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que ce document nous offre une éphéméride égyptienne des cinq planètes principales rapportées aux douze divisions écliptiques du zodiaque grec, pour trente années alexandrines consécutives, tant de Trajan que d'Hadrien. C'est là une base certaine sur laquelle les considérations archéologiques peuvent désormais s'appuyer en toute assurance.

Celles que M. Brugsch y applique ont deux objets distincts. Premièrement, l'étude des dénominations que l'auteur égyptien attribue aux dodécatémories écliptiques du zodiaque grec, en les transportant dans son texte démotique; et l'examen comparatif, des analogies ou des différences qu'elles présentent, avec celles que les Grecs ont attribuées à ces divisions. En second lieu, la dissection philologique des noms dé motiques qu'il donne aux cinq planètes, et leur restitution en caractères hieroglyphiques, fournissant le moyen de les reconnaître sur les monuments pharaoniques où on les aurait inscrits.

La traduction que M. Brugsch donne des noms égyptiens attribués aux dodécatemories grecques est incontestable. Les caractères démotiques qui les expriment représentent les objets mêmes que l'on a voulu désigner. Mais, dans cette transmutation, pour ne pas attribuer inconsidérément à l'ancienne Égypte, des abstractions qui lui furent étrangères, non sua poma, il faut entendre, et appliquer selon leur véritable sens un certain nombre de conventions astronomiques devenues aujourd'hui d'un si fréquent usage qu'elles ont passé dans notre langage usuel, et dont cependant peu de personnes se font une idée précise; je ne dis pas seulement dans le monde, mais parmi les archéologues, les érudits, même les géomètres. Il est donc indispensable que j'en rappelle ici la signification exacte, et que je montre comment le progrès de la science les a fait successivement établir, afin qu'on ne les suppose pas déjà existantes et pratiquement employées, quand elles ne pouvaient pas encore naître.

Dans tous les climats où la sérénité du ciel a donné aux populations la pensée, et ensuite l'habitude, de régler leurs travaux sur les levers et les couchers des astres, comme cela est arrivé en Chaldée, en Égypte, en Grèce, un des premiers besoins a dû être d'attribuer des noms particuliers aux étoiles ou aux groupes d'étoiles, qui servaient spécialement pour ces usages. Une invention plus raffinée, qui semble par cela même avoir dû être plus tardive, ce fut d'attacher, par convention, à chacun de ces groupes des images figurées d'animaux, d'objets naturels, de personnages mythologiques, qui en rappelassent l'idée par une sorte d'opération mnémonique. C'est en quoi consiste l'uranographie purement descriptive. Toutefois, aucun document de l'antiquité ne nous montre

cette seconde phase séparée de la première. Dès que l'étoile Sirius, dont l'apparition matutinale annonçait le débordement du Nil, nous est signalée sur les monuments publics des Égyptiens vingt siècles au moins avant l'ère chrétienne, nous la trouvons associée à une de leurs divinités principales, la déesse Isis. Chez les Grecs, dix siècles plus tard, un petit nombre de constellations, guides des navigateurs et des travaux agricoles, les Pléiades, les Hyades, Orion, le Bouvier, l'Ourse, sont mentionnées dans Homère et dans Hésiode; mais déjà elles portent des noms dérivés de leur mythologie. C'est ce que répète Virgile dans le premier livre des Géorgiques quand il décrit les commencements des sociétés humaines :

Navita tum stellis numeros et nomina fecit,
Pleiadas, Hyadas, claramque Lycaonis Arcton.

Six siècles après Homère, l'uranographie grecque s'étend à toutes les étoiles visibles. On les a classées par groupes distincts, auxquels on a donné des dénominations, la plupart mythologiques. Mais les contours de ces astérismes conventionnels, ne sont encore que vaguement définis. Alors des mathématiciens, Eudoxe, Autolycus, Euclide, entreprennent de leur assigner des limites géométriques. Considérant la voûte céleste comme une vaste sphère dont toutes les parties tournent ensemble autour d'un axe invisible, ils conçoivent idéalement sa surface traversée par des systèmes de cercles abstraits, qui, s'entrecroisant sous des directions rectangulaires, la partagent en carreaux où l'on placera les constellations dans leurs positions relatives, lesquelles se trouveront ainsi limitées et définies par la graduation des arcs qui les comprennent. Mais, pour diriger avec sûreté les fils de ces réseaux mathématiques, et les fixer invariablement sur la voûte étoilée, il aurait fallu avoir des instruments propres à mesurer les arcs célestes sur le ciel même, et connaître la trigonométrie sphérique par laquelle on calcule leurs rapports de position, ainsi que de grandeur. Or rien de tout cela n'était alors inventé, et ne le fut que deux siècles plus tard, par Hipparque. Aussi, à cette origine, la science astronomique est-elle presque entièrement spéculative. Nous avons deux ouvrages d'Autoly cus, l'un sur la sphère en mouvement; l'autre sur les levers et les couchers des étoiles. Ils ne contiennent que des énoncés de théorèmes géométriques tels qu'on pourrait les découvrir en construisant une sphère solide traversée par un axe matériel, sur laquelle on aurait tracé des cercles qui figureraient l'équateur céleste et ses parallèles, puis, la faisant tourner sur son axe comme le ciel, au centre d'un plateau circulaire qui repré

