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«que Moïse, étendant les bras, offrit la figure de la croix, cette arme << puissante, tu as enfin montré toi-même aux hommes la route du «ciel. A l'ancienne voie tu as joint une voie nouvelle, lorsque, Dieu << et homme tout ensemble, étant venu sur la terre, tu t'es élevé de nou<«<veau dans les cieux, pour en revenir un jour plus visible à ceux qui << t'appellent.

<< Toi-même, tu as marché sur la mer; et le flot s'est abaissé sous tes «pieds, tout gonflé qu'il était par les vents. Mais, ô bienheureux <«<immortel, sois-moi compagnon de route, quand je t'invoque aujour«d'hui. Accorde-moi voyage prospère et bon ange pour guide et pour «défenseur, afin qu'à l'abri des périls de la nuit et du jour, donnant «à mes fatigues un terme favorable, parti sain et sauf de la maison, « il m'y ramène de même, près de mes proches, de mes amis, sem<«<blables à moi, et que, nuit et jour, libre et tranquille, je te prie en << paix, dans une vie sans mélange de mal, tendant vers toi sans cesse «<les ailes de mon âme, ô lumière de la vie, jusqu'à ce que j'aie achevé la << route suprême et commune, et que j'arrive à la demeure, terme des << souffrances pour les vrais adorateurs. Pour toi je vis, pour toi je parle; « pour toi je m'arrête, ô Christ roi, pour toi je pars, parce que ta main « me protége. Conduis-moi, même aujourd'hui, au terme de ma route. » On le comprend, au reste. Quelque belle que soit par moment cette poésie, les tons doivent en être peu variés. La tristesse religieuse, qui en est l'âme, en fait aussi l'uniformité. Mais l'art n'était pas l'objet du poëte il épanchait ses craintes, ses douleurs, ses méditations chrétiennes de chaque jour, et s'inquiétait peu des fréquentes répétitions, qui n'étaient que l'écho de sa foi.

Par là même, ce n'est pas dans les pièces d'un mouvement dramatique et varié, nous l'avons dit ailleurs, que son inspiration est la plus heureuse; c'est plutôt dans une sorte de plainte rêveuse, dont l'accent s'élève peu, ne change pas, et où l'âme s'interroge elle-même tour à tour curieuse et résignée.

Sous cette forme, Grégoire de Nazianze a été poëte original: et, dans le volumineux recueil de ses vers, il y a quelques méditations élégiaques d'un charme impérissable; et cependant ce génie contemplatif, qui ne trouvait toute sa grandeur que dans le repos, sous la main de Dieu, dans la tristesse solitaire, avait été, bien des années, en butte au choc des passions humaines, entre les grands et le peuple, admiré, applaudi, calomnié, battu de toutes les agitations des conciles, ce forum du monde chrétien. Le contre-coup de tant de luttes, et comme le long souvenir de ces vives douleurs se retrouvera donc aussi dans ses Poésies,

langage familier de son âme, non moins naturel

pour

lui que

la prédi

cation ou la prière. Ce reste des blessures du siècle le suivra, le tourmentera dans la retraite, soit cette retraite passagère et troublée, qu'il se faisait parfois au milieu des splendeurs de sa métropole, soit cette solitude profonde et sans retour, où il ensevelit ses dernières années.

Comme les poëtes lyriques de l'antiquité profane, l'évêque persécuté, ou même le solitaire, aura donc par moment des vers accusateurs contre ses envieux, de touchants appels à ses anciens amis, et parfois même des cris de colère et d'anathème, des ïambes de pieuse indignation. Choisissons de préférence les regrets qu'il adressait à son Église d'Anastasie, non dans le mécompte d'une ambition déchue, mais dans la longue douleur d'une affection trompée.

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«Je te désire', s'écrie-t-il, peuple bien-aimé, je te désire; je ne le <«<nierai pas, toi la génération de mes paroles, peuple de ma chère Anas<«tasie, qui ressuscitas, sous un enseignement nouveau, la foi jadis éteinte (( par des instructions meurtrières; toi, du milieu de qui ma parole jaillissait, comme une étincelle illuminant toutes les Églises, quel est aujourd'hui le possesseur de ta beauté et de mon trône? Comment suis-je isolé, sans enfants, lorsque mes enfants sont en vie? O Dieu de paix, gloire à toi, quand même il m'arriverait pis encore! Peut-être, punis-tu ma franchise téméraire. Mais quelle voix maintenant te pro«clamera sans crainte, ô Trinité? »

