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La section, il est vrai, plaçait au premier rang un quatrième candidat; mais à quoi bon le rappeler? L'histoire des méprises académiques est un lieu commun inépuisable qui n'étonne maintenant et n'instruit plus personne. Quoi qu'il en soit, je ne rattache nullement à l'avantage. obtenu par Poinsot l'inexplicable absence de son nom dans le livre de M. Valson. Poinsot avait fait en géométrie une découverte véritable, celle de quatre nouveaux polyèdres réguliers; il s'était demandé s'il en existe d'autres, et le mémoire présenté par Cauchy à la première classe de l'Institut était la réponse à cette question.

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« Le mémoire que j'ai l'honneur de soumettre à la classe, disait le <«<jeune auteur, contient diverses recherches sur la géométrie des soli<«<des; la première partie offre la solution de la question proposée par «M. Poinsot sur le nombre des polyèdres réguliers que l'on peut cons<< truire. >>

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Le doute n'est donc pas possible, et l'histoire de la question n'exigeait aucune érudition.

Cauchy, dans son premier mémoire, montrait d'éminentes qualités devenues chez lui de plus en plus rares. La forme est aussi excellente que le fond, et la rigueur des raisonnements semble s'allier sans effort à la plus lumineuse clarté. Les deux mémoires de 1811 et de 1812, sur la théorie des polyèdres et les premières études sur le nombre des valeurs d'une fonction, montrent que Cauchy, en arrêtant plus longtemps son esprit sur chacune de ses découvertes, aurait pu, s'il l'eût voulu, leur imprimer ce cachet de perfection définitive que trop souvent, depuis, il n'a pas eu le loisir de chercher. C'est par sa grande hâte de produire que Cauchy a été si loin de mériter l'éloge que lui décerne cependant M. Valson:

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«Il ne quittait pas un sujet avant de l'avoir complétement appro<«< fondi et élucidé, de manière à satisfaire les exigences des esprits les a plus difficiles. »

S'il est un nom illustre dans l'histoire de la science, auquel celte louange ne soit pas applicable, c'est, sans contredit, celui de Cauchy, et, lorsque l'on peut louer en lui tant de rares et exceptionnels mérites, c'est un tort véritable envers sa mémoire de citer précisément celui qui, de l'aveu de tous et évidemment par sa faute, lui a complétement fait défaut.

La théorie des intégrales doubles, et leur application à la recherche des intégrales définies, fut pour Cauchy l'occasion d'un succès plus brillant encore, et, pour les géomètres les plus illustres, l'objet d'un véritable étonnement.

Une intégrale simple ou double est la limite d'une somme d'éléments infiniment petits, et les géomètres jusqu'alors, si l'on en excepte l'illustre Gauss, admettaient que, sans en changer la valeur, on peut intervertir les opérations et ajouter les mêmes éléments dans un autre ordre.

Il faut exclure le cas où certains éléments deviennent infinis. Gauss dans un beau mémoire, avait remarqué que, réciproquement, quand l'ordre des intégrations change la valeur d'une intégrale double, l'élément intégré devient nécessairement infini. Cauchy, conduit par ses propres recherches au même résultat, en a su déduire des conséquences plus importantes et plus précises. Non content d'affirmer que l'ordre des intégrations peut influer sur la valeur d'une intégrale, il calcule dans un cas étendu la différence des deux résultats, et, par un de ces artifices élégants qui, chez lui, semblent naturels, en déduit, pour le calcul des intégrales définies, la méthode la plus ingénieuse et la plus féconde qui eût été donnée jusque-là.

Legendre s'est montré strictement et un peu sèchement juste lorsque, en rendant compte de ce beau mémoire, il écrivit :

<« Nous n'examinons pas si les nouvelles méthodes de M. Cauchy << sont plus simples que celles qui étaient déjà connues, si leur appli«cation est plus facile, et si l'on peut trouver par leur moyen quelque « résultat que ne pourraient donner les méthodes connues; car, quand «même on répondrait négativement à ces questions, il n'en resterait « pas moins à l'auteur le mérite,

« 1° D'avoir construit, par une marche uniforme, une suite de for« mules propres à transformer les intégrales définies et à en faciliter la « détermination;

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«< 2o D'avoir remarqué le premier qu'une intégrale double, prise <<< entre des limites données pour chaque variable, n'offre pas toujours le même résultat dans les deux manières d'effectuer les intégrations; « 3° D'avoir déterminé la cause de cette différence et d'en avoir « donné la mesure exacte au moyen des intégrales singulières, dont l'idée appartient à l'auteur et qui peuvent être regardées comme une décou«verte en analyse;

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<< 4° Enfin d'avoir donné par ses méthodes de nouvelles formules « intégrales fort remarquables, qui peuvent bien se déduire des for<«<mules connues, mais auxquelles personne n'était encore parvenu.

