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noms. Des collaborateurs jeunes encore, mais appelés, on peut le prédire sans crainte, à occuper dans la science un rang élevé, ont donné d'excellents mémoires tout à fait dignes de figurer à côté des écrits de leurs maîtres. M. Darboux particulièrement a su, dans deux pièces excellentes et déjà appréciées, se placer tout d'abord au nombre des géomètres réellement inventifs. Ses travaux sur les surfaces orthogonales, et l'application ingénieuse à la solution d'un problème célèbre et déjà bien souvent résolu, seront remarqués par tous les amis de la géométrie. M. Didon, dans un seul mémoire présenté à la Faculté des sciences comme thèse pour le doctorat, semble montrer, par ce brillant début, des qualités non moins solides, j'oserais dire non moins exceptionnelles. D'autres travaux fort distingués aussi de MM. Combescure, Picart et Méray, imposent aux éminents directeurs du recueil le devoir de se montrer sévères à l'avenir, et de maintenir soigneusement le niveau si élevé qu'ils ont su atteindre tout d'abord.

Les recherches de M. Bourget sur les plaques vibrantes et sur les vibrations des cordes, quoique susceptibles de vérifications expérimentales très-précises, s'adressent surtout aussi aux lecteurs géomètres. L'expérience et la théorie n'y sont pas entièrement d'accord, et l'habile auteur, après l'avoir loyalement reconnu, y trouve une occasion de poursuivre ses recherches en en accroissant l'intérêt.

« Des expériences faites avec beaucoup d'habileté et de conscience, <«< est-il dit dans le rapport fait à l'Académie des sciences sur le mémoire « de M. Bourget, confirment une partie seulement des résultats obtenus «par le calcul. Nous devons louer le savant et habile auteur d'avoir si«gnalé avec grand soin les différences régulières et constantes qu'il a « observées. Les lignes nodales qu'il obtient sont, comme le veut la théorie, « des combinaisons du cercle et des diamètres, qui toutefois ne sont nette<< ment dessinées par le sable qui les trace que quand leur nombre ne « surpasse pas deux. Les diamètres des cercles sont ceux que donne la << théorie, et des différences très-petites sont de l'ordre des erreurs d'obser<«<vation. C'est sur la hauteur des sons que le désaccord se manifeste, et « des perturbations trop considérables pour être accidentelles rendent tous les sons observés plus graves que ceux qu'indique le calcul.

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«M. Bourget donne loyalement les chiffres observés sans y joindre << aucun commentaire, mais les conditions dans lesquelles on opère sont <«< évidemment trop différentes des suppositions théoriques pour que ce « désaccord régulier puisse être considéré comme un argument contre « la théorie de l'élasticité. L'immobilité absolue de la circonférence qui limite la membrane n'est pas, en effet, et ne peut pas être rigoureuse

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<<ment obtenue et là sans doute est la cause de l'abaissement de tous ་་ les sons. >>

M. Bourget est revenu sur la question; les points d'attache d'une membrane vibrante ne sont jamais rigoureusement immobiles, et il le démontre par l'expérience. Si l'on tient à la main le cadre d'une membrane tendue au-dessus d'un tuyau d'orgue de hauteur convenable, on le sent vibrer avec vivacité, au moment de la formation des figures nodales nettes. Les points d'attache du cadre avec la membrane ne sont donc pas des nœuds parfaits, et la membrane n'est qu'approximativement dans les conditions supposées par la théorie.

Avant de soumettre au calcul l'influence, très-difficile à apprécier, de cette circonstance, M. Bourget, pour s'y préparer, se propose un problème analogue et plus simple relatif aux cordes vibrantes. Il suppose une corde formée de trois parties de natures différentes, et il cherche les lois du mouvement vibratoire de cet ensemble; en réduisant ensuite les parties extrêmes à des longueurs extrêmement petites, la corde du milieu sera physiquement toute la partie vibrante, et ses extrémités seront attachées à deux points mobiles. Tel était le programme de M. Bourget; mais la question des cordes vibrantes hétérogènes. traitée déjà par Bernoulli, par Euler et par Poisson, était trop intéressante en elle-même pour qu'il ne s'y arrêtât pas, et il a su la traiter avec son habileté et sa science accoutumées. L'expérience est invoquée comme dans le cas des plaques, pour contrôler les résultats théoriques avec lesquels cette fois, elle se trouve complétement d'accord.

