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toutes lettres l'âge auquel est mort le personnage dont le tombeau porte l'épitaphe, nous serions en possession d'une suite bien plus considérable de noms de nombre; mais, subissant l'influence romaine, les Étrusques ont, dans ces inscriptions, plus habituellement écrit l'âge du défunt en chiffres romains; ils ont adopté ainsi pour la numération certaines lettres étrangères à leur alphabet, se bornant à substituer à la lettre L la lettre pour rendre la valeur de cinquante. C'est là, soit dit en passant, une circonstance qui achève de démontrer ce que j'ai noté dans mon premier article, à savoir que les inscriptions étrusques sont, en grande majorité, postérieures au temps de l'autonomie tyrrhé

nienne.

Si nous examinons les différents noms de nombre dont nous pouvons déterminer la correspondance numérique, nous reconnaissons que la majorité se rapproche assez notoirement des noms de nombre de la famille indo-européenne. En effet, prenons d'abord les dés Campanari; nous y lisons :

Mach (AM), pour un (latin unus; grec els, pía, ev; sanscrit eka. Thu (VO), pour deux (latin duo; grec dów, dúo; sanscrit dva). Tzal ou Zal (JA), pour trois (latin ter; grec peis; sanscrit tri). Huth (OVB), pour quatre (latin quatuor; grec Téoσapes; sanscrit tchatvar, tchatur.

Ci (1), pour cinq (latin quinque; grec évte; sanscrit pantchan; arménien hing); (quimatus, âgé de cinq ans).

Sa (AM), pour six (latin sex; grec ; sanscrit sas).

Entre ces noms, ceux qui signifient deux, cinq et six, se rapprochent sensiblement du type sanscrit et conséquemment du type gréco-latin. La différence est plus prononcée pour les mots correspondant à un, trois et quatre. Mais remarquons, pour le mot tzal ou zal, signifiant trois, que l'échange de r en l qui s'opérait quelquefois en passant du latin à l'étrusque, comme dans l'adjectif ethnique latiaris pour latialis, permet d'identifier la forme tzal à la forme tzar, peu éloignée du prototype indoeuropéen. Le mot huth, quatre, peut se ramener au radical latin quat (quat-uor), en supposant que les habitudes de prononciation gutturale des Étrusques avaient substitué au q une aspirée. En gothique le tch ou q a également fait place à une aspirée ( fidvôr), et l'arménien donne tchor-k. Enfin le mot mach n'est pas fort éloigné du sanscrit manak, « peu,» de l'arménien mek, un, auquel quelques philologues rattachent le grec mia (uía) signifiant une; la gutturale finale paraissant avoir été introduite

par la vocalisation étrusque1. On pourrait même être tenté d'admettre qu'à raison du genre du substantif répondant à coup de dé, point, numéro, ou quelque idée analogue, on avait inscrit non pas le mot un (unus), mais le mot une (una). Toutefois la présence de ce même mot mach avec le sens manifeste d'un sur deux inscriptions donnant en toutes lettres l'âge du défunt, doit faire écarter cette hypothèse 2. L'étymologie de ce mot mach demeure donc la plus obscure, et il est, au reste, à noter que le mot grec uía, qui semble lui correspondre, laisse beaucoup d'incertitude sur sa propre étymologie et a été expliqué de diverses manières 3.

Nous sommes d'autant plus fondé à rapprocher de la famille indoeuropéenne ces six premiers nombres dont cinq (mach, zal, huth, ci ou cis, sa ou-sas) reparaissent sur les inscriptions, qu'on ne découvre aucune suite de termes de numération dans les autres familles linguistiques qui les rappellent davantage. On peut, à cet égard, consulter le curieux ouvrage de M. A. F. Pott3, intitulé: Le système numéral quinaire et vigésimal chez tous les peuples de l'univers. Les familles sémitique, égyptoberbère et finno-turque en particulier s'en éloignent notablement. Une telle similitude nous est donc un indice que la langue étrusque appartenait à la souche indo-persique, mais plusieurs de ces noms de nombre n'offrant déjà plus qu'une ressemblance assez effacée avec les noms indo-perses correspondants, il y a lieu de supposer que l'étrusque s'était détaché de bonne heure du tronc, ou, du moins, qu'il avait subi, comme cela est arrivé pour l'arménien, des altérations dont l'effet fut d'écarter davantage les mots du type originel.

