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Mais ces nonis en sa ne sont pas les seuls auxquels ne puisse s'appliquer l'idée d'épouse de; il en est d'autres qu'on ne saurait davantage entendre dans ce dernier sens, soit parce qu'ils sont dérivés de prénoms exclusivement féminins, comme celui de Thanasa (AZAHAO) formé du prénom de femme Thana; soit parce qu'ils sont attribués visiblement comme agnomen ou cognomen à des hommes aussi bien qu'à des

femmes.

En voici des exemples. Le rapprochement des inscriptions publiées dans le Corpus de M. Fabretti, sous les n° 726 ter a à 726 ter f, montre que le surnom de Tuisa (A21V+) fut porté par deux femmes homonymes (Phasti (a) (Fausta) Hermnei(a) (Herminia) Vetusal (Vetiâ nata). Ce surnom ne peut guère alors être dérivé du nom de leur époux, et il apparaît comme un nomen additionnel ou agnomen, car le vocable Tuisa reparaît sur des épitaphes de la même sépulture, donné en prénom à deux autres femmes dont l'une a l'agnomen de Thanas (2AAO), d'où il suit que les deux Fausta Herminia avaient pris ce surnom non d'un époux dont rien ne révèle l'existence, mais d'une femme de leur famille, ce que fit aussi vraisemblablement la dernière que je viens de rappeler pour une parente du nom de Thana.

Dans la sépulture découverte à Grottoli (Corp. 440 bis a-g), le nom de Pesnasa est inscrit dans la double épitaphe de deux morts que l'identité de leur gentilitium et du nom de leur mère (JAVOHA, Anthual Anthia natus, peut-être Aruntiâ natus) fait reconnaître pour deux frères déposés dans le même sarcophage. Le vocable Pesnasa n'a pu être alors qu'un simple agnomen; et en effet il se lit comme second nom d'un personnage de la même famille. L'inscription n° 1246 nous offre les noms de deux époux figurés sur leur commun cercueil. Or la femme reçoit l'épithète de Tarchisa (A219A+), qui n'a aucun rapport avec les noms de son mari, ni avec les noms des père et mère de celui ci inscrits sur un sarcophage provenant du même lieu (n° 1247).

Une inscription latine dans la teneur étrusque achève de mettre en lumière le caractère agnominal de certains noms en sa. Elle porte (n° 857), C. SENTIVS C. F. || GRANIA CNAT || HANNOSSA. Le dernier mot est là clairement un agnomen répondant à l'étrusque Annusa (AZVHHA), dérivé d'Annia ou Annie (IHHА)1.

De ces faits il y a lieu de conclure qu'il existait des agnomina terminés en sa, et quelquefois, par une inversion que s'est permise le lapicide, ils sont, comme d'autres agnomina, insérés entre le prénom et le nom

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ou le nom et l'agnomen de la mère, l'un et l'autre terminés en al pour marquer la filiation 1.

Peut-être quelques-uns de ces noms en sa, qui sont vraisemblablement de forme adjectivale, répondant à l'ensis latin, ont-ils été formés d'un nom de pays comme quelques cognomina romains. Ainsi dans l'inscription suivante de Chiusi (n° 730): Arnza Tlasna Arnthalisa Camarinesa (ARHI9AMAƆ: AZIJAOHGA: AH23JT: A‡H9A), l'agnomen Camarinesa pourrait bien signifier de Camars (nom étrusque de Chiusi), en latin Camartinus. De même, dans la gens tout étrusque des Cæcina, il est fait mention d'un Cæcina Volaterranus ou de Volaterra2; l'on retrouve dans cette famille le nom étrusque de Largus (398) et le surnom d'Alienas, qui répond au surnom d'Etera (A93+3) dont je parlerai dans un prochain article, ainsi que le prénom non moins étrusque d'Aulus (3JVA).

Mais le plus ordinairement les agnomina en esa, asa, isa, usa, paraissent être simplement le nom de l'aïeul maternel. L'Étrusque, qui tenait tant à rappeler sa parenté féminine, parenté qui devait être fréquemment la seule qu'il connût, tant les mœurs étaient relâchées dans sa patrie3, pouvait prendre le soin, par l'addition de ce second nom, de rappeler sa grand'mère. Plusieurs agnomina d'hommes sont en effet visiblément dérivés de noms féminins et se présentent comme un second nom métronymique.

C'est donc la place de l'appellation terminée en sa et le contexte qui seuls peuvent faire discerner si cette appellation est dérivée du nom de l'époux ou si elle représente un agnomen tiré vraisemblablement du nom de l'aïeule.