La physique mathématique est représentée également dans les annales de l'Ecole normale par une excellente notice de M. Verdet et par une thèse fort intéressante de M. Levistal. Le mémoire d'Émile Verdet sur la constitution de la lumière partiellement polarisée rappelle ces notices excellentes où, dans les Annales de physique et de chimie, il jugeait de si haut, avec une équité parfois sévère, les travaux les plus variés des physiciens français et étrangers. Verdet cette fois reprend la question dans son ensemble, et donne au lecteur le spécimen et le modèle à la fois des fortes et lucides leçons dont le souvenir découragera longtemps ses successeurs.

M. Mascart, l'un des élèves les plus exellents de Verdet, avait su, pendant son séjour à l'École normale, satisfaire assez complétement tous ses maîtres pour qu'en le destinant à cultiver la science qu'il enseignait, chacun le crût appelé à s'y distinguer rapidement. C'est vers la physique expérimentale et théorique qu'il a porté l'activité de son esprit aussi ferme que sagace. Son travail sur les longueurs d'onde des

rayons lumineux, justement couronné par l'Académie des sciences, restera comme un document important dans l'histoire de l'optique; les Annales de l'École normale, en l'insérant en entier, lui devront l'honneur d'être longtemps et utilement consultées par tous les physiciens qui voudront aborder ce difficile et indispensable problème.

Les Annales de l'École normale contenaient déjà un très-intéressant mémoire de M. Mascart sur le spectre ultra-violet. Il existe au delà du spectre solaire lumineux, dont les raies obscures ont été décrites par Frauenhofer, Brewster et M. Kirchoff, un spectre très-étendu de rayons plus réfrangibles dont l'observation directe est difficile, vu leur faible éclat, mais qui peuvent, comme les rayons lumineux voisins, produire les phénomènes de fluorescence et agir chimiquement sur les substances altérables à la lumière.

Les expériences de MM. Becquerel, Stokes, Helmholtz, ont démontré que ces trois propriétés, lumière, action chimique, fluorescence, sont inséparables; ce sont des manifestations diverses des radiations d'une même réfrangibilité; elles disparaissent en même temps, et les minimum d'action ou les raies du spectre solaire sont absolument identiques, quelle que soit celle des trois propriétés qui ait servi à la reconnaître. M. Mascart s'est proposé de donner à l'étude du spectre ultra-violet la même perfection que s'il s'agissait de rayons directement visibles. En adaptant de petites plaques photographiques à des lunettes en quartz, il a pu dessiner avec le plus grand soin la région du spectre solaire qui se trouve au delà du violet et déterminer les indices de réfraction ordinaire des principales raies dans le spath d'Islande, ce qui permettra toujours de les retrouver avec sûreté. Outre l'utilité pratique immédiate de fournir des points de repère pour les mesures, cette étude minutieuse a de l'importance en elle-même. «La résolution de ces bandes <«< confuses, a dit M. Kirchoff, me paraît présenter le même intérêt que la « résolution des nébuleuses du firmament, et la connaissance exacte du « spectre solaire ne semble pas offrir une importance moindre « des étoiles fixes. >>

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que celle

M. Mascart aborde ensuite la question plus difficile et non moins importante de la détermination des longueurs d'ondes, qui n'avait pas pas été reprise depuis les belles expériences de Frauenhofer. Il a apporté quelques modifications à la méthode du célèbre physicien de Munich, et donné une table des longueurs d'onde des principales raies obscures du spectre solaire lumineux et ultra-violet, avec une précision qui n'est pas moindre que le dix-millième de leur valeur. Enfin, dans un autre mémoire qui a reçu de l'Académie des sciences une sanction

dignement méritée, il a étendu les mêmes méthodes à l'étude des raies brillantes de quelques métaux. Avec le cadmium il a obtenu et mesuré un spectre ultra-violet six fois plus étendu que le spectre lumineux dans lequel la longueur d'onde finit par devenir quatre fois plus petite que pour le rouge extrême. Le champ des observation se trouve ainsi considérablement agrandi, et les lois dans lesquelles intervient la longueur d'onde pourront être vérifiées entre des limites beaucoup plus étendues. Citons encore, parmi les mémoires relatifs à l'optique, de très-remarquables expériences de M. Gernez sur le pouvoir rotatoire de l'essence de térébenthine en vapeur. M. Biot, qui s'exagérait, je crois, l'importance, mais non la difficulté du problème, avait fait, pour le résoudre, des efforts longuement racontés par lui, et dont le succès, de son aveu même, était fort incomplet. M. Gernez a été plus heureux, et son mémoire sur le pouvoir rotatoire des liquides actifs et de leurs vapeurs semble trancher définitivement la question; non-seulement M. Gernez a reconnu le pouvoir rotatoire des vapeurs, mais il est parvenu à le mesurer en le comparant au pouvoir rotatoire fourni par le calcul pour le liquide vaporisé. Cette comparaison demandait surtout une grande habileté; elle exigeait, outre la mesure précise des rotations, la connaissance exacte et toujours difficile de la température des vapeurs. M. Gernez a surmonté toutes ces difficultés; le pouvoir rotatoire que, d'après M. Biot, il nomme moléculaire, est moindre pour les vapeurs que pour les liquides de même composition : Y a-t-il changement brusque dans le pouvoir rotatoire du liquide devenu vapeur, ou bien le pouvoir rotatoire varie-t-il insensiblement avec la température? La seconde hypothèse est la véritable, et M. Gernez le démontre de la manière la plus nette.

