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qui ont illustré l'Église gallicane; les marbres examinés et interprétés par M. Le Blant nous apprennent que, même plus tard, pendant la période mérovingienne, Lyon renfermait une population considérable, non-seulement animée d'une vive piété, mais conservant aussi, parmi d'autres usages romains, celui d'inscrire sur la pierre l'expression de ses affections, de ses espérances et de ses douleurs. On peut expliquer ainsi la quantité d'inscriptions chrétiennes provenant de la même ville et dont plusieurs avaient été déjà publiées dans le savant et magnifique ouvrage de M. de Boissieu', Presque toutes sont tumulaires. Incorrectes, souvent barbares, mais quelquefois aussi empreintes d'une simplicité qui n'est pas sans charme, elles sont au nombre de plus de 70; et, dans leur explication, l'auteur, comme partout dans son ouvrage, montre une profonde connaissance de l'antiquité ecclésiastique.

Autant le bassin du Rhône est riche en inscriptions chrétiennes antérieures au vin siècle, autant elles sont rares en Normandie, province qui formait jadis la seconde Lyonnaise (p. 179-224). C'était sur les bords de l'Eure que les Druides tenaient annuellement leur grande assemblée2. Sans doute, depuis les premiers Césars3, leur religion mystérieuse était bannie des villes où dominaient d'abord les divinités de Rome et, plus tard, vers la fin de l'empire, la foi de l'Église, tandis que le polythéisme du Capitole expirait dans la molle croyance ou le scepticisme de ses partisans. Mais il paraît que, dans les campagnes, l'ancienne religion indigène, jusqu'à la grande invasion des barbares et même après, exerça un empire puissant et durable sur l'esprit superstitieux de cette partie des populations gauloises; pendant longtemps elle y combattit avec succès les progrès du christianisme, peut-être même la propagation de la langue latine, et elle finit par se cacher dans l'ensemble du culte nouveau. Quoi qu'il en soit, M. Le Blant n'a trouvé des épitaphes chrétiennes que près de Valognes (Alauna?), à Évreux (Ebroicum) et dans quelques autres localités peu nombreuses.

La disette est encore plus grande dans la troisième Lyonnaise (p. 225-265), c'est-à-dire en Bretagne, dans le Maine, l'Anjou et la Touraine. Ces quatre provinces n'offrent pas une seule inscription chrétienne antérieure au vIII° siècle. On comprend une telle absence

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Inscriptions antiques de Lyon, reproduites d'après les monuments ou recueillies dans les auteurs, par Alph. de Boissieu. Lyon, 1846-1854, in-fol. * César, De bello Gall. VI, c. XIII: Hi certo anni tempore in finibus Carnutum, quæ regio totius Galliæ media habetur, considunt in loco consecrato. » 3 Suétone, Claude, c. xxv: « Druidarum religionem apud Gallos, dira immanitatis, et tantum civibus sub Augusto interdictam, penitus sustulit.»

de monuments quant à la Bretagne, berceau du druidisme, et où, sans doute, à l'exception de quelques villes, la civilisation, la langue, l'écriture et les usages de la société romaine n'avaient pénétré qu'imparfaitement. Mais, quand on se rappelle avec quelle dévotion les fidèles, sous les rois mérovingiens, visitaient les lieux qu'avait habités saint Martin de Tours, comment on venait y chercher la guérison de ses maux, combien la basilique qui portait le nom du saint était célèbre entre tous les édifices sacrés de la Gaule, on a peine à s'expliquer pourquoi, sur les bords de la Loire inférieure et de l'Indre, aucune pierre, aucune épitaphe ne nous révèle ces pèlerinages et les sentiments de piété qui, depuis le ve siècle jusqu'au vin, animaient une population nombreuse et latine. Nous laisserons aux historiens à rechercher quelles peuvent être les causes de ce silence: quant à M. Le Blant, il a été réduit, dans cette partie de son travail, à reproduire, d'après Fortunat et d'après quelques manuscrits, les légendes murales et les vers composés jadis pour orner, suivant la coutume du temps, les églises et les oratoires de Tours et de Nantes:

Les savantes investigations de l'auteur ont eu plus de succès dans l'Ile-de-France, la Champagne et l'Orléanais, provinces qui constituaient, au déclin de l'empire, la quatrième Lyonnaise ou Sénonie (p. 266-321). Déjà, sous les premiers Césars, un grand système de routes et de navigation fluviale liait la Méditerranée à l'Océan, par le Rhône, la Saône et la Seine, rivière sur laquelle, d'après la relation de Strabon1, des bateaux descendaient jusqu'au pays de Caux, d'où les navires pouvaient atteindre, en moins d'un jour, les côtes de la Grande-Bretagne. Le hasard a conservé, comme on sait, l'autel votif que la corporation des mariniers de Paris consacra à Jupiter, sous les auspices de l'empereur Tibère 2; mais d'autres villes encore sur les bords de la Marne, de l'Eure et de la Loire, s'étaient, à ce qu'il paraît, promptement formées à la civilisation avancée de Rome; elles en avaient adopté la langue, laquelle devint plus tard, lors de la grande révolution qui devait transformer le monde, un moyen puissant et prompt pour propager les vérités de l'Évangile dans tout l'Occident. Aussi M. Le Blant a-t-il trouvé des inscriptions chrétiennes à Jouarre (Jovara), à Chartres (Carnutes),

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' Τ. Ι, p. 248, de l'édition de Coray : Εἶτα πεζεύεται μέχρι τοῦ Σηκουάνα ποταμοῦ· κἀντεῦθεν ήδη καταφέρεται εἰς τὸν Ὠκεανὸν, καὶ τοὺς Ληξοβίους, καὶ Καλέτους· ἐκ δὲ τούτων εἰς τὴν Βρετανικὴν ἐλάττων ἢ ἡμερήσιος δρόμος ἐστίν. — ' Orelli, Inscriptionum lat. selectarum amplissima collectio, vol. I, p. 352, n° 1993: «TIBerio CAESARE AVGusto IOVI OPTVMO MAXSVMO araM NAVTAE PARISIACI PVBLICE POSIERVNT..

et surtout à Paris et dans ses environs. Parmi ces monuments, nous croyons devoir particulièrement indiquer une crypte fort ancienne, découverte, le 13 juillet 1611, sur le versant de la colline de Montmartre, au-dessous d'une chapelle élevée, suivant l'usage des premiers chrétiens, par suite de l'affluence des pèlerins dans ce lieu consacré à la mémoire de saint Denis. Comme dans les catacombes de Rome, la présence de ces pieux visiteurs y était attestée par des inscriptions tracées à la pointe du style ou au charbon sur les parois du souterrain. Soixante-quatre sarcophages en pierre furent trouvés, en 1753, dans le faubourg Saint-Marceau, derrière l'église paroissiale de Saint-Martin; ils provenaient d'un cimetière antique, occupant tout le plateau de la montagne Sainte-Geneviève et ses versants de l'est et du midi. Nous croyons bien faire en transcrivant ici une épitaphe tirée du même lieu, et qui paraît à M. Le Blant être de la fin du v° siècle. Elle pourra donner une idée de la disposition et de la latinité de la plupart des inscriptions tumulaires chrétiennes rédigées en prose, témoins irrécusables et contemporains de l'état de société qu'elles nous retracent si vivement. On remarquera dans celle-ci, ligne 3, le pronom relatif QVI, se rapportant à un substantif féminin. C'est déjà le qui français, le chi des Italiens, se construisant également avec les deux genres:

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L'épitaphe de Barbara1, qui vécut vingt-trois ans, cinq mois et vingt

1 M. Le Blant remarque, p. 279, que le nom de Barbara, illustré par une martyre, est rare sur les tombes chrétiennes. Il ne l'y a rencontré qu'une fois encore, dans le recueil de Gudius, p. 366, n° 1.

