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pour eux plus de charme que la dialectique raffinée des théologiens et des légistes. Ils passaient pour peu lettrés, et leur prononciation était si vicieuse, que les mots les plus différents se confondaient sur leurs lèvres. «Fou de Galiléen, que demandes-tu? disait-on un jour à l'un <«<d'entre eux; est-ce un âne pour monter dessus, du vin pour boire, un «<habit pour te couvrir, ou une brebis pour l'égorger? » Mais, s'ils manquaient de science, ils ne manquaient ni d'éloquence ni de poésie. Ils excellaient dans la parabole et dans la légende, et cette disposition de leur esprit se trouvait en harmonie avec la beauté de leur pays, orné de hautes montagnes telles que le Carmel et le Thabor; partagé entre de magnifiques plaines, où l'olivier répandait en abondance ses riches présents; couvert de villes, de villages et de bourgs populeux; justement fier des rivages enchantés et des flots animés du lac de Tibériade.

Ne pouvant suivre M. Neubauer dans les détails sans nombre où il est entré, ni relever une à une ses observations pleines de sagacité et ses judicieuses critiques, nous nous contenterons, après avoir essayé d'en caractériser l'esprit, de retracer à grands traits le plan de son ou

vrage.

Il nous offre d'abord, sous le nom de préface, auquel il faudrait peutêtre substituer celui d'introduction, une notice substantielle, exacte, intéressante, sur la composition des livres talmudiques et subsidiairement sur les lettres hébraïques en général, depuis le retour de l'exil de Babylone jusqu'à l'apparition des premiers docteurs de la Mischna et de la Guémara. Rien n'était plus nécessaire, puisque les textes du Talmud sont la matière même et, si l'on peut ainsi parler, le bloc d'où l'auteur a tiré son œuvre.

Après ces considérations générales M. Neubauer entre dans son sujet, aborde la géographie proprement dite, à laquelle il consacre deux livres très-distincts. Le premier se renferme dans la Palestine, se bornant à faire connaître ce pays dans son ensemble et dans ses détails, s'arrêtant successivement à la Judée, à la Samarie, à la Galilée, à la Pérée, marquant la situation de leurs mers, de leurs lacs, de leurs fleuves, de leurs montagnes, discutant les noms, les origines, la topographie, le rôle historique de leurs principales villes, de toutes celles au moins qui sont mentionnées, soit dans les deux Talmuds, soit dans les Midraschim, soit dans les chroniques.

Le second livre traite des pays situés hors de la Palestine, mais qui, étroitement mêlés à son histoire, sont fréquemment mentionnés, sous des noms plus ou moins reconnaissables, dans les différents monuments de la tradition juive. Au nombre de ces contrées on voit figurer la Sy

rie, l'Asie Mineure, la Babylonie, l'Arménie, l'Arabie, l'île de Chypre, l'Inde, l'Éthiopie, et, d'une manière générale l'Afrique et l'Europe.

Le volume se termine par deux index, l'un français, l'autre hébreu, qu qui facilitent les recherches et font de ce savant ouvrage une sorte de dictionnaire géographique et historique d'après le Talmud. Il peut servir de complément au beau travail de M. Derenbourg sur la Palestine.

AD. FRANCK.

MANUEL D'HISTOIRE ANCIENNE DE L'ORIENT jusqu'aux guerres médiques, par François Lenormant, sous-bibliothécaire de l'Institul.

De toutes les histoires, celle qui, revue par la critique moderne, promet d'offrir le plus de nouveauté, c'est l'histoire ancienne; je veux dire surtout l'histoire de l'ancien Orient. Jusqu'à présent on ne la connaissait que par les auteurs classiques. L'Égypte avait bien ses monuments debout qui attestaient une antique et puissante civilisation; mais ces monuments n'étalaient leurs inscriptions que pour défier, comme les sphinx, dont ils reproduisent si souvent les images, la curiosité de l'historien. L'Assyrie semblait, de toutes ses destructions, n'avoir pas même gardé des ruines. La science moderne a mis au jour ces mystères cachés. Champollion a trouvé et remis à de dignes successeurs la clef de l'écriture hieroglyphique des Égyptiens. D'intrépides chercheurs ont découvert les ruines de Ninive et mis au jour des inscriptions de forme étrange, que la perspicacité d'autres savants n'a pas moins déchiffrées. Ces inscriptions, gravées sur les monuments, sont les archives de ces anciens empires. Eux-mêmes déposent de leur propre histoire, et l'on ne peut plus, aujourd'hui refuser de les entendre pour s'en tenir à ces ouï-dire recueillis par les Grecs, avec toutes les chances d'erreur, de falsifications et d'impostures, qu'offrent des traditions ou des récits sur des faits écoulés depuis des siècles. C'est cette histoire, puisée aux sources indigènes, que M. Fr. Lenormant veut introduire aujourd'hui dans l'enseignement, et nul mieux que lui n'était préparé à

cette œuvre.