«Il nous paraît, par tous ces motifs, que M. Cauchy a donné, dans << ses recherches sur les intégrales définies, une nouvelle preuve de la « sagacité qu'il a montrée dans plusieurs de ses autres productions. >> Legendre aurait pu, sans exagération, hausser de plusieurs tons la

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note de ses louanges. En signalant une erreur commise jusque-là par les maîtres de la science, Cauchy avait fait preuve de sagacité; mais, en cherchant et trouvant l'expression précise de l'erreur, en poussant à bout les conséquences de cette remarque, en se rendant maître d'un sujet aussi délicat sans en restreindre la généralité, en y rattachant, enfin, tant de conséquences éloignées et imprévues, il prenait rang, à l'age de vingt trois ans, parmi les géomètres inventifs de son époque. Les commissaires de l'Académie auraient pu le proclamer plus nette

ment.

L'idée absolument nouvelle contenue dans le mémoire sur les intégrales doubles devait être mise dans tout son jour par les écrits ultérieurs de l'illustre analyste; elle forme, pour ainsi dire, le motif dominant et le ressort aussi simple que précieux de ses plus admirables décou

verles.

En étudiant les intégrales doubles, Cauchy avait aperçu le rôle considérable des valeurs infinies d'une fonction. La suite des mêmes idées appliquées à la recherche des intégrales imaginaires devait bientôt après lui fournir la remarque la plus importante peut-être aux progrès de la science analytique. La définition d'une intégrale prise entre des limites imaginaires, sa valeur indépendante de la route suivant laquelle on intègre, son changement brusque lorsque cette route franchit certains points pour lesquels la fonction devient infinie ou mal déterminée, les conséquences relatives au calcul des intégrales définies, aux racines des équations, au développement en séries et à la périodicité des intégrales, forment une longue chaîne de vérités nouvelles que l'on ne saurait trop admirer, et dont il faut renoncer à louer dignement la découverte; aucun géomètre, à aucune époque, n'a fait faire à l'analyse pure un progrès plus considérable.

Cette grande théorie n'est pas née tout d'un coup: qui pourrait s'en étonner? Elle s'est lentement ordonnée et développée dans l'esprit de l'illustre inventeur, et je reproche à M. Valson de n'en pas avoir suffisamment marqué les phases et signalé le progrès. Les premiers inémoires contiennent des imperfections et des inexactitudes, corrigées plus tard par Cauchy lui-même. Les fonctions imaginaires n'y sont pas distinctement définies, et l'intervention de leurs valeurs multiples semble n'y jouer aucun rôle. Sans rien enlever à la gloire de Cauchy, cela importe au lecteur, que l'admiration uniforme de M. Valson ne saurait guider. J'ajouterai que les indications du savant auteur sont parfois entachées de graves inexactitudes et de singulières inadvertances. La définition du résidu, ce fondement de tant de travaux de Cauchy, n'est

pas exacte. Quand une fonction f (x) devient infinie pour la valeur

1

f(x)

с

=

m

x=a, a est racine de l'équation o, et, si le degré de multiplicité de cette racine est m, le produit (x-a)" f (x) a pour x= = a une valeur finie. En la nommant c on peut, pour les valeurs de x voisines de a, assimiler la fonction f (x) à; l'erreur commise sera infiniment petite par rapport à la grandeur évaluée, mais cette substitution, qui semble si naturelle, est absolument inféconde; Cauchy a donné, en s'en apercevant, une grande preuve de pénétration, et le résidu, qui joue un si grand rôle, n'est pas, comme le dit M. Valson, la valeur de la constante c. Le calcul des résidus, créé en apparence pour donner plus d'élégance et de simplicité aux résultats relatifs à la théorie des intégrales définies, s'applique avec grand avantage à toutes les parties de la science; Cauchy l'a introduit très-utilement dans l'étude des équations différentielles. Le rôle de Cauchy dans cette partie de la science, comme dans presque toutes ses branches d'ailleurs, est considérable. La théorie si complétement étudiée avant lui des équations. linéaires à coefficients constants, lui doit une forme nouvelle dans laquelle le cas particulier où les racines de l'équation caractéristique deviennent égales est compris dans les mêmes formules que le cas général. J'attache, je l'avouerai, moins de prix que M. Valson à l'idée d'introduire dans les intégrales, pour remplacer les constantes arbitraires, les valeurs initiales de la fonction inconnue et de ses dérivées. Si l'on veut, en effet, pousser les calculs jusqu'au bout, les opérations exigées par les diverses formules sont non-seulement équivalentes mais identiques c'est par l'élégance seule de la forme que l'emportent les formules de Cauchy, et c'est le seul progrès en effet dont parut susceptible la solution d'un problème si bien étudié par ses devanciers.

