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A partir de cet endroit jusqu'au lieu qui porte le nom de Dolichon et qui forme une limite incontestée entre Delphes et Anticyre.....

Le reste de l'inscription manque, et il est vraisemblable que les diverses limites des deux pays étaient successivement mentionnées et

constatées.

Même incomplet, ce document offre un intérêt vif et attachant. On voit revivre l'histoire locale, les contestations des villes grecques sous la domination romaine, le voyage et l'enquête minutieuse du légat Nigrinus, les pierres brutes dressées sur les monticules avec les inscriptions à demi effacées que Nigrinus fait nettoyer et qu'il étudie comme un archéologue de nos jours; on voit la suite du légat, l'anxiété et les discussions des délégués des deux peuples, l'affluence des populations que les soldats tiennent à distance et dont le sort et les petits intérêts sont en jeu. Je me souviens, en franchissant à pied le Taygète, par la langada qui s'ouvre derrière Mistra, d'avoir observé, au sommet de cette belle montagne, un grand bloc gisant sur un lit de thyms et de cyclamens. D'un côté on lisait: Frontière de la Messénie, de l'autre Frontière de la Laconie. Telles devaient être les pierres signalées par C. Avidius Nigrinus sur les monticules appelés Acra Colopheia.

Avidius Nigrinus fut envoyé en Achaïe après l'an 114, car ce n'est qu'à cette époque que Trajan reçut le nom de Très-Bon (Optimus). Avidius était un personnage considérable du temps; il maria sa fille à Céionius Commodus, qui fut adopté par Hadrien. Lui-même devait aspirer au pouvoir suprême après la mort de Trajan; c'est, du moins, ce que lui reprocha l'empereur Hadrien, lorsqu'il le fit mettre à mort quelques années plus tard, l'an 118 après J. C. Trajan avait donc chargé un des plus grands personnages de l'empire, un consulaire, de régler les différends du sanctuaire de Delphes avec les peuples voisins. A ce sanctuaire se rattachaient les traditions les plus respectées de la religion hellénique; or on sait combien les Romains ménageaient les idées religieuses des peuples conquis, et surtout combien ils honoraient et caressaient les villes célèbres de la Grèce. La lettre que Pline le Jeune écrivait à son ami Maximus1, lorsque Maximus était chargé d'une mission du même genre en Achaïe, est pleine de recommandations les plus tendres en faveur des Grecs.

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Quant à l'arrêt des Hiéromnémons, c'est-à-dire des magistrats élus

a

Epist. v, 24. Cogita te.....missum ad ordinandum statum civitatum libera«rum, etc..... Il faut lire toute cette lettre.

par le conseil amphictyonique, que Manius Acilius avait provoqué par l'ordre du sénat, nous en parlerons plus loin. Le texte, selon le témoignage de Nigrinus lui-même, avait été gravé sur un des côtés du temple. Or M. Wescher croit l'avoir retrouvé sur le même bloc qui contient l'arrêt de Nigrinus: il était naturel, en effet, de graver à la suite les uns des autres les documents qui traitaient le même sujet et reconstituaient un territoire soumis aux empiétements et aux contestations.

Mais, avant de raconter la découverte de M. Wescher, il convient de parler de l'inscription grecque, déjà connue, déjà connue, qui est en regard de l'inscription latine.

Cette inscription est mieux conservée, au moins dans sa partie supérieure: elle a permis au savant membre de l'école d'Athènes de rectifier et de compléter, sur plus d'un point, le texte de Dodwell et de Bockh. Voici sa traduction :

Le x' jour avant les calendes d'octobre, à Élatée, concernant le procès des Delphiens contre les Amphissiens et les Myanéens, au sujet des limites, procès que le Très-Grand Empereur m'a ordonné de juger;

Après avoir ouï plusieurs fois les deux parties;

Après m'être rendu sur les lieux et avoir examiné chaque détail de mes propres yeux, en tenant compte des indications fournies de part et d'autre ;

Après avoir, en outre, pris connaissance des preuves alléguées par les plaidants; J'ai formulé mon jugement dans la sentence qui suit :

Puisque l'arrêt prononcé par les Hiéromnémons, sur l'avis de Manius Acilius et du Sénat, arrêt que le Très-Grand Empereur lui-même a respecté comme souverainement décisif, se trouve être, de l'aveu unanime, celui-là même qu'on voit gravé dans le temple d'Apollon, à Delphes, sur le côté gauche (de l'entrée);

Conformément à la délimitation tracée par les Hiéromnémons, je décide que la première limite étant un rocher surplombant un ravin nommé Charadros, au dessous duquel coule une fontaine appelée Crateia, à partir de ce rocher en ligne droite jusqu'à ladite source, la portion (de terrain) qui est du côté de Delphes appartient aux Delphiens, y compris la fontaine Crateia.

