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un manuscrit dit :

Par defors Termes s'est li cuens regardez.

Ici Termes signifie le palais de Guillaume. Dans la même chanson, v. 326, il est parlé d'un Gautier de Termes. Termes était donc un nom propre, sans doute dit ainsi à cause de bains, therma; et Wolfram ne s'est pas mépris.

Il n'en est pas de même dans l'exemple suivant. Le trouvère dit d'une épée :

Rois Plantamor la dona Salatré;

Et Salatrez, li rois d'antiquité,

Cil la dona l'amiré Aceré.

Li rois d'antiquité ne signifie pas autre chose que le roi des anciens temps. Mais Wolfram en fait un nom propre, à tort cette fois-ci :

Der gabz dem künege Antikotê.

La plus étrange méprise serait celle qui, dans ces vers où il s'agit de la mort de Vivien :

L'ame s'en vet, n'i pot plus demorer;

En paradis la fist Dex osteler,

Avec ses angles et metre et aloer,

lui aurait fait croire que aloer (placer, allocare) était le bois d'aloès:

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« Sa jeune vie s'éteignit; mais sa confession avait été faite auparavant; «justement comme si du bois d'aloès avait été brûlé, fut l'odeur au << moment où le corps et l'âme se séparèrent. » Cependant il se pourrait que M. Jonckbloët fût trop sévère, et que le traducteur, par son bois d'aloès (suspect, j'en conviens, à côté d'aloer) eût voulu exprimer, librement à sa manière, ces deux vers qui sont un peu auparavant et où il est dit de Vivien :

... qui gisoit toz sanglans,
Plus soe flere que basme ne pimenz.

Quoi qu'il en soit, le poëme allemand est une imitation de la geste romane. Wolfram lui-même nous apprend que la chanson des Enfances Guillaume, que M. Jonckbloet n'a pas comprise dans sa publication, était répandue en Allemagne. Le succès européen de la poésie française au moyen âge est un fait historique désormais hors de toute contestation, et qu'il ne faut pas perdre de vue, si l'on veut comprendre le mouvement social et littéraire de cette époque.

A la vie fictive des deux Guillaume, le leude de Charlemagne et le comte de Provence, la geste a joint bon nombre de traits qui sont des échos défigurés de l'histoire. M. Jonckbloet a recherché ces traces avec diligence et érudition. Ainsi, quand, dans li Coronemens Looys, la couronne menace de ne pas se poser sur le front du fils de Charlemagne, il montre qu'il y a là souvenir des intrigues qui assaillirent Louis le Débonnaire à son avénement, et surtout des dangereuses protections qui soutinrent Louis d'Outremer. L'expédition de Guillaume en Italie et sa bataille contre les Allemands sont rattachées aux exploits de Gui, duc de Spolète, qui, à la tête d'une armée d'Italiens et de Français, remporta des victoires sur les troupes allemandes. Les Sarrasins ravagèrent plus d'une fois l'Italie, jusqu'aux portes de Rome; ce sont ces invasions qui suscitèrent la légende racontant comment la ville et le pape furent sauvés par les mains de Guillaume. La geste imagina que les païens vinrent assiéger Paris, et c'est là que l'Arioste a pris l'idée du terrible assaut donné par Rodomont à la capitale de Charlemagne; en ceci elle s'écarte singulièrement de l'histoire, à moins qu'on ne veuille y voir une transformation de ce redoutable siége de Paris par les Normands, où le chroniqueur Abbon, témoin oculaire, nous apprend qu'il y avait, parmi les défenseurs de la ville, un guerrier qui se distingua par une valeur extraordinaire et qui, justement, portait une main de fer. Toutefois, il est manifeste que ce n'est pas avec les chansons de geste que l'on peut retrouver l'histoire véritable; loin de là, l'histoire véritable a besoin d'être minutieusement étudiée et connue pour que l'on détermine, dans les chansons de geste, les faits réels tissés dans cette toile sans fin que prend, quitte et reprend l'imagination légendaire et poétique. Rien, sauf le génie d'Homère, ne ressemble plus à nos chansons de geste que le cycle homérique; et celui-ci, qui est moins connu, peut trouver dans celui-là, qui est plus connu, des explications plausibles et des conjectures qui l'éclairent.

