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et d'une roideur extraordinaire. Elle voulait que je sondasse les entrailles de cet oiseau singulier. Je m'y refusai pour ne pas le déformer; elle fut plus hardie avec moi, et procéda à un examen qui lui fit découvrir un rouleau de doubles louis, de quarante-huit francs; il y en avait cent; elle me les apporta avec le plus grand empressement; et je ne pus m'empêcher d'être touchée de la reconnaissance de cet honnête homme, qui m'en donnait des preuves si délicates. Mais je ne pus m'empêcher non plus de rire, en songeant que, sans l'obstination de ma vieille, le chapon eût paru sur la table avec son trésor dans le ventre, et qu'en le découpant on aurait été singulièrement étonné d'une si riche découverte.

Le dîner fut charmant; la gaîté, les aimables plaisanteries en firent les frais les plus délicats. Ce qui le rendit particulièrement agréable, ce fut le tissu d'aventures et de circonstances que je vais raconter; elles me ramèneront naturellement au sujet que j'ai abandonné pour m'occuper du Bordelais et de son chapon.

J'ai dit précédemment que M. de N........ avait promis de venir me voir. Sa visite suivit immédiatement la lettre qu'il m'avait écrite, et pour me marquer son empressement, il ne se donna pas le temps de changer de costume; il vint me

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as an attirail militaire qui lui allait à mersexile une parut avoir 23 ou 24 ans; sa taille sant de cinq pieds six pouces au moins; il était bien tut de sa personne, et l'on pouvait lui appliquer ce qu'on avait dit de quelques Russes, qu'ils ressemblaient à un cornet de bonbons. Sa figure, sans être belle, avait une grande expression de douceur, des dents admirables, le sourire fin ; il manquait un peu de bonnes manières, à ce qu'il me parut au premier abord; mais élevé dans les camps, il n'était pas étonnant qu'il ne fût pas

initié dans toutes les délicatesses de la vie sociale. Enfin, tel qu'il était, il me promit de faire tout ce qu'il pourrait pour m'être agréable, et placer mon protégé comme je le désirais. Il ajouta obligeamment qu'il s'y sentait porté avant de me connaître, mais que depuis qu'il m'avait vue, il n'aurait aucun repos qu'il n'eût réussi. Il me demanda la permission de me rendre compte des démarches qu'il ferait à ce sujet. Sa visite fut courte; je trouvai ce jeune homme fort bien, mais il ne me laissa d'autre impression que l'idée qu'il réussirait à assurer le sort du fils de mon hôtesse, brave, honnête et timide jeune homme.

Je recevais alors des visites fréquentes de M. de La Poterie qui me faisait la cour; il aurait pu facilement placer mon protégé dans le corps

qu'il commandait, mais il avait refusé de s'y intéresser; il apprit avec humeur que M. de N*** avait promis de m'être utile: « C'est un fat, me

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dit-il, qui n'est venu chez vous que par curiosité; en sortant, il ne pensera plus à rien; il fait «sa cour à toutes les belles; il est attaché d'ail<«< leurs à la femme d'un banquier, qui raffole de <«<lui, et qui, peut-être, lui est utile; car je ne « lui connais pas une grande fortune; je vous réponds qu'il vous a promis beaucoup plus qu'il << n'a envie de faire, et que vous n'entendrez plus « parler de lui. »

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Ses discours piquaient singulièrement mon amour-propre; il me répétait chaque jour que j'étais jolie, et je ne concevais pas qu'il supposât que les autres missent aussi peu d'importance au plaisir de me connaître. Je lui fis de légers reproches de ce qu'il ne voulait pas faire lui-même ce qui lui était si facile, et qu'il m'obligeât à recourir à une personne étrangère. « Je ferai bien, « me dit-il, entrer ce jeune homme dans la ligne, « mais dans la garde, non; je n'en veux point. <«< Eh bien, moi, répliquai-je, je veux qu'il entre <«< dans la garde. — S'il en est ainsi, faites un co« lonel à ma place, et vous obtiendrez ce que vous <<< voudrez. »>

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Il revint passer la soirée chez moi; j'avais quelques personnes; ses attentions pour moi furent extrêmes; il me fut facile de voir (les femmes s'y connaissent bien) que je lui plaisais infiniment; il me demanda de nouveau la permission de me présenter M. d'Houdetot, et me prévint qu'ils viendraient l'un et l'autre un peu de bonne heure, à cause du service.

Le lendemain j'étais malade, très-changée, et encore en bonnet de nuit, lorsqu'on m'annonça ces messieurs; je souffrais si cruellement, que j'étais toute défigurée; je ne mis aucune coquetterie à les recevoir; je ne sais si M. de N*** avait dit à son ami qu'il me trouvait fort bien, et qu'il se sentait du goût pour moi; le fait est que M. d'Houdetot après m'avoir assuré qu'il se chargeait de mon protégé, et m'avoir engagée à le lui envoyer, me voyant extrêmement souffrante, et presque hors d'état de lui répondre, prit congé de moi, et se retira avec son ami. J'ai su depuis qu'il dit à M. de N*** qu'il ne trouvait rien en moi de séduisant, et qu'il ne comprenait rien à sa passion; ce mot refroidit singulièrement la tête et l'imagination de M. de N***, qui cessa de me voir, tout en s'occupant de la personne que je lui avais recommandée..

Ce fut un triomphe pour M. de La Poterie; il

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