:

Cauchy a étudié, à plusieurs reprises, des équations linéaires aux dérivées partielles à coefficients constants, et ses formules, remarquables par leur élégance et leur généralité, ont été pour lui l'occasion de ces transformations ingénieuses et imprévues dont il avait le secret. Le Journal de l'Ecole polytechnique contient un beau mémoire de lui sur l'intégration des équations linéaires aux dérivées partielles. En le mentionnant avec les louanges qu'il mérite, pourquoi ne pas rappeler les noms de Fourier, qui a découvert la formule sur laquelle il repose, et celui de Poisson, qui, dans un cas particulier, avait trouvé longtemps avant Cauchy le plus remarquable des résultats qui s'en déduisent?

Dans la théorie des équations aux dérivées partielles non linéaires du premier ordre, la part de Cauchy est considérable, et l'un des progrès

les plus importants lui est dû incontestablement. Mais Hamilton, à son tour, l'a devancé en lui inspirant de nouvelles recherches, dans lesquelles il a été moins heureux que Jacobi. De telles rencontres n'enlèvent rien à la gloire de Cauchy, mais il importe de les signaler, et, pour justifier complétement son titre, une étude complète sur les travaux de Cauchy devrait être à bien peu de chose près l'histoire du progrès des sciences mathématiques pendant quarante ans. M. Valson, dont le but paraît être de louer Cauchy plus encore que de le juger, pouvait, en élargissant sa tâche, lui décerner l'hommage le plus précieux et le plus juste à la fois. Poinsot et Poisson, Jacobi et Abel, Gauss et Dirichlet, ont été, comme Cauchy, les chefs et les modèles des géomètres contemporains, et leurs noms auraient pu briller à côté du sien sans que les avantages de détail obtenus souvent par chacun d'eux laissassent dans l'esprit du lecteur une impression d'infériorité. Le génie de Cauchy est digne de tous nos respects, mais pourquoi s'abstenir de rappeler que la trop grande abondance de ses travaux, en diminuant souvent leur précision, en a plus d'une fois caché la force? La dangereuse facilité d'une publicité immédiate a été pour Cauchy une tentation irrésistible et souvent un écueil. Son esprit, toujours en mouvement, apportait chaque semaine à l'Académie ses travaux à peine ébauchés, des projets de mémoire et des tentatives parfois infructueuses, et, lors même qu'une brillante découverte devait couronner ses efforts, il forçait le lecteur à le suivre dans les voies souvent stériles essayées et abandonnées tour à tour sans que rien vînt l'en avertir. Prenons pour exemple la théorie des substitutions et du nombre de valeurs d'une fonction. A qui doit-elle ses plus grands progrès? A Cauchy sans aucun doute, et il est véritable que son nom, dans l'histoire de cette belle question, s'élève à une grande hauteur au-dessus de tous les autres. Mais, sur cette théorie qui lui doit tant, Cauchy a composé plus de vingt mémoires. Deux d'entre eux sont des chefs-d'œuvre; que dire des dixhuit autres? Rien, sinon que l'auteur y cherche une voie nouvelle, la suit quelque temps, entrevoit la lumière, s'efforce inutilement de l'atteindre et quitte enfin, sans marquer aucun embarras, les avenues de l'édifice qu'il renonce à construire.

Les efforts des plus grands géomètres pour démontrer les théorèmes laissés par Fermat comme autant d'énigmes à la postérité, mériteraient peut-être un exact historien. Dans cette lice glorieuse où sont descendus tour à tour Euler et Lagrange, Gauss et Dirichlet, Legendre et Kummer, M. Lamé enfin, dont les efforts ont été dignement jugés par Cauchy, on pourrait sans injustice accorder la palme à l'auteur des Exercices de

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