs bataillons de son infanterie taillés en pièces, presque toutes les machines de son parti gagnées par les Massagètes (les Espagnols), et de voir enfin qu'ils eussent fait périr tous les siens, si le corps de réserve ne se fût avancé pour servir de barrière à ceux qui poursuivoient les vaincus. Ainsi on pouvoit dire alors que la victoire était dans les deux partis et voloit sur les deux armées; car l'aile droite de Cyrus, où il étoit en personne, avoit mis en déroute l'aile gauche de Thomiris (D. Francisco de Mélos), et l'aile droite de Thomiris, où Ariante (le comte d'Isembourg) combattoit, avoit rompu la gauche de Cyrus. Mais, pendant que cette double victoire se remportoit dans chaque parti, et à l'aile gauche et à l'aile droite, l'infanterie n'étoit pas oisive, et celle de Cyrus avoit avancé contre celle des Massagètes. Il y avoit même eu quelques bataillons qui avoient commencé le combat; mais, comme Aglatidas (d'Espenan, qui commandoit le centre, où étoit l'infanterie et l'artillerie) vit le désordre de l'aile gauche, et qu'il remarqua que l'infanterie des Massagètes paroissoit plus ferme que la sienne et attendoit le choc d'une contenance plus fière, il crui fort sagement qu'il étoit à propos de voir ce que la fortune décideroit du destin des deux cavaleries, avant que de rien entreprendre : c'est pourquoi il se contenta de faire de continuelles escarmouches, jusques à ce que l'occasion lui parût plus favorable. Mais enfin Cyrus, après avoir entièrement défait l'aile gauche des ennemis, comme je l'ai déjà dit, attaqua l'infanterie des Massagètes, et l'attaqua avec tant d'ordre et tant de vigueur, que, sans qu'aucun de ses corps fût rompu, il renversa l'infanterie des Callipides, celle des Issédons, et mit entièrement en déroute celle des Scythes royaux (l'infanterie allemande, wallonne et italienne). Mais, lorsqu'il étoit en ce glorieux état où il lui étoit permis de croire qu'il seroit bientôt vainqueur, il vit tout d'un coup les pitoyables termes où étoit son aile gauche : ainsi il connut avec certitude que ce gain de la bataille dépendoit absolument des troupes qu'il avoit auprès de lui. De sorte que, sans perdre de temps et sans s'opiniâtrer à achever de vaincre ceux qu'il avoit déjà rompus, il songea à vaincre les vainqueurs des siens, et il espéra même que leur victoire seroit la cause de la sienne. Car, comme les Massagètes n'avoient pu vaincre sans se mettre en quelque désordre, et que ce qu'il avoit de troupes étoient aussi serrées dans leur rang que si elles n'eussent point combattu, il attendit un heureux succès du dessein qu'il prenoit d'aller combattre cette aile victorieuse. Si bien qu'après avoir, par ses regards seulement, fait reprendre un nouveau cœur aux siens, il abandonna sa nouvelle victoire, et fut sans précipitation, pour conserver l'ordre dans ses troupes, par le derrière de l'armée de Thomiris, afin d'attaquer cette cavalerie, qui venoit de rompre la sienne. De sorte que, la trouvant encore toute ébranlée, et dans cette négligence que la victoire donne à ceux qui ne sçavent pas tout à fait bien l'art de vaincre, il la défit entièrement sans beaucoup de peine. Il délivra même par cette victoire le roi d'Hircanie (La Ferté-Senneterre), qui avoit été fait prisonnier, lorsque l'aile où il étoit avoit été rompue; et il fut trouvé blessé en plusieurs endroits. Il arriva encore que ceux qui échappèrent à la victoire de Cyrus en s'enfuyant, rencontrèrent Mazare (Gassion), qui acheva de les vaincre ; de sorte que l'illustre Cyrus eut la gloire d'avoir vaincu les vainqueurs des siens, d'avoir entièrement défait les deux ailes de l'armée ennemie, et d'avoir même vaincu une grande partie des gens de pied de Thomiris. »