senterait le plan de l'horizon. Ces sphères artificielles, semblables à nos globes célestes d'aujourd'hui, furent très-anciennement en usage pour suppléer au calcul trigonométrique; et il est fort à croire qu'Autolycus n'a pas trouvé autrement ses théorèmes, sauf à les démontrer après. Euclide nous fournit un second exemple, plus frappant encore. Il nous reste de lui un ouvrage intitulé, les Phénomènes, qui résume toutes les notions d'uranographie mathématique qu'on avait de son temps. Il contient la définition géométrique de tous les cercles abstraits que l'on avait imaginés pour subdiviser le ciel. Ce sont les mêmes que nous employons encore aujourd'hui, sous des dénominations équivalentes. Celui qui est mené par le centre de la sphère, perpendiculairement à l'axe de rotation diurne, et que nous nommons l'équateur, est appelé l'équinoxial, parce que lorsque le soleil y arrive la durée du jour visible est égale à la durée de la nuit ; et généralement les étoiles qui s'y trouvent comprises, restent aussi longtemps au-dessus qu'au-dessous de l'horizon. Mais cet énoncé ne le définit que par un caractère conventionnel et mathématique, sans assigner la direction actuelle de sa trace sur la voûte étoilée. Euclide définit de même les cercles qui lui sont parallèles, dont les dimensions décroissent en approchant des pôles. Parmi eux il distingue les tropiques, qui limitent les écarts alternatifs du soleil vers le sud ou vers le nord, sans les définir autrement que par cette condition géométrique, ni spécifier les étoiles qui marquent leur trace. Il construit également, par un acte de sa pensée, les plans des méridiens et le plan de l'horizon. Ces conceptions de son esprit lui suffisent, comme à Autolycus, pour établir abstractivement les lois qui règlent les levers, les couchers des astres, et tous les phénomènes de la sphère en mouvement. Dans tout cela l'observation n'a aucune part. Poursuivant la construction de son ciel idéal, il y place un grand cercle, qui représentera celui que le soleil paraît décrire annuellement dans le ciel réel. Il le nomme à λogos, l'oblique, comme étant oblique à l'équinoxial, sous un certain angle dont il ne donne pas la valeur, qui devait être alors d'environ 24°. C'est le même que nous appelons l'écliptique, dénomination qu'il n'a pas encore dans Ptolémée. On le divise, comme tous les autres, en trois cent soixante parties égales appelées degrés, et spécialement pour celui-là degrés de longitude, lesquels se comptent continuement, de l'occident vers l'orient dans le sens du mouvement de transport du soleil, à partir d'une origine convenue, mais qui ne l'était pas encore au temps d'Euclide. Toutefois, pour ne pas avoir à énoncer ou à écrire, de trop grands nombres de degrés, à partir de cette origine, quelle qu'elle pût

être, un usage antérieur, auquel il se conforme, a fait prendre, je devrais plutôt dire imaginer sur le contour de ce cercle, douze points de repos équidistants, à partir desquels on recommence autant de fois l'énumération. Les intervalles qui les séparent et qui comprennent chacun 30°, sont appelés, d'après leur nombre, dodécatemories, c'est-à-dire douzièmes. Ils sont habituellement désignés par des noms d'animaux ou de personnages, les mêmes que l'on avait déjà donnés aux constellations, ou portions de constellations, qui s'y trouvaient comprises. L'alternative est nécessaire à signaler. Car, à l'époque ancienne dont nous parlons, et longtemps après encore, le Scorpion remplissait deux dodécatémories; l'occidentale étant occupée par la tête et le corps de l'animal, l'orientale par les serres. Plus tard on remplaça celles-ci par le symbole de la Balance, emprunté vraisemblablement aux Chaldéens. L'extension démesurée du Scorpion était déjà remarquée par Virgile au livre I des Géorgiques, quand présageant à Auguste un rang parmi les dieux, il lui dit:

...