Initié dès l'enfance aux plus difficiles études de la linguistique et de

l'archéologie par un père qui était maître en ces matières, il se trouve sur un terrain qui lui est familier; et, alors même qu'il résume les travaux des plus illustres savants de notre époque, il ne dit rien qu'il n'ait vérifier par lui-même.

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Le premier volume de son Manuel d'histoire ancienne de l'Orient jusqu'aux guerres médiques donne l'histoire distincte de trois groupes de peuples les Juifs, les Egygtiens et les Assyriens.

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Pour les Juifs, M. Lenormant n'avait pas la prétention de rien renouveler. L'histoire des Juifs, indépendamment de toute considération religieuse, est l'histoire la mieux établie et la mieux conservée de l'Ancien monde. Mais l'auteur a su éclairer plusieurs des points de ces annales par les lumières que l'Orient, mieux connu, projette tout alentour. Je citerai son commentaire du Xe livre de la Genèse, où la science des langues, qui est un des flambeaux de l'histoire, l'aide si bien à nous faire suivre dans leurs ramifications les trois grandes races qui ont peuplé le monde connu des Hébreux. Mais je trouve l'auteur un peu hardi quand il supprime l'histoire de Judith et n'y fait allusion que par ces paroles au chapitre des Assyriens : « Assouridilili III (647625), fils d'Assourbanipal, est le Chinaladan des auteurs grecs, mais « non, comme on l'a dit souvent, le Nabuchodonosor du livre de Judith, lequel raconte, sous le voile de noms assyriens, babyloniens et « perses, un des épisodes les plus glorieux de la lutte nationale des Juifs sous les Macchabées, la mort de Nicanor, général d'Antiochus. >> Il y a un fait dont il ne me paraît pas avoir assez tenu compte. Hérodote dit que Phraorte, roi des Mèdes, périt en combattant les Assyriens la vingt-deuxième année de son règne, c'est-à-dire en 635, et le livre de Judith (1, 5) rapporte que Nabuchodonosor remporta cette victoire quand il était roi depuis douze ans. Or il y a, dans le canon astronomique, un roi de Ninive dont la douzième année tombe en 635 c'est Kiniladanus. N'est-ce donc pas fort justement qu'on a vu en lui le Nabuchodonosor de Judith? M. de Saulcy l'a pensé (Mémoires de l'Académie des inscriptions, nouvelle série, t. XIX, 1 partie), et il n'est pas le seul qui ait été frappé de cette concordance. J'ajoute que, lorsque trois éléments chronologiques, empruntés à trois sources complétement indépendantes, comme Hérodote, le canon astronomique de Ptolémée et le livre de Judith, s'accordent sur un même point, ce point doit être tenu pour aussi bien établi qu'aucun fait de l'histoire; et cette coïncidence, qui ne peut pas être l'effet du hasard, donne, par contre-coup, au livre de Judith une valeur historique dont il n'est pas permis de faire si bon marché.

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En passant des Juifs aux Égyptiens, M. Lenormant se trouve plus à l'aise qu'on ne serait tenté de le croire après la profession de foi qu'il a faite très-expressément dans sa préface.

On s'imagine aujourd'hui trop facilement qu'on met en péril l'autorité de la Bible en reculant les origines du monde. On se figure qu'en entassant dynasties sur dynasties on s'élèvera au-dessus de l'époque de son déluge, et qu'en multipliant les périodes géologiques on dépassera de beaucoup la borne fixée par elle pour la création : c'est une erreur. D'Abraham, père des tribus juives, au déluge et à la création, la chronologie de la Bible ne peut s'établir que par des listes généalogiques; or les Orientaux, dans leurs généalogies, ne s'attachent qu'à une chose : suivre la ligne droite sans s'inquiéter des intermédiaires. Mais des générations supprimées, ce sont des années, des siècles même, qui se dérobent au calcul. Il n'y a donc, ni pour le déluge ni pour la création, aucune date vraiment établie, et la Bible comporte toute la durée que la science se croira le droit d'assigner soit à l'homme, soit à la terre. Ce n'est pourtant pas une raison pour admettre aveuglément les prétentions des peuples à cet égard. La plupart des Orientaux se sont donné une antiquité prodigieuse. C'est par milliers de siècles qu'ils comptent; et les dynasties humaines n'y pouvant suffire, ils ont imaginé des règnes de dieux. C'est un premier retranchement facile à opérer dans leur chronologie; mais les règnes des hommes présentent encore des chiffres qui semblent peu en rapport avec le petit nombre de faits conservés par l'histoire.