Puisque le même arrêt désigne Astrabas comme seconde limite, je décide que, jusqu'à la borne qui m'a été montrée dans [le sanctuaire d']Astrabas, non loin de la mer, et sur laquelle est gravé un trépied, tout ce qui paraissait appartenir au territoire sacré de Delphes....., sur le côté gauche, jusqu'à la mer, est la propriété des Delphiens..... Quant à la borne qui m'a été montrée dans.....

La suite de l'inscription manque; mais ce qui vient d'être traduit suffit pour donner une idée claire de son objet : elle tranche les différends élevés entre Delphes et deux villes voisines, Amphissa, qui n'est

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qu'à 16 kilomètres de Delphes, Myanée, située à quatre kilomètres plus haut qu'Amphissa, en remontant vers le nord. C'est la continuation de l'enquête et des jugements du légat impérial: seulement le texte grec de ce second jugement nous a seul été conservé. On a remarqué, sans doute, ce détail d'archéologie si pittoresque : le trépied, symbole d'Apollon et de Delphes, gravé sur la borne du sanctuaire d'Astrabas. C'est ainsi que les riches abbayes du moyen âge faisaient sculpter leurs armes sur les bornes de leur territoire.

M. Wescher, par le relevé exact qu'il a fait de ce document épigraphique, a singulièrement rectifié et complété le travail de Bockh. C'est ainsi qu'il a lu le nom des Myanéens, qui avait échappé à ses prédécesseurs, précisé la situation du bloc de marbre qui appartenait, non pas à une stèle sous les frontons 1, mais à une des antes de gauche du pronaos du temple; c'est ainsi qu'il rétablit le nom de la source Cratéia, que Bockh lisait Elatéia, etc. etc. On ne saurait donc trop louer l'application, le zèle, la science sûre et mesurée de M. Wescher, qui nous a rendu, dans sa plus grande exactitude, le fragment d'un texte qui est une page de l'histoire de Grèce. Lui-même résume fort bien cette page, qui nous montre l'importance du sanctuaire de Delphes aux yeux des Romains. Un légat impérial a reçu la mission de trancher les contestations survenues entre la ville de Delphes et les villes voisines au sujet des limites de leurs territoires. Le jugement est rendu, dans les deux cas, au nom de l'empereur, et le juge se réfère à l'arrêt des Hiéromnémons, c'est-àdire des magistrats les plus révérés de la Grèce libre. L'une des sentences est rendue à Élatée, en Phocide; l'autre à Éleusis, en Attique. L'inscription grecque est datée du 10° jour avant les calendes d'octobre (21 septembre), l'inscription latine du 6 jour avant les ides (9 octobre). Cet espace de temps suffit pour que le juge ait eu le temps de se transporter d'Élatée à Eleusis. Chacun de ces arrêts successifs a dû être promulgué à la fois en grec et en latin. On n'a encore retrouvé que le texte grec de l'une et le texte latin de l'autre. Il est vraisemblable que le bloc voisin contenait les autres inscriptions.

L'un de ces documents nous donne les limites du territoire de Delphes à l'ouest, c'est le ravin de Charadros et le sanctuaire d'Astrabas; à l'est, le promontoire d'Oponte, le Dolichon et les Acra Colopheia; au sud, la mer, au nord, les cimes escarpées du Parnasse, forment des frontières naturelles. M. Wescher a pu dès lors calculer l'étendue

1

Lecture et restitution que Bockh ne proposait qu'avec un signe de doute : ἐν τῷ ἱερῷ τῷ τοῦ ̓Απόλλωνος τοῦ ἐν Δελφοῖς ἐν στήλη ὑπὸ ἀετῶν ἐγκεχαραγμένην.

du territoire delphique, qui, dans sa plus grande longueur, ne dépassait pas vingt-cinq kilomètres, et, dans sa plus grande largeur, n'en atteignait pas quinze, tant il est vrai que les villes grecques n'avaient de puissance que par les idées et le génie!

Nous avons été frappés, dans le double arrêt du légat Nigrinus, de la mention du jugement rendu par les Hiéromnémons, jugement qui était gravé sur l'ante de gauche du temple. Bockh, averti par Dodwell', qui avait signalé quelques lignes de lettres plus petites au ras du sol de la cave, avait émis une conjecture d'une merveilleuse sagacité. Il supposait qu'on retrouverait peut-être un jour, sur le même bloc, les traces de l'arrêt des Hiéromnémons, deux fois visé par des jugements postérieurs et revêtu d'une autorité qui faisait loi 2.