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huit jours, a été conservée; on peut la voir dans un vestibule de la Bibliothèque impériale. Mais nous regrettons qu'un monument épigraphique bien plus important, le sarcophage qui renfermait les restes d'un petit-fils de Clovis, ne se retrouve plus aujourd'hui. Lorsque, après la mort de Clodomir, Childebert et Clotaire firent périr ses fils encore enfants, l'un de ceux-ci, Clodoald, « ne put être pris, fut sauvé par des « hommes courageux1, » et échappa seul à la rage de ses oncles. Il se coupa lui-même ses longs cheveux, marque de sa royale origine, se fit moine2, et mourut, vers l'an 560, près de Paris, dans le village de Novigentum, aujourd'hui appelé, de son nom, Saint-Cloud. Il y avait fait construire une église, où ses reliques furent longtemps conservées avec une grande vénération, et la tombe de Clodoald canonisé devint célèbre par des miracles. Exécutée en marbre noir et reposant sur quatre colonnes de porphyre, on la voyait encore, au commencement du siècle dernier, dans une crypte de l'ancienne église de Saint-Cloud. Aujourd'hui, nous venons de le dire, elle a disparu; mais la description que l'abbé Lebeuf3 et d'autres antiquaires en ont donnée constate qu'on y lisait six vers élégiaques, dont voici les quatre premiers :

+ ARTYBus HYNC TYMYLYM CHLODOALDYS CONSECRAT ALMIS EDITYS EX REGYM STEMMATE PERSPICYO

QVI VETITVS REGNI SEPTRYM TENERE CADVCI

BASILICAM STYDYIT" HANC FABRICARE DEO

Il nous reste à suivre M. Le Blant dans ses explorations des deux

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'Grégoire de Tours, III, xvII; t. I, p. 320 de l'édition de MM. J. Guadet et Taranne : Tertium vero Chlodovaldum comprehendere non potuerunt, quia per auxilium virorum fortium liberatus est. » — Sibi manu propria capillos incidens, clericus factus est. (Ibid. p. 322). Histoire du diocèse de Paris, t. VIII, p. 32.- On remarquera que le versificateur s'est permis de faire une longue de la dernière syllabe de studuit, parce que, dit M. Le Blant, p. 137, dans les poètes de la décadence, la lettre h est parfois considérée comme une consonne ferme, devant laquelle les brèves terminées par une consonne deviennent longues. » Le fait est mis hors de doute par les passages de Fortunat et de Juvencus cités par le savant auteur. D'après le grammairien Vélius Longus (édit. de Putsch. col. 2218), qui vécut, dit-on, vers le commencement du 11° siècle, on trouverait même dans Virgile, Egl. VI, 53, un exemple de l'h faisant position: Ille, latus niveum molli fultus hyacintho. Mais plusieurs philologues modernes, tels que C.-L. Schneider, Elementarlehre der lat. Sprache, vol. I, p. 180, pensent que c'est plutôt l'apois de la fin de l'hexamètre qui a rendu longue la dernière syllabe de fultus.

Belgiques et des deux Germanies. Dans un deuxième article, nous continuerons d'indiquer sommairement les monuments épigraphiques chrétiens recueillis par l'auteur dans le nord-est de la Gaule, et nous donnerons quelques extraits de ses dissertations et de ses notes explicatives. Nos lecteurs y verront que ce commentaire renferme non-seulement une peinture vive et savante de la vie romaine modifiée par un culte nouveau, mais encore des recherches sur l'altération de la langue latine parlée dans la Gaule, et l'examen ingénieux de l'art chrétien dans les premiers siècles de notre ère.

(La suite à un prochain cahier.)

HASE.

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1o Glossaire du centre de la FRANCE, par M. le comte Jaubert. Paris, Chaix, rue Bergère, no 20, 2 vol. in-8°.

2o DICTIONNAIRE ETYMOLOGIQUE DE LA LANGUE WALLONE, par Ch. Grandgagnage. Liége, Félix Oudart, 2 vol. in-8°.

DEUXIÈME ARTICLE 1.

Patois du Berry.

Les deux beaux volumes où M. le comte Jaubert a recueilli les mots et certaines locutions du parler présentement usité dans le Berry forment, comme la plupart des dictionnaires qui entrent dans quelques détails, une lecture non-seulement instructive, mais encore qui attire et qui fait constamment tourner les feuillets du livre. Les mots portent tant de choses avec eux, tant de vives empreintes de l'esprit qui les jeta comme une monnaie dans la circulation, tant de marques des temps et des lieux, tant de traces d'histoire, tant de ressouvenirs de leur voyage à travers les siècles et les contrées lointaines, qu'on se complaît sans peine à les voir défiler un à un dans le glossaire qui les contient. Ce qui intéresse en un recueil comme celui-ci, c'est de confronter perpétuellement la langue littéraire avec une langue locale ou

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Voyez, pour le premier article, le cahier de septembre 1857. p. 537.

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