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serait efforcé aussi, pour lui plaire, de donner à ses écrits une forme plus achevée et plus acceptable. L'érudition peut toujours avoir une élégance qui lui est propre, et qui résulte surtout de l'heureuse disposition des matières et des idées. Ce soin doit être de règle, non point en vue du succès, qu'on peut très-bien dédaigner, mais en vue du résultat qu'on veut toujours atteindre, même quand on s'adresse au public le plus restreint et le plus savant. On ne doit jamais oublier, du moment qu'on écrit, l'excellent précepte de La Bruyère: «Quand le phi«losophe donne quelque tour à ses pensées, c'est moins par une vanité « d'auteur que pour mettre une vérité qu'il a trouvée dans tout le jour « nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein. » Il est d'autant plus regrettable que M. Étienne Quatremère n'ait pas songé à prendre cette peine, qu'elle lui eût été très-facile, et la forte culture littéraire de son esprit l'y aurait beaucoup aidé.

Une autre conséquence plus grave peut-être, c'est la manière dont M. Étienne Quatremère a compris et pratiqué la critique. Rien n'était plus loin de son intention que de blesser ceux dont il examinait les livres. Il a répété souvent et avec une pleine sincérité qu'il n'agissait que « dans le seul intérêt de la vérité et sans aucun esprit de système1. » C'était parfaitement vrai, et il ne voulait que soumettre aux savants auteurs dont il s'occupait des remarques utiles. Mais, quand on signale aux gens leurs erreurs, ou ce qu'on croit leurs erreurs, il faut apporter dans ces avis délicats, donnés en face du public, les plus grands ménagements. Avec quelque autorité que l'on parle, il faut bien peser toutes les expressions et toutes les nuances. Autrement on suscite les aigres discussions de la polémique, qui servent bien rarement le progrès réel de la science, et qui peuvent compromettre la dignité des caractères. Mais, quand on connaît bien les hommes pour avoir vécu avec eux, et que l'on comprend leurs susceptibilités, d'ailleurs très-naturelles, on a des formes plus indulgentes; sans rien enlever aux droits de la critique, on rend ces droits plus forts en ne les appliquant qu'avec réserve et circonspection.

Mais ces taches, qu'ont pu remarquer quelques contemporains, disparaîtront pour la postérité. Elle ne connaîtra de M. Quatremère que ses immenses et consciencieux labeurs. Il laissera, comme on l'a dit2, une trace immortelle. Il n'a travaillé presque jamais que sur l'inédit;

Voir le Journal des Savants, cahier de juillet 1845, page 422, et cahier de décembre 1846, page 745. — Voir l'article de M. Ernest Renan dans le Journal des Débats du 20 octobre 1857.

et, dans les sujets qu'il a traités, ses investigations sont des documents de première main, et des sources abondantes et sûres.

M. Étienne Quatremère est mort le 18 septembre 1857. Selon son habitude, dès six heures du matin il avait donné ses ordres à la vieille servante qui le soignait depuis trente ans; vers sept heures, il allait se lever lorsqu'il fut atteint d'une apoplexie foudroyante. On ne s'aperçut de la catastrophe qu'une ou deux heures plus tard; et il est certain que le secours, fût-il venu sur-le-champ, n'eût pas été plus efficace. La santé de M. Étienne Quatremère causait depuis quelque temps d'assez graves inquiétudes à ses amis. Le médecin lui avait donné les plus sérieux avertissements, dont il n'avait pas cru devoir tenir compte. Comme, en général, M. Quatremère s'occupait fort peu de lui-même, il négligea cet avis, comme il en avait négligé tant d'autres. Mais la mort, quelque rapide qu'elle ait été, ne l'a pas surpris; et des âmes telles que la sienne sont toujours prêtes à paraître devant Dieu. Lorsqu'on entra dans sa chambre, on le trouva le calme peint sur tous les traits, et les yeux tournés vers son crucifix, qui avait eu certainement sa dernière pensée,

M. Etienne Quatremère n'avait pas voulu qu'on prononçât de discours sur sa tombe; et l'Institut a dù se taire par respect pour cette volonté suprême. Mais le Journal des Savants n'était point tenu au même silence, et nous nous sommes fait un devoir de rendre hommage à la mémoire de notre regretté confrère.