Un mot qui se lit assez fréquemment sur les inscriptions étrusques, et qui a, comme sec, manifestement le caractère d'une désignation de parenté est puia (AIV1). Tantôt ce mot est employé sans régime comme qualificatif d'un nom de femme, tantôt il est joint à un nom d'homme au génitif, soit qu'il se lise à la suite de l'indication du nom de la personne à laquelle il est attribué comme épithète, soit qu'il se présente seul avec le nom qu'il régit. La ressemblance existant entre ce mot puia et le latin filia avait d'abord fait supposer qu'on avait ici le mot étrusque signifiant fille; cette hypothèse paraissait d'autant plus pro

"Ainsi on lit n° 921 bis, Vel. Tlesna. Patrual. Velusa Palphnal clan) pour Vel. Tlesna Patrual Pulphnal cl(an) Velusa. Cicéron, ad Attic. XVI, 85, § 2. — 3 Voyez ce que dit Athénée, XII, 517, 518. Tel est l'agnomen de Thanchvilu (VIVAO, Tanaquilius) dans l'inscription n° 2108.

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bable, qu'une inscription d'une époque visiblement assez basse et où l'étrusque se mêle au latin, offre le mot FIA (17)1 figurant à une place semblable à celle que reçoit le mot puia sur des monuments plus anciens. Mais la présence simultanée, sur plusieurs épitaphes, soit du mot sec, soit du mot clan, et de ce même vocable puia2, a dû faire abandonner cette supposition, d'autant plus qu'on ne retrouve jamais parmi les noms de la femme l'un des noms de celui dont elle est dite la puia. Certains antiquaires ont proposé de voir dans ce mot l'équivalent du latin uxor, et cette supposition est assurément celle qui a pour elle les apparences les plus significatives, car, comme puia régit constamment un nom masculin au génitif, il semble que ce soit une indication de parenté liant une femme à un homme, et, la filiation écartée, il ne reste plus guère à supposer que l'alliance conjugale. Le rapprochement de certains monuments, en effet, tend à faire croire que le mot puia avec un nom au génitif avait la même valeur que l'adjectif terminé en esa dérivé de ce nom et marquant, comme on l'a dit plus haut, l'union matrimoniale 3. Un savant italien, M. Capei, frappé de la ressemblance du vocable puia et de l'adjectif féminin italien buia, signifiant proprement obscure et qui se donne en Toscane comme épithète à une femme veuve, a pensé que ce mot étrusque indiquait la viduité. La présence de ce même mot écrit en gros caractères de couleur noire sur une urne que le comte Conestabile nous a fait connaître semble fortifier cette hypothèse; aussi a-t-elle été adoptée par l'auteur du Recueil des inscriptions étrusques de Florence5. M. Fabretti penche également de ce côté. Il y a cependant à l'ingénieuse supposition du savant italien des objections graves. Je remarquerai d'abord que l'emploi de la couleur noire pour l'inscription du mot puia sur une des urnes de la famille Ofellia n'a rien de bien décisif, puisqu'on retrouve dans le même hypogée l'emploi d'une pareille couleur pour une épitaphe où le mot puia ne figure pas. Cette observation faite, j'arrive aux objections véritables. On lit dans quelques épitaphes d'hommes la qualification de puiac (>AIV1) qui représente, selon toute probabilité, la forme masculine du mot puia; l'on devrait alors supposer, si l'opinion de M. Capei est fondée, que ce mot signifie veuf. Or, quand nulle part, sur les épitaphes d'hommes, le nom de

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Voyez Corpus, n° 984 bis, cf. n° 88, 665. Cf. Corpus, n° 428, 1463, 1541. Ainsi dans l'inscription n° 424, le mot Vetesa (A231) occupe la même place et joue le même rôle que les deux mots Vetes puia (AM3+) dans l'inscription n° 425. Cette hypothèse a pour elle la présence du mot uxor dans une inscription étrusco-latine. Cf. le grec aids, brun, obscur. — Voy. Conestabile, Iscriz. etrusch. di Firenze, Prefaz. p. LIV, LV.

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l'épouse n'est énoncé, non plus que la mention du mariage du personnage masculin, comment pourrait-on croire qu'on ait accolé au nom d'un mort la qualification de veuf? d'ailleurs ce mot puiac est quelquefois accompagné d'un nom au génitif et qui a tout l'aspect d'un nom d'homme. M. Capei a senti la force de l'objection', et, afin d'y parer, il a proposé pour le mot puiac le sens d'orphelin, en latin orbus; mais ce sens n'offre pas réellement le correspondant masculin du féminin puia, et, si on l'admettait, il s'ensuivrait que ce dernier mot aurait à la fois signifié veuve et orpheline, ce qui est invraisemblable. J'ajouterai que la loi de l'âge fait que c'est le plus souvent le mari qui prédécède. On devrait donc rencontrer bien plus d'épitaphes féminines portant la mention de la qualité de puia qu'on n'en a recueilli. L'épithète de vidua ne se lit pas non plus sur les inscriptions latines de l'Étrurie, tandis qu'on y voit celle d'uxor. Nous ne rencontrons, il est vrai, sur aucune de ces dernières, le titre de maritus, conjux, vir, mais il ne faut point oublier que l'apparition de l'étrusque puiac est rare. Pour interpréter ce dernier vocable dans le sens d'époux, on doit supposer que le nom au génitif qui l'accompagne n'est pas son régime, qu'il indique simplement la filiation; le terme de puiac serait alors pris comme titre, ainsi que cela semble avoir lieu pour son féminin puia sur quelques épitaphes.