Ipse tibi jam brachia contrahit ardens
Scorpius, et coli justa plus parte relinquit.

Ce qui n'empêche pas qu'après avoir offert ainsi la place des serres à Auguste, il ne mette la Balance à l'équinoxe d'automne quelques vers plus loin. La substitution de ce nouveau symbole n'était pas encore acceptée comme définitive au temps de Ptolémée, puisque, dans son catalogue d'étoiles il emploie les serres, et dans sa table d'ascensions la Balance. Depuis qu'on l'eut adopté, les noms affectés aux douze dodécatémories consécutives sont rassemblés dans ces deux vers techniques :

(Sunt) Aries, Taurus, Gemini, Cancer, Leo, Virgo,

Libra (que), Scorpius, Arcitenens, Caper, Amphora, Pisces.

Dans toutes ces constructions géométriques des Grecs, les distances angulaires des astres à l'oblique, se mesurent, ou sont censées être mesurées, sur de grands cercles qui lui sont perpendiculaires, et que nous appelons comme eux, cercles de latitude. Mais bien avant Euclide, même avant Eudoxe, ils avaient remarqué, ou appris, que les cinq planètes ne s'écartent jamais de l'oblique, vers le nord ou vers le sud, au delà d'environ 8°. En conséquence ils imaginèrent une zone ou ceinture céleste, s'étendant des deux côtés de l'oblique à cette distance, et comprenant toutes les planètes. Hs l'appelèrent le zodiaque, du nom des animaux dia, par lesquels les douze grandes divisions de l'oblique étaient désignées.

Tout cela n'est encore que de l'uranographie, régularisée abstractivement. L'astronomie d'observation se montrait-elle à un état plus avancé dans les deux ouvrages antérieurs d'Eudoxe, intitulés les Phénomènes et le Miroir, qui l'ont rendu si célèbre? Ils ne sont pas arrivés jusqu'à nous. Mais nous en connaissons le contenu par le poëme d'Aratus qui en offre la paraphrase versifiée, et par le commentaire critique, très-détaillé, qu'Hipparque a fait de ces deux traités d'Eudoxe, ainsi que du poëme qui les reproduit. Or, après avoir lu le poëme et cet écrit d'Hipparque, toute personne ayant le sentiment et la pratique de l'art d'observer, verra clairement qu'Eudoxe avait seulement rassemblé, dans un exposé méthodique, toute l'uranographie grecque de son temps, comme il pouvait le faire à l'aide d'un globe sur lequel on aurait placé les constellations et les étoiles principales dans leurs positions relatives, en se guidant sur des alignements pris à vue dans le ciel. Rien de tout cela ne ressemble à l'astronomie véritable, mathématique à la fois et spéculative, qui observe le ciel avec des instruments divisés, y recueille des mesures précises, et les combine par des calculs rigoureux.

Nous ne voyons naître cette science en Grèce qu'avec Hipparque. Le premier il en voit le but et les exigences. Il invente les instruments, les procédés, les méthodes qui doivent lui servir. Nous ne faisons encore aujourd'hui que suivre ses traces, fécondées par le temps et par le perfectionnement des arts.

Je n'ai pas à m'étendre ici sur ses découvertes. Mais j'ai besoin de rappeler quelques conventions réglementaires qu'il a établies, et qui sont devenues des lois définitives pour ses successeurs.

L'équinoxial et l'oblique étant de grands cercles de la sphère céleste se coupent mutuellement en deux points diamétralement opposés, que l'on appelle équinoxiaux, parce que, aux deux époques de l'année où le soleil les traverse, les jours sont égaux aux nuits sur toute la terre. Il arrive à l'une de ces intersections quand il remonte du sud vers le nord, c'est l'instant de l'équinoxe vernal; à l'autre quand il redescend du nord vers le sud, c'est l'instant de l'équinoxe automnal. Hipparque prend la première pour origine des dodécatémories, désignées par leurs noms convenus d'animaux; et, comme ce point abstrait des cercles célestes ne serait pas physiquement perceptible, il fixe sa place précise en le rattachant par des mesures angulaires aux étoiles de l'oblique qui en sont les plus proches; puis il énumère à partir de là les longitudes dans le sens du mouvement propre du soleil, en prenant les dodécatemories comme des intervalles abstraits de 30°, sans aucun égard à l'étendue réelle des constellations par lesquelles on les dénomme.

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