En effet, M. Wescher, après avoir remarqué que la tête du bloc de marbre s'enfonçait en terre et l'avoir dégagée de ses propres mains, reconnut une inscription grecque, d'un caractère plus ancien, et compta soixante et douze lignes. Le marbre était noirci par la flamme, ce qui lui fit voir que l'incendie avait figuré parmi les catastrophes qui ont amené, à une époque inconnue, la destruction du sanctuaire de Delphes. La surface, gâtée partout, rendait l'estampage difficile et exigeait de l'explorateur les plus persévérants efforts. Malgré le travail le plus minutieux, les ravages du temps l'ont emporté sur la science. Les trentehuit lignes qui composent la première colonne sont toutes incomplètes, et les treize dernières lignes de la seconde colonne sont tellement mutilées, qu'il est impossible de les restituer et d'en obtenir un sens suivi. Toutefois l'importance du texte, même incomplet, est telle, que M. Wescher a rendu à la science et à l'histoire un service signalé. Il a partagé et justifié les prévisions de Bockh: mais du raisonnement il est passé à l'action; d'une conjecture scientifique, il a fait une vérité. Sa découverte n'en est ni moins belle ni moins personnelle pour n'avoir pas été imprévue. Chercher au hasard, trouver au hasard, constituent du bonheur mais non une découverte. La découverte suppose un problème bien posé, un plan bien suivi, une intuition couronnée d'un succès légitime. M. Georges Perrot, lorsqu'il allait copier à Ancyre le double texte du testament d'Auguste, savait quelle était la place occupée par ce testament; d'autres voyageurs l'avaient signalé et en

1

Dodwellus, præter græcum et latinum titulos eos quos edimus alium græcum dixit inesse litteris minutissimis scriptum, sed maximam partem sub solo sepultum. (C. I. G. t. I, p. 834). Unde conjicio pauca illa verba quæ ante hanc inscriptionem litteris minoribus scripta comparent superesse ex illa Hieromnemonum sententia, cui deinceps hæc decreta, quæ habeamus, addita sint.

avaient publié des parties; il savait aussi quelles difficultés il aurait à surmonter, quel fanatisme contre les étrangers à calmer, quelles maisons à démolir et à reconstruire, au moins dans leurs parties adossées au temple d'Auguste. La prévision de tous ces obstacles, le voyage entrepris avec un but nettement défini, la lutte et le triomphe de la volonté d'un savant qui va seul affronter le climat, la matière rebelle et des populations inertes ou malveillantes, voilà le courage, voilà le service · rendu à la science, voilà la véritable découverte. Celui qui trouve sur son chemin des merveilles qu'il n'a pas cherchées a fait une trouvaille, et rien de plus. M. Wescher, lui aussi, a cherché, guidé par l'érudition et le raisonnement ce qu'il a trouvé est une découverte, qui est la récompense de ses efforts, le fruit de son intelligence, et qui lui crée des droits aux éloges et à la reconnaissance du monde savant.

On comprendra mieux l'importance de cette découverte si, avant toute explication, on prend connaissance des textes mutilés et discrètement restitués par M. Wescher, dont je reproduis la traduction :

Enianes, deux voix s'en tenir au jugement des Hiéromnémons.

OEtéens, une voix : s'en tenir au jugement des Hiéromnémons.

:

Locriens (Hespériens, une voix s'en tenir au jugement des Hiéromnémons. Locriens) Hypocnémidiens, une voix s'en tenir au jugement des Hiéromnémons... Doriens du Péloponèse, une voix s'en tenir au jugement des Hiéromnémons.

:

Perrhèbes, une voix s'en tenir au jugement des Hiéromnémons, (au sujet des frontières) de la terre sacrée (de Delphes), de sorte que le jugement prononcé par les Hiéromnémons est souverain. . . . .

Les frontières qui limitent de face le territoire confinant au territoire sacré.. Ils occupent les terrains consacrés à Apollon en vertu de la décision du Sénat. Plusieurs communes aussi occupent la terre environnante: les archontes et les députés de chacune ont été choisis.

Habitants d'Anticyre.

Philon, fils d'Euxénos,
Empedocle...

. fils d'Aristonicos,

Sosigène, fils d'Apollodore,
Andron, fils de Polyxène,

Callion, fils de Socrate.

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