Si la distinction entre les noms d'hommes et ceux de femmes était plus apparente sur les monuments funéraires de l'Étrurie, on pourrait tirer d'un nom féminin une objection capitale contre la signification de veuve ou d'épouse prêtée au mot puia. En effet, des épitaphes dont une accompagne une figure féminine, et qui présentent les apparences d'épitaphes de femmes, nous fournissent le nom de Cumnia (Aи Iиm), répondant vraisemblablement au latin Cominia2, et qui donne lieu au dérivé Cumnisa3. Or on lit sur une épitaphe du même hypogée, AEMIUM: AIV (no 637). Les noms en ia faisant, comme on le verra plus tard, leur génitif en ias, Cumnia devenait, à ce cas, Cumnias, mot qui, suivant l'abréviation ordinaire, s'écrivait Gumnis (MIИVƆ): il semble donc que l'épitaphe ici rapportée doive se lire: Puia Camni(a)s Thocerna et être traduite par la puia de Cumnia Thocerna, ce qui exclurait l'idée que puia puisse signifier épouse ou veuve, attendu qu'une femme ne saurait être qualifiée de veuve ou épouse d'une autre femme. Mais cette objection ne doit pas être tenue pour décisive, parce que, à ⚫ la rigueur, Cumnis peut être l'abréviation de Cumnius, génitif de Cumniu,

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'Conestabile, Monum. del Palazzone, p. 28. Voyez Corpus, n° 634, 635, 636, 637 bis f. — Ibid. n° 637 bis c.

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Cf. n° 637 bis d.

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et qu'alors il est possible d'entendre les trois mots ainsi : la puia de Cumnius (Comenius) Thocerna.

Il est digne de remarque d'ailleurs que, hors ce cas, toutes les autres inscriptions présentent l'association de puia à un nom masculin au génitif, ce qui est un puissant indice que ce mot a la signification d'uxor. Il est vrai qu'un tel sens ne se justifie pas aussi aisément par l'analogie du mot avec un substantif grec ou latin. Cependant je crois découvrir chez ces idiomes la racine à laquelle il doit être rattaché. C'est elle qui entre dans le grec anyv, fut. ww, latin pango (pour pago) et qui signifie unir, attacher ensemble1. En latin, pango signifiait promettre en mariage, et pacta se disait d'une fiancée. La forme masculine puiac nous conserve le c final qui appartient ici à la racine.

Si la difficulté que soulève l'emploi de la forme masculine puiac avec un nom propre d'homme au génitif, et les autres objections ici rappelées, devaient faire abandonner les sens de veuve et d'épouse, deux suppositions pourraient également concilier les difficultés. La première, c'est que puia et puiac implique l'idée d'adoption, d'adrogation ou de pupille. Le nom d'homme au génitif serait alors celui du tuteur, et la forme étrusque puia fournirait l'équivalent de pupa (dérivé pupilla), comme puiac celui de pupus 2. Une forme plus contractée répondant au même sens, et qui serait de nature à expliquer comment aurait pris naissance le mot étrusque, nous serait donnée par l'ionien Baids, petit, peu, seul, unique, dont la racine n'a point été expliquée.

Suivant une seconde supposition, le mot puia devrait être entendu dans le sens de liberta, c'est-à-dire affranchie; et alors il correspondrait au grec waïs, au latin puer (anciennement por), féminin primitif puera, forme diminutive puella. Le vocable puia aurait d'abord signifié proprement esclave, servante, puis aurait été entendu dans le sens d'affranchie. Son correspondant masculin puiac se comprendrait alors tout naturellement et devrait être rendu par le latin libertus. Les affranchis n'ayant point une personnalité aussi distincte que les hommes de race ingénue et continuant encore à faire partie, jusqu'à un certain point, de la familia de leur patron, on conçoit qu'ils aient pu être parfois qualifiés d'affranchi de tel ou tel, et dès lors que sur certaines épitaphes on lise simplement le puiac, la puia de tel. Les affranchies, surtout dans un

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Voy. G. Curtius, Griech. Etymologie, p. 241. C'est à cette racine que se rattache le latin pignus, employé parfois figurativement avec le sens d'enfant, de parent. Une inscription latine provenant de Pérouse qualifie une jeune fille, Statia Lalagene, de pupa de Q. Cæcilius Eros. (Orelli, Inscript. lat. sel. no 467.)

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