Pourtant il est un côté par où nos chansons de geste, comme aussi les poésies d'Homère pour l'âge héroïque, sont véritablement historiques, je veux dire la peinture animée et saisissante de la haute époque

féodale. Quiconque a lu seulement les historiens de ces temps, n'a qu'une idée morte des barons et de leur empereur; couchés dans ces chroniques comme dans un froid tombeau, l'évocation la plus puissante n'est pas capable de les remettre dans la vie avec leurs intérêts et leurs passions. Mais celui qui prend en main Raoul de Cambrai, la geste de Guillaume, celle de Garin et quelques autres, celui-là voit se dresser devant lui ces têtes féodales, avec leurs heaumes aigus et leurs targes fleuries; un désir hautain d'indépendance les emporte, et pourtant une soumission au suzerain les arrête; ils le reconnaissent, mais ils le bravent; on dirait à chaque instant que le lien qui se relâche tant va se rompre, mais il ne se rompt pas; le tumulte retentit dans la salle voûtée où siége l'empereur; on se dispute devant lui les fiefs; on ne tient compte de ses décisions, et l'on guerroie entre soi avec des haines implacables et héréditaires. Les jongleurs sont là, à côté des barons, qui redoutent par-dessus tout que male chanson ne soit chantée, s'ils se montrent faibles dans les combats. Les femmes demeurent dans l'ombre; ce n'est ni pour gagner leur sourire, ni pour porter leurs couleurs que s'agitent ces turbulents fervestus; les mères, les épouses ont quelquefois de l'autorité; les maîtresses n'en ont point. Telle est la physionomie du x siècle, donnée par les trouvères du x1o avec énergie et sans doute avec vérité. É. LITTRÉ.

(La suite à un prochain cahier.)

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

Dans la séance du 10 janvier, M. Eug. Delacroix a été élu membre de l'Académie des beaux-arts (section de peinture), en remplacement de M. Paul De la Roche, décédé.

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LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Mémoires de la société d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres, du département
de l'Aube. Tome VII, deuxième série. Troyes, imprimerie de Bouquot, 1856, in-8°
de 301 pages.
Outre le compte rendu des travaux de la société, on trouve dans
ce volume un mémoire sur cette question : Châlons a-t-il été réellement la capitale
de la Champagne? par M. Amédée Guyot; une notice sur la navigation de la Seine
et de la Barse, par M. Théophile Boutrot, et des remarques sur les poésies attribuées
à Salomon Raschi, par M. Clément Muller.

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Etudes biographiques pour servir à l'histoire de la science, par Paul-Antoine Cap.
Première série. Chimistes, Naturalistes. Paris, Victor Masson, 1857, in-12 de vi-
408 pages. Les quinze notices qui remplissent ce volume ont pour objets la vie
et les travaux de Paracelse, Bernard Palissy, Pierre Belon, Van Helmont, Moïse
Charas, Robert Boyle, Nic. Lémery, Rouelle aîné, Van Mons, Labarraque, Bernard
Courtois, Al. Dupasquier, Benj. Delessert et Bonafous. L'auteur nous paraît avoir
atteint le but qu'il s'est proposé de mélanger les détails de la vie de chaque person-
nage avec l'exposé clair et succinct de ses travaux, de ses découvertes, de ses doc-
trines, de montrer l'état de la science avant et après lui, l'influence de ses écrits ou
de ses paroles sur la marche des connaissances, et d'y réunir avec habileté le récit
des événements généraux et contemporains.

TABLE.

Pages.

DES SAVANTS.

FÉVRIER 1857.

SANCTI PATRIS Nostri Gregorii, vulgo Nazianzeni, Constantinopolitani archiepiscopi operum tomus secundus, etc. Edente et accurante D. A. B. Caillau. (Poésie lyrique et liturgie chrétienne.)

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L'attention critique des savants et l'imagination du public éclairé sont, de nos jours, souvent ramenées sur les premiers siècles du christianisme, et, par là même, sur cette parole chrétienne, si puissante à côté du martyre, eloquentia pollens et martyrio, » disait saint Jérôme. Les Pères de l'Eglise, s'ils ne sont autant lus qu'au xvII° siècle, sont, du moins, autant réimprimés, et dans des formats plus accessibles. On les cite, on les célèbre. L'enseignement supérieur du collège de France en fait un solide et brillant sujet d'études; et naguère même, une opinion trop zélée voulait les substituer à l'antiquité classique, et ne plus apprendre que dans leurs écrits ces admirables idiomes grec et latin, dont ils ont illustré et parfois transformé la décadence.

A part une telle exagération, bien contraire, du reste, aux exemples des Pères, si fort nourris eux-mêmes du génie des lettres profanes, il est certain que, dans le goût de notre siècle, je dirai presque, dans l'âge de notre langue, et enfin dans l'état des esprits, dans la curiosité des âmes, bien des choses nous disposent et nous inclinent à la littérature religieuse des derniers siècles de l'empire romain.

Dans les deux langues qu'elle parlait, cette littérature avait plusieurs des caractères qu'ont affectés, depuis un demi-siècle, les littératures principales de l'Europe chrétienne: elle était hardie, chargée d'images,

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