Les prêtres égyptiens disaient à Hérodote que leurs rois, depuis Ménès jusqu'à Séthos, avaient régné onze mille trois cent quarante ans. Manéthon énumérait, de Ménès à la conquête des Perses, trente dynasties, dont les chiffres ajoutés donnent une somme de quarante à cinquante siècles. M. Lenormant fait bonne justice des nombres allégués par les prêtres de l'Égypte à Hérodote. Mais il est disposé à prendre Manéthon à la lettre, et à donner aux dynasties égyptiennes une durée qui les fait remonter à 5004 avant Jésus-Christ. Cependant Manéthon n'est pas lui-même exempt de tout soupçon d'idée préconçue dans l'établissement de sa chronologie. Un fait incontesté, c'est que, parmi les dynasties égyptiennes, plusieurs furent simultanées cela est

1 Nous prenons cette occasion pour renvoyer à une thèse remarquable par l'érudition et la critique, sur le système chronologique de Manéthon, confronté avec les plus récentes découvertes de l'archéologie, thèse soutenue il y a deux ans par M. l'abbé Vollot, que la mort vient d'enlever si jeune à la science et à l'Église.

prouvé par Manéthon lui-même, puisqu'on lit sur les monuments des noms de rois qui ne se trouvent pas dans ses listes. Manéthon en a-t-il fait l'élimination de parti pris, et peut-on regarder son travail comme une œuvre critique qui, à cet égard, ne laisse plus rien à faire? M. Lenormant est tenté de le croire; M. de Rougé est beaucoup moins affirmatif, et j'aime mieux sa réserve. Sans contester que plusieurs des dynasties les plus anciennes de Manéthon aient régné sur toute l'Égypte, il faut reconnaître qu'il y en a d'autres sur lesquelles les monuments ne nous disent rien et qu'il n'est pas prudent de placer bout à bout pour arriver à fixer le point initial de cette histoire.

Le chapitre des Assyriens est celui qui présente le plus de faits nouveaux. Ce n'est pas que les monuments de l'Assyrie découverts de nos jours nous puissent conduire jusqu'aux temps les plus anciens de cette région fameuse. C'est à la Bible qu'il faut demander les premières notions sur les origines de Ninive et de Babylone. C'est la science des langues, appliquée aux noms cités par les livres sacrés ou recueillis dans les listes de Bérose, qui nous fait entrevoir les révolutions par suite desquelles les Aryas, les Touraniens ou Scythes et les Sémites, se succédèrent dans l'empire fondé par Nemrod, fils de Chus. A partir du xx siècle l'élément sémite l'a emporté, et l'on peut marquer avec plus de sûreté les principales époques de cette histoire.

C'est d'abord l'empire chaldéen auquel Bérose donne quarante rois: une cinquantaine de noms de rois, lus sur les monuments, paraissent appartenir à ce premier empire; mais on ne sait rien, ni de leurs actes, ni de leur ordre même. De 1559 à 1314 environ, l'Égypte étend ses conquêtes sur la Mésopotamie. Quand sa domination est renversée, on voit paraître à Ninive le premier empire assyrien, celui que la tradition de Ctésias fait commencer par Ninus et Sémiramis et qui finit avec Sardanapale sous l'effort des Mèdes et des Babyloniens conjurés (1314-788); et ici déjà les inscriptions cunéiformes fournissent des noms et des faits entièrement nouveaux. Bientôt se relève sur les ruines de Ninive le nouvel empire assyrien, et c'est alors que les monuments ont une importance capitale: car c'est de ces rois que datent les grands palais dont les ruines ont été récemment mises au jour; et leurs noms ne nous sont pas tous étrangers. Ce sont les noms que nous avons lus dans les livres des Juifs; ce sont les rois qui combattent Israël et Juda, c'est la Ninive des prophètes. La lecture des inscriptions trouverait donc, s'il en était besoin, sa confirmation dans la Bible; et, en même temps que les monuments euxmêmes servent de contrôle à l'histoire des Hébreux, ils illuminent par

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