La chimie, sous l'habile et active impulsion de MM. Pasteur et Henri Deville, ne pouvait manquer d'occuper dans les Annales de l'École normale une place considérable par le nombre comme par l'originalité des mémoires qui y sont consacrés; citons tout d'abord le mémoire déjà classique de M. Lamy sur le thallium; cet excellent travail n'a pas moins attiré l'attention par l'intérêt qui s'attache à l'introduction dans la science d'un corps simple, nouveau et nettement défini, que par l'application de la méthode si féconde, dont MM Kirchoff et Bunsen avaient déjà donné de si admirables exemples.

Rapportons seulement, d'après M. Lamy, l'histoire de sa découverte. Au mois de mars 1861, un chimiste anglais, M. W. Crookes, annonçait dans le Chemical News qu'un dépôt sélénifère du Hartz, soumis à l'analyse spectrale, lui avait présenté une ligne verte caractéristique, et il

concluait, des expériences auxquelles il avait soumis le dépôt, que cette raie verte décelait l'existence d'un nouvel élément appartenant probablement au groupe du soufre. Le 18 mai suivant, M. Crookes publiait une seconde note intitulée : Nouvelles remarques sur le corps supposé un nouveau métalloïde. Dans cette note l'auteur proposait pour l'élément nouveau le mot provisoire (provisional) de thallium. Il avait, disait-il, rencontré cet élément en grande abondance dans un échantillon de soufre de Lipari; il indiquait enfin le procédé par lequel il croyait l'avoir isolé, et qui consistait à le précipiter d'une liqueur alcaline par un courant d'hydrogène sulfuré; mais le précipité de M. Crookes n'était pas du thallium et c'est en apercevant dans un dépôt des chambres de plomb de Lille la raie verte signalée par M. Crookes, que M. Lamy, plus heureux que le chimiste anglais, a réussi à isoler le corps nouveau, dont il a très-habilement donné presque aussitôt toute l'histoire chimique. Le thallium, par ses propriétés physiques comme par plusieurs propriétés chimiques très-saillantes, est tellement semblable au plomb, qu'il a fallu, pour les séparer, unir à une science très-exercée l'emploi continuel des procédés nouveaux de MM. Kirchoff et Bunsen. C'est cependant auprès du potassium et du sodium, et dans le groupe des métaux alcalins que M. Lamy, par l'étude complète de ses combinaisons, a été conduit à le placer définitivement, et les chimistes, par l'organe de M. Dumas, ont accepté cette détermination, dont un beau rapport, adressé à l'Académie des sciences et réimprimé dans les Annales de l'École normale, énumère excellemment les motifs en les justifiant par des vues nouvelles.

M. Pasteur, dans un important mémoire sur la fermentation acétique, a repris l'histoire et la théorie complète, si bien éclairée par lui, de cet important et mystérieux phénomène.

Le vin, exposé au contact de l'air ou abandonné dans un vase imparfaitement bouché, se transforme, comme on sait, en vinaigre, et l'alcool qu'il contient est remplacé par de l'acide acétique.

Cette transformation est effectuée aux dépens de l'un des éléments de l'air, l'oxygène, qui est entièrement absorbé, si l'opération a été faite en présence d'un volume d'air peu considérable; l'analyse confirme d'ailleurs la théorie sommaire qui résulte de ce fait l'acide acétique contient les éléments de l'alcool unis à une certaine quantité d'oxygène.

Il semblerait, d'après cette première vue, que l'eau alcoolisée devrait, au contact de l'air, donner de l'acide acétique; il n'en est rien cependant, et l'on en doit conclure la présence dans le vin d'un agent autre

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