M. Étienne Quatremère laisse une bibliothèque considérable et parfaitement composée, de près de 40,000 volumes imprimés et de plusieurs centaines de manuscrits. C'est encore un service qu'il aura rendu à la science. M. Étienne Quatremère laisse aussi une foule de travaux inédits, dont quelques-uns, comme le chapitre du Palmier, de l'Agriculture nabatéenne, étaient tout prêts pour l'impression. Le public est en droit d'attendre que ces travaux lui seront communiqués quelque jour par les soins pieux des amis et des élèves de M. Quatremère.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

Dans sa séance du 13 novembre 1857, l'Académie des inscriptions et belleslettres a élu M. Alfred Maury en remplacement de M. Dureau De la Malle, décédé.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

Dans la séance du 14 novembre 1857, M. Achille Fould a été élu membre libre de l'Académie des beaux-arts, en remplacement de M. Pradel, décédé.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Philosophie écossaise, par M. Victor Cousin, troisième édition. - Philosophie de Kant, par M. Victor Cousin, troisième édition. Paris, librairie nouvelle, 1857, deux volumes in-8° de x11-527 et XII-412 pages. Ces deux volumes, réunis aux Premiers essais de philosophie et à la Philosophie sensualiste, déjà annoncée dans ce journal, complètent la nouvelle édition, revue et augmentée, du Cours de philosophie de M. Cousin. L'éminent écrivain a soumis à une révision attentive toutes les leçons qui composent ce cours, dont la rédaction paraît désormais définitive. Le volume consacré à la philosophie écossaise est précédé d'un avertissement, dans lequel M. Cousin, après avoir rendu justice au génie de Reid, le loue spécialement d'avoir élevé si haut le bon sens et mis à son service tant de pénétration, de finesse et de profondeur, et confirme de tout point le jugement qu'il en avait porté en 1819. Moins favorable à la métaphysique de Kant, On trouvera, dit-il dans la

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préface du volume qu'il lui consacre, notre appréciation peut-être un peu sévère. Nous sommes forcé d'avouer qu'aujourd'hui nous la ferions plus sévère encore. «Car, plus nous avançons dans la vie, plus nous préférons le sens commun au génie « lui-même, et les grandes voies où marche l'humanité aux sentiers détournés qui « trop souvent aboutissent à des précipices. A notre âge, au lieu de se laisser éblouir à l'éclat des systèmes, on les juge avec une austère équité, en reportant «ses regards, de ces copies brillantes, et toujours imparfaites sur leur immortel et « indéfectible exemplaire, la nature humaine. »

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Origine et formation de la langue française, par A. de Chevallet; suite de la seconde partie. Modifications subies par les éléments primitifs dont s'est formée la langue française. Paris, imprimé par autorisation de l'Empereur à l'Imprimerie impériale, 1857, in-8° de v-561 pages. Ce volume complète la publication de l'ouvrage important qui a valu à M. de Chevallet le prix de linguistique fondé par Volney. L'auteur y traite des changements qui se sont produits dans l'ordre des faits appartenant à la grammaire, et subdivise son travail en trois chapitres ainsi intitulés : I. Modifications relatives aux formes grammaticales des mots variables et aux autres accidents grammaticaux propres à cette même espèce de mots; II. Modifications relatives au sens et à la structure des mots invariables; III. Modifications relatives aux règles de la syntaxe..

Mémoires de Claude Haton, contenant le récit des événements accomplis de 1553 à 1582, principalement dans la Champagne et la Brie, publiés par M. Félix Bourquelot, professeur adjoint à l'École des chartes, membre de la Société des Antiquaires de France. Paris, Imprimerie impériale, 1857; deux volumes in-4°, ensemble de LXXII-1194 pages. (Collection de documents inédits sur l'histoire de France, publiés par les soins du ministre de l'instruction publique. Première série, histoire politique.) - La publication des mémoires de Claude Haton, curé du Mériot, près de Provins, vient ajouter de précieux renseignements à ceux que fournissent déjà, pour l'étude de la seconde moitié du xvi siècle, les documents compris dans la collection du ministère de l'instruction publique. Bien qu'écrits en partie au point de vue local, ces mémoires donnent une idée exacte des hommes et des choses de cette grande époque. On y trouve un tableau fidèle de l'influence que les actes du Gouvernement et ceux des grands seigneurs ont eue sur la marche générale des affaires publiques, sur l'état de la France, sur le bien-être des populations; ils font connaître la manière dont les faits ont été appréciés et jugés dans les provinces par les contemporains, la nature des impressions que les événements ont laissées dans les masses. Le récit de Claude Haton, dit M. Bourquelot, est une sorte de version populaire de l'histoire des quarante années de luttes intestines dont la France a été le théâtre au xvi' siècle, un écho des bruits répétés par les mille voix de l'opinion sur les auteurs du drame, pendant les règnes de Henri II, de Charles IX et de Henri III. » L'éditeur a dû faire, dans le texte du manuscrit, d'assez nombreuses suppressions ;'il a écarté les actes officiels qui avaient déjà pris place dans d'autres recueils, les récits contenant des faits racontés ailleurs plus complétement et par des gens mieux informés, les particularités d'un intérêt purement local; mais, pour que les curieux puissent toujours retrouver une trace des faits supprimés, il a résumé dans une analyse exacte les passages qui n'ont pas paru de nature à être reproduits intégralement. M. Bourquelot a donné à cette publication tout le soin qu'on devait attendre de son érudition consciencieuse. Une ample introduction, placée en tête du premier volume, contient, après un aperçu de quelques documents inédits concernant l'histoire des guerres civiles lu xvi° siècle, la vie de Claude Haton, l'examen de ses mémoires et