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((

Et, dans d'autres vers animés de l'amertume et des menaces du prophète : «Les chemins de Sion pleurent, dit-i! 2, regrettant le peuple ado<«rateur de la loi sainte, dans les jours de solennité : je pleure aussi du « regret qu'on ne voie plus ce peuple accourant à mes discours, comme << faisait autrefois Constantinople, et tout ce qu'elle avait reçu d'habitants étrangers, que la Trinité sainte éclairait de sa lumière et maintenant, <«< comme le lion rugissant, je gémis de loin. D'autres peut-être obsèdent <«<mes enfants, me les dérobent par d'insidieuses paroles. Ô si la force « me venait, comme jadis, Trinité sainte, et que mon rugissement re<< tentît pour toi, les bêtes féroces s'enfuiraient de nouveau! »

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:

Et ailleurs, s'adressant encore à ceux qu'il a quittés, dont il se plaint, mais qu'il ne veut pas maudire, dans leur ingratitude, avec la colère païenne d'un Archiloque ou d'un Hipponax3.

«Ô vous, s'écrie-t-il, prêtres, qui offrez à Dieu des hosties non sanglantes, adorateurs de la grande unité dans la Triade, ô loi sainte, ô

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3

1S. Gregor. Nazianz. oper. t. II, p. 668. — Ibid. p. 670. — Ibid. p. 670.

« monarque orné de piété, fondation illustre du grand Constantin, se<«<conde Rome, aussi supérieure aux autres villes que le ciel étoilé l'em«porte sur la terre, je vous prends à témoin de tout ce que l'envie <«< m'a fait, de quelle manière elle m'a séparé de mes religieux enfants, après mes longues luttes, après la lumière que j'avais apportée par les enseignements célestes, après les eaux limpides que j'avais fait jaillir

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« du rocher! Quelle justice, grand Dieu, de m'infliger des maux et des <«< craintes, parce qu'une ville a reçu de moi le sceau de la piété chré<«<tienne! Quelle justice qu'un autre charme sa pensée du spectacle de <«<mes souffrances, montant lui-même au trône pontifical, qu'il oc<«< cupe sans droit, et où j'avais été promu par Dieu et les vrais serviteurs de Dieu! Voilà le mal! voilà ce que les fidèles de Dieu, se faisant, l'un « à l'autre, une guerre lamentable, ont inventé contre moi, parce que « je ne voulais pas être l'athlète d'un parti, ni mettre quelque chose avant «<le Christ!

་་

«Ma faute, c'est de n'avoir pas fait la même faute que d'autres, et << de n'avoir pas voulu attacher ma barque aux flancs d'un grand navire. <«< Ainsi, j'ai encouru la haine des hommes légers, qui ont livré sans scru«pule la chaire pontificale aux amis de la fortune et du temps. Mais « que l'abîme de l'oubli couvre tout cela! Une fois éloigné, je goûterai <«< la vie tranquille, laissant là tout ensemble et la cour, et les villes et « les prêtres, comme je le souhaitais jadis. Ainsi, avec joie, j'échappe à «<l'envie; et, sorti d'une grande tempête, j'ai jeté le câble dans le port, « où désormais, élevant mon cœur par de pures pensées, j'offrirai à <«< Dieu mon silence, comme autrefois ma parole. C'est Grégoire qui << parle, celui qu'avait nourri la terre de Cappadoce et qui s'est fortifié « de toute science pour le Christ. »

((

Dans ce regret, dans cet adieu, dans cette joie prétendue, dans cet espoir d'oubli, vous sentez, n'est-ce pas, les dernières passions d'une àme chrétienne, mais humaine ? On peut le croire, cette offrande du silence, cette résignation à l'obscurité, cet abandon si absolu de la gloire, mais aussi de l'apostolat, n'était pas sans pénible effort, sans désaveu secret pour le brillant orateur si touché des grâces de la parole et si puissant par elles. A quelques égards, et dans la différence des temps et des mœurs, son éloignement de Constantinople était la disgrâce de Fénelon, au xvII° siècle : c'était bien plus encore; car il était banni de son Église, comme de la cour; il était non pas exilé dans son diocèse, mais relégué, comme inutile, dans un obscur village. La piété même, le regret du bien à faire, de la foi à défendre, venait au secours des faiblesses de l'orgueil humain et s'y mêlait pour les couvrir, s'il en

restait encore dans cette âme enthousiaste et candide. De là, les accents de vraie poésie élégiaque, admirés dans Grégoire de Nazianze, mais qui ne devaient pas nous faire oublier son génie lyrique.

VILLEMAIN.