A cette description claire et précise de la manœuvre qui a décidé la

victoire, qu'il nous soit permis d'ajouter une dernière citation, celle du passage où mademoiselle de Scudéry peint la fin de la bataille, la résistance opiniâtre de l'infanterie espagnole, ła glorieuse mort du comte de Fontaine, et la noble et généreuse conduite par laquelle le jeune héros met en quelque sorte le sceau à sa gloire, en mêlant l'humanité à la vaillance, et en couronnant la victoire par la clémence et la piété. Tout le monde sait par cœur les belles pages de Bossuet sur ce grand sujet; mais, après l'éloquence, l'exactitude a encore son prix; et nous ne connaissons pas de récit plus exact que celui que nous allons mettre sous les yeux du lecteur. Il est de tout point conforme à la savante narration de La Moussaye, fondement de celle de Bossuet, comme nous l'avons montré ailleurs; mais la relation de La Moussaye n'a été publiée qu'en 1673, tandis que le tableau tracé par mademoiselle de Scudéry est de l'année 1653. Et, comme ce tableau est incomparablement supérieur, pour la netteté, l'ordre et l'agrément, à la relation. officielle de la Gazette, on peut dire que le Cyrus est le premier ouvrage qui ait donné une juste idée de toute la bataille de Rocroy, de l'habile stratégie qui l'a préparée, de la manœuvre hardie qui l'a gnée, et particulièrement des dernières scènes de cette héroïque journée.

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Il ne restoit donc plus à combattre qu'un grand corps d'infanterie, qui, n'étant composé que de Massagètes (les Espagnols), s'était posté auprès des machines de leur armée, et qui paroissoit en une posture si fière, qu'il étoit aisé de voir que ces Massagèles vouloient défendre leur vie et leur liberté jusques à la dernière goutte de leur sang. Le vaillant Térez (le comte de Fontaine) commandoit ce corps; mais, parce qu'il étoit fort incommodé à cause des blessures qu'il avoit eues autrefois, il ne pouvoit monter à cheval, et il alloit toujours à la guerre dans un petit char (une chaise à porteurs). Cet expérimenté capitaine étant donc à la tête de ces vaillants Massagèles, Cyrus n'hésita point à les attaquer; et il se résolut d'autant plus tôt à se hâter de les vaincre, qu'il avoit sçu par des prisonniers qu'il avoit faits que le prince Aripithe (le général Beck) avançoit avec un puissant secours de Sauromates, et qu'il étoit déjà dans les bois. Joint qu'appréhendant que Mazare (Gassion), qui suivoit ceux qu'il avoit mis en déroute, ne rencontrât Aripithe et n'en fût vaincu, il croyoit qu'il falloit promptement se hâter de se défaire de ce reste d'ennemis. Il avoit pourtant peu de cavalerie auprès de lui, parce qu'après cette dernière victoire, elle s'étoit amusée à piller. Néanmoins, sans attendre son gros de réserve, il fut courageusement à la charge à la tête de son infanterie, quoiqu'il eût peu de cavalerie pour la soutenir...... Cependant Térez, voyant venir Cyrus à lui, avec toute la fierté d'un homme qui n'avoit jamais été vaincu, ne s'ébranla point, et commanda aux siens de ne tirer point leurs flèches que leurs ennemis ne fussent à la juste portée d'un trait. Et en effet Cyrus avança toujours avec les siens, sans que les Massagètes tirassent. Mais, lorsqu'il fut à la distance que Térez leur avait marquée, ce vaillant capitaine fit ouvrir ses bataillons, et fit faire une si furieuse

décharge de toutes les machines de l'armée de Thomiris et de toutes les flèches de son infanterie, que l'air en fut obscurci, et que toutes les troupes de Cyrus en furent non-seulement couvertes, mais épouvantées. Et, si l'extrême valeur de ce grand prince n'eût rassuré ses soldats, ceux qui avoient vaincu partout ailleurs eussent été vaincus en cet endroit. Mais, comme, par bonheur, Térez n'avoit point de cavalerie pour pouvoir les pousser et profiter de leur désordre, ils ne se reculèrent pas fort loin; et Cyrus sçut si bien les rassurer, qu'il les ramena au combat. Il est vrai que, comme Térez avoit eu le loisir de faire préparer de nouveau ses machines, cette seconde attaque eut le même succès de la première; et jusques à trois fois le vainqueur de l'Asie attaqua ces fiers ennemis sans les pouvoir rompre, quoiqu'il y fit des choses prodigieuses, et que les princes qui le suivoient se signalassent par mille actions de courage. Cette opiniâtre valeur de ces vaillants Massagètes leur fut pourtant inutile: car Cyrus, ayant fait avancer son gros de réserve, et quelques autres troupes que ce prince avoit envoyées après ceux qu'il avoit rompus étant arrivées, il fit envelopper cette vaillante infanterie de tous les côtés. De sorte que, ne restant plus rien à faire à ces courageux Massagètes qu'à se rendre, puisqu'ils le pouvoient faire avec gloire, ils firent les signes qu'on a accoutumé de faire lorsqu'on veut demander quartier; si bien que l'illustre Cyrus, qui ne cherchoit qu'à pouvoir sauver la vie à de si braves gens, s'avança pour leur donner sa parole et recevoir la leur. Mais, comme il s'avança sans leur faire aucun signe qui leur pût faire connoître qu'il leur faisoit grâce, its crurent qu'au contraire il alloit encore les attaquer; de sorte que, faisant une nouvelle décharge de leurs machines et tirant toutes leurs flèches, tous ceux qui suivoient Cyrus virent ce prince en si grand danger, que, poussés par l'amour qu'ils avoient pour lui, ils allèrent attaquer ces vaillants Massagètes, quoiqu'ils n'en eussent point reçu d'ordre; et ils les attaquèrent par tant d'endroits à la fois, qu'ils les rompirent de partout et pénétrèrent leurs bataillons de part en part.