l'exposé du plan de sa publication. Des notes indiquent les ouvrages qui peuvent servir à rectifier ou à compléter les assertions de l'auteur; dans un appendice, on trouve des lettres, des morceaux inédits ou peu connus qui se rapportent aux événements racontés par Claude Haton; enfin, le second volume est terminé par un index des noms de lieux et de personnes, et par un tableau des phénomènes météorologiques et astronomiques relatés dans le corps du livre.

La chronique d'Enguerran de Monstrelet, en deux livres, avec pièces justificatives (1400-1444), publiée par la Société de l'Histoire de France, par L. Douet-d'Arcq, tome premier. Paris, imprimerie de Ch. Lahure, librairie de Mm V Jules Renouard, 1857, in-8° de XXIII-416 pages. La publication d'une édition critique de la Chronique de Monstrelet, si exacte et si utile pour la connaissance approfondie des événements de la première moitié du xv siècle, n'est pas un des moindres services que la Société de l'Histoire de France aura rendus aux études historiques. En tête du tome premier, on trouve une préface dans laquelle l'éditeur, M. Douetd'Arcq, après avoir rendu compte de ses recherches sur la biographie assez peu connue d'Enguerran de Monstrelet, donne la description du manuscrit dont il a fait usage pour établir le texte de cette nouvelle édition. Viennent ensuite les cinquante premiers chapitres du premier livre de la Chronique, comprenant les années 1400-1408. Un appendice, placé à la fin du volume, reproduit, d'après l'original conservé au trésor des chartes, des lettres de rémission accordées, en 1424, par Henri VI, roi d'Angleterre, à Enguerran de Monstrelet, capitaine du château de Frévent, personnage qui, suivant M. Doüet-d'Arcq, serait le même que l'auteur de la Chronique. Le texte de Monstrelet comprendra plusieurs volumes et sera suivi de pièces justificatives, de notes, d'éclaircissements et de tables étendues.

La Société de l'Histoire de France vient aussi de publier son Annuaire historique pour 1858. Librairie Renouard, in-12 de 280 pages. Outre le règlement de la Société et la nomenclature de ses membres, on y trouve la suite et la fin de la liste générale des saints, disposée dans l'ordre du calendrier, d'après le martyrologe universel, de Chastel, liste dont le commencement a paru dans l'Annuaire de

185.

Essai sur l'histoire de la côte Sainte-Catherine et des fortifications de la ville de Rouen, suivi de mélanges relatifs à la Normandie, par Léon de Duranville. Rouen, imprimerie de Péron; Paris, librairie d'Aubry, 1857, in-8° de 471 pages. Outre une histoire très-développée de la forteresse et de l'abbaye de la côte Sainte-Catherine, près Rouen, on trouve dans cet ouvrage des recherches sur les châteaux bâtis à Rouen par Rollon, Richard I", Philippe-Auguste et le roi d'Angleterre Henri V, et une description de l'ancienne enceinte murale de cette ville. Les Mélanges qui forment la seconde partie du volume renferment des études sur l'Histoire et chronique de Normandie, sur les antiquités rouennaises et sur le séjour des Normands dans le Beauvoisis.

Bulletin de la Société archéologique et historique de la Charente. Deuxième série, tome I". Angoulême, imprimerie de J. Lefraise, 1857, in-8° de 434 pages. - Après les procès-verbaux des séances de la société, on trouve dans ce volume: Des notes archéologiques sur les démolitions à faire dans le quartier Saint-Pierre de la ville d'Angoulême, par M. Charles de Chancel; Une bibliothèque de livres introuvables, par M. Eusèbe Castaigne; Notice sur les archives départementales de la Charente, par M. Alexis de Jussieu, archiviste; Notes biographiques et littéraires sur Jean Bastier de la Péruse, par M. Ath. Mourier; Isabelle d'Angoulême ou la comtessereine, par M. Marvaud; Six chansons populaires de l'Angoumois, recueillies et an

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