LETTRES DE JEAN CALVIN, recueillies pour la première fois et publiées d'après les manuscrits originaux, par Jules Bonnet. Paris, 1854, librairie de Ch. Meyruis et Compagnie, 2 vol. in-8°.

DEUXIÈME ARTICLE 1.

Avant d'examiner comment se comportèrent dans l'État les protestants français, il ne sera pas sans intérêt de rechercher ce qu'ils pensèrent en matière de gouvernement. Leur croyance, qui les poussait à l'indépendance religieuse, les disposait-elle à l'indépendance politique? Étaient-ils enclins par leurs maximes, comme ils y furent précipités à la longue par leur situation, à se soulever pour se rendre libres, et eurent-ils jamais la pensée de changer la forme de l'État? Calvin, qui fonda leur croyance, inspira aussi leur conduite : il fut pour eux le guide de la foi et le régulateur de la politique. Aussi est-il curieux de connaître, à cet égard, ses théories, afin de bien comprendre ses conseils.

De très-bonne heure, on accusa les partisans de la réforme en France de nourrir des pensées d'anarchie et d'avoir des projets de soulèvement. On les représenta à François Ier non-seulement comme des hérétiques qui altéraient la vérité religieuse, mais encore comme des républicains prêts à devenir des rebelles et à bouleverser l'ordre monarchique. C'était le moyen de les rendre redoutables au roi en même temps qu'ils étaient odieux au catholique. De la terre d'exil, où il s'était mis en sûreté après la grande persécution de 1534, Calvin s'attacha à les justifier. Il le fit éloquemment dans le livre de l'Institution chrétienne. S'adressant à François Ier lui-même, il dit, en parlant d'eux : «Leur doctrine est notée de sédition et de maléfice... Vous mesme, «Sire, vous pouvez estre témoin par combien fausses calomnies elle

1

Voyez, pour le premier article, le cahier de décembre 1856, page 717.

:

« est tous les jours diffamée envers vous c'est à savoir qu'elle ne tend «< à autre fin sinon que tous regnes et polices soyent ruynées, paix soit « troublée, les lois abolies, les seigneuries et possessions dissipées, bref « que toutes choses soyent renversées en confusion 1. »

་་

((

Après avoir fait le plus lamentable tableau des cruelles épreuves auxquelles étaient soumis de pieux et pacifiques chrétiens, qui les supportaient patiemment dans les prisons, sous le fouet, dans le bannissement, au milieu des supplices, Calvin repousse avec force les intentions subversives qu'on leur prêtait. Il met François I en garde contre ceux qui les lui représentent comme «ne cherchant dans ce nouvel « Évangile (ainsi l'appellent-ils) autre chose qu'occasion de séditions et « toute impunité du mal faire2, » et il ajoute : «Nous sommes injuste<«<ment accusez de telles entreprises, desquelles nous ne donnasmes ja<< mais le moindre souspçon au monde. Et il est bien vraysemblable que «nous, desquels jamais n'a esté ouye une parole séditieuse, et desquels «la vie a toujours esté cogneue simple et paisible quand nous vivions << sous vous, Sire, machinions de renverser les royaumes. Qui plus est, <«< maintenant estant chassez de nos maisons, nous ne laissons point de << prier pour vostre prospérité et celle de vostre règne. Il est bien à « croire que nous pourchassions un congé de tout mal faire sans estre «reprins. Et graces à Dieu, nous n'avons point si mal profité en l'Évangile que nostre vie ne pouisse estre à ces détracteurs exemple de chas« teté, libéralité, miséricorde, tempérance, patience, modestie et toutes « autres vertus. Certes, la vérité tesmoigne évidemment pour nous que << nous craignons et honorons Dieu purement, quand par nostre vie et «<par nostre mort, nous desirons son nom estre sanctifié... Or, s'il y en «<a aucuns qui, sous couleur de l'Évangile, esmeuvent tumulte (ce « qu'on n'a point vu jusques icy en vostre royaume), ou qui veuillent <«<couvrir leur licence charnelle du nom de la liberté qui nous est don«née par la grace de Dieu..., il y a loix et punitions ordonnées pour «<les corriger asprement selon leurs delits 3. »

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Ce qu'il présente au roi comme justification dans sa célèbre préface, ce qu'il recommande plus tard dans sa correspondance aux Églises réformées comme conduite, il l'avait exposé comme théorie fondamentale dans le chapitre de l'Institution chrétienne sur le gouvernement civil, et il l'avait inséré comme obligation étroite dans les confessions de foi. Décrivant la forme et discutant les mérites des diverses espèces de gouvernements dans le xx chapitre du livre XIV et dernier de l'Insti

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