Cependant Cyrus, qui fut véritablement touché d'une généreuse compassion de voir de si vaillants soldats en état de périr, fit une action aussi glorieuse en voulant leur sauver la vie, que celle qu'il avoit faite le même jour en donnant la mort à tant d'autres : car il se jeta, malgré le tumulte et la confusion, au milieu des vaincus et des vainqueurs, criant aux siens, avec une voix éclatante qui imprimoit du respect à ceux qui l'oyoient, qu'il vouloit absolument qu'on donnât quartier aux Massagètes, menaçant même avec une fierté héroïque ceux qui lui venoient d'aider à remporter la victoire, s'ils ne pardonnoient aux vaincus et s'ils ne lui obéissoient. Mais à peine ce commandement eut-il été entendu, qu'en un même temps les soldats de Cyrus cessèrent de tuer; et les Massagètes, charmés de la clémence de leur vainqueur, posèrent les armes, et s'amassèrent en foule et avec précipitation à l'entour de lui, regardant alors comme leur protecteur celui qu'un moment auparavant ils avoient combattu comme leur ennemi. En effet, il n'y eut pas un officier qui ne voulût avoir l'honneur de s'être rendu à ce prince, et il n'y eut pas un simple soldat qui ne fit du moins ce qu'il put pour s'en approcher. Il y eut même deux prisonniers considérables (La Moussaye nomme, entre autres, don Georges de Castelui, mestre de camp; la Gazette l'appelle Castelvis) qui eurent la gloire d'être pris de la plus illustre main du monde, puisqu'ils le furent de celle de Cyrus...

a Comme Cyrus sçavoit qu'il ne faut jamais que les vainqueurs s'endorment entre les bras de la victoire, dès qu'il eut sauvé la vie à ces vaillants Massagètes, qu'il eut donné ordre à la sûreté des prisonniers, et qu'il eut commandé qu'on prît soin du corps du vaillant Térez, qui fut tué en cette occasion, il pensa dili

gemment à rallier ses troupes victorieuses, afin qu'elles fussent en état de soutenir Mazare (Gassion), s'il étoit poussé par Aripithe (Beck), et d'aller même attaquer ce prince des Sauromates, s'il osoit sortir du bois et s'avancer dans la plaine. Mais, comme il étoit occupé à ce ralliement, Mazare (Gassion), qui venoit de donner la chasse aux ennemis, arriva, qui apprit à Cyrus qu'Aripithe, n'ayant osé s'engager dans la plaine, avoit toujours été dans le bois, où il avoit reçu dans le défilé les troupes qu'il avoit rompues; ajoutant que cela n'avoit pas empêché qu'on ne les eût poursuivies ardemment; et qu'il avoit sçu par des prisonniers qu'il avoit faits assez avant dans le bois, que les troupes d'Aripithe, qui n'avoient point combattu, se retiroient avec tant de confusion qu'on ne les pouvoit presque discerner d'avec celles qui avoient été défaites. Cyrus loua Mazare en peu de mots de tout ce qu'il avoit fait de grand dans cette journée..... Et, voulant enseigner par son exemple à tous les siens, que toutes les grâces ne viennent que du ciel, il se mit à genoux, et, se tournant vers le soleil, qui étoit le dieu des Persans, il le remercia d'avoir éclairé sa victoire. Ainsi on vit le victorieux au milieu d'un champ de bataille tout couvert de morts et de mourants, rendre hommage de sa valeur au dieu qu'il adoroit. Toutes ses troupes à son exemple firent la même chose; chacun, à l'usage de son pays, rendit grâces aux dieux d'une victoire si signalée.

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En effet, il n'en fut jamais une plus complète: toute l'armée ennemie avoit été vaincue partie à partie, et presque escadron à escadron, tant la déroute fut grande. Il s'en fallut peu que tous les officiers de cette armée ne fussent tués ou prisonniers : le vaillant Térez (le comte de Fontaine) mourut à la tête de cette courageuse infanterie qui combattit la dernière; et son corps fut trouvé auprès du char dont il se servoit à la guerre, depuis qu'il avoit été estropié. Toutes les machines des ennemis furent prises: toutes leurs enseignes servirent à élever un trophée à leur vainqueur; tout leur bagage enrichit tous les soldats de l'armée de Cyrus; et, pour mieux marquer la victoire de ce grand conquérant, il campa dans le camp de ses ennemis. Mais ce qui la lui rendit plus glorieuse étoit que Myrsile, Artamas, Intapherne, Atergatis, Gobrias, Gadate, Indathirse, (les célèbres petits-maîtres, Laval, La Moussaye, Chabot, qui servirent d'aides de camp à Condé, Tourville, le père du grand amiral, son premier gentilhomme, Barbantane, son écuyer, etc.), et tous ceux qui s'étoient trouvés à cette grande journée, publioient tout haut que Cyrus tout seul avoit gagné la bataille. En effet on peut assurer sans flatterie que la prudence avec laquelle il conduisit sa valeur la lui fit effectivement gagner : étant certain que, s'il n'eût retenu l'impétuosité de son courage et celle de ses troupes, lorsqu'il eut rompu l'aile gauche des Massagètes, il n'eût peut-être pas vaincu. Mais, comme il ne s'emporta point à les poursuivre, et qu'il tourna tout court ses escadrons contre leur infanterie, sans que pas un des siens sortît de son rang, il se trouva en pouvoir d'aller par le derrière de l'armée de Thomiris attaquer avantageusement cette aile victorieuse qui avoit mis Crésus (le maréchal de L'Hôpital) en déroute, ce qui fut en effet le point décisif de la bataille.

(La suite au prochain cahier.)

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V. COUSIN.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

L'Académie des beaux-arts a tenu, le samedi 3 octobre, sa séance publique annuelle sous la présidence de M. Hittorff.

La séance s'est ouverte par l'exécution de la scène qui a remporté le deuxième premier grand prix de composition musicale.

M. F. Halévy, secrétaire perpétuel, a lu ensuite le rapport sur les travaux des pensionnaires de l'Académie de France à Rome.

Après la lecture de ce rapport, la distribution des grands prix de peinture, de sculpture, d'architecture, de paysage historique et de composition musicale, et l'annonce des divers autres prix décernés et proposés par l'Académie, ont eu lieu dans l'ordre suivant :

GRANDS PRIX DE PEINTURE.

tion de Lazare.

Le sujet donné par l'Académie était : La résurrec

Le premier grand prix a été remporté par M. Sellier (Charles-François), né à Nancy, le 23 décembre 1830, élève de M. Léon Cogniet, membre de l'Institut, et de M. Louis Leborne.

Le second grand prix a été remporté par M. Leroux (Louis-Hector), né à Verdun (Meuse), le 27 décembre 1829, élève de M. Picot, membre de l'Institut.

Le deuxième second grand prix a été remporté par M. Bonnat (Joseph-Florentin-Léon), né à Bayonne, le 22 juin 1833, élève de M. Léon Cogniet.

Une mention honorable a été accordée à M. Ulmann (Benjamin), né à Blotzheim (Haut-Rhin), le 24 mai 1829, élève de feu M. Drölling, membre de l'Institut, et de M. Picot.

GRANDS PRIX DE SCULPTURE.

blessé.

Le sujet donné par l'Académie était Ulysse

Le premier grand prix a été remporté par M. Tournois (Joseph), né à Chazeui! (Côte-d'Or), le 18 mai 1830, élève de M. Jouffroy, membre de l'Institut.

Le second grand prix a été remporté par M. Delorme (Jean-André), né à SainteAgathe (Loire), le 31 mars 1829, élève de M. Bonnassieux.

Une mention honorable a été accordée à M. Delaplanche (Eugène), né à Belleville (Seine), le 28 février 1836, élève de M. Duret, membre de l'Institut.

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