Outre ces six noms de nombre, il en est d'autres dont la correspondance, moins certaine, peut cependant être établie avec une assez grande probabilité. C'est d'abord le nombre sept, que nous ne connaissons peutêtre pas dans sa forme simple, mais dont les épitaphes nous fournissent deux dérivés, l'un répondant au nombre dix-sept, sesphs (M®M32)o, et

4

3

2

Comme m et w permutent volontiers, le mot mach peut se ramener à la forme wach, qui s'éloigne moins du latin unus, primitif oinos, lithuanien wenas. Voy. à ce sujet Bopp, Grammaire comparée, trad. Bréal, t. II, p. 210, 211.- Voy. Corpus, n° 2071, 2340. — 3 Bopp (Grammaire comparée, trad. Bréal, t. II, p. 209) remarque qu'il règne une grande diversité pour le nombre un parmi les langues indo-euro péennes. Corp. n° 1914, 2033 b, 2055, 2108, 2119, 2335 d. On voit par les inscriptions que la forme complète du mot cinq était cis (21)), et celle de six, sas (2AM). - Die quinare und vigesimale Zühlmethode bei Völkern aller Welttheile. Halle, 1847. La figure de jeune homme placée sur l'urne ne permet pas d'attribuer au mort plus de vingt à vingt-cinq ans, et, comme dans le mot indiquant son

-

qui se lit comme indication de l'âge d'un jeune homme figuré sur un sarcophage dont l'inscription est rapportée dans le Corpus de M. Fabretti sous le n° 2033 a, § C, et appelé Velius Lenius Ruga, fils de Larthia (AXVO AIORAL.23.); l'autre répondant, selon toute apparence, au nombre soixante-dix, et qui se lit semphalchls (2↓↓↓A©M32). Il est à noter, en effet, que les trois lettres lchl (↓↓↓) terminent plusieurs des noms de nombre inscrits dans les épitaphes et sont l'indication manifeste d'un multiple de dix; or, comme nous retrouvons dans l'énonciation de l'âge du défunt d'autres mots qui peuvent correspondre à trente, cinquante, soixante et quatre-vingts, la valeur de soixante-dix s'impose en quelque sorte pour ce mot de semphalchls contenu dans l'inscription n° 2071. D'ailleurs l'inscription n° 1948 ainsi conçue,

DER JAVA.832.27AJIFA

Avilavs sef. Anteisunas sec.

paraît contenir une de ces interversions fréquentes que j'ai signalées dans mon premier article, et doit être traduite, selon toute apparence, par ætatis septem filia Anteisoniæ, ce qui nous donne seph ou sef (832) pour le mot étrusque correspondant à sept.

Ce nouveau nom de nombre nous fournit une racine très-voisine du latin septem, du grec ÉTTά et du sanscrit saptan, sapta.

Nous ne saurions nous prononcer avec autant d'assurance sur les mots qui devaient correspondre à huit, à neuf et à dix, car nous ne les rencontrons pas isolément. Cependant la comparaison des mots qui servaient à désigner les multiples de dix peut nous apporter, à cet égard, quelques indications. Ces mots sont :

1° Ciemzathrms (AMI), Corp. n° 2071) qui, à raison du composant ci (quinque) doit signifier cinquante (quinquaginta ou quinquagesimus). M. le D' Lorenz croit voir dans la finale threms une désinence ordinale équivalente au mus latin (septimus).

2° Cealchs (3D), qui se lit précédé du nombre cinq (21) dans l'inscription n° 2108, peut avoir signifié soixante (sexaginta). On n'y retrouve pas, il est vrai, la racine composante sa (AM), et, n'était le peu

âge on ne retrouve pour radical aucun des six premiers nombres, on est naturellement conduit à admettre qu'il y a dans cette inscription un chiffre supérieur à seize; or la forme de ce mot, assez voisine du latin septimus, rend très-probable le sens de

dix-sept.

de vraisemblance à supposer qu'il s'agit ici d'un centenaire, on serait plus disposé à le rendre par cent (latin centum, sanscrit satam); mais rien n'indique dans les traits de l'homme figuré sur le sarcophage portant cette inscription, une personne d'un âge si avancé. L'échange de c et de s peut expliquer pourquoi on aurait dit cealch (au génitif cealchs) et non sealch. Si l'on rapproche cealchs du kurde cehl et du persan tchihil,

, ayant l'un et l'autre le sens de quarante (cf. russe Сopoкь), on pourra également, et, selon moi, avec plus de raison, voir dans le mot étrusque l'équivalent de quadraginta. Quoi qu'il en soit, l'idée de la dizaine est certainement rendue par la terminaison alch répondant au sanscrit sati, au zend saiti.

3o Le nombre soixante-dix a été examiné ci-dessus.

4° Muvalchl (↓↓JA). Ce nombre, qui se lit sur deux inscriptions (n° 2335 a, 2335 d), ne peut répondre qu'au nombre quatre-vingts (octoginta ou octogesimus). L'échange de m et de w, dont il a été question dans une note ci-dessus, permet de le ramener à la forme wuvalchs, qui s'éloigne moins du numéral latin1. Dans l'inscription n° 2335 a, il est question d'un personnage du nom de Larthias dont l'âge est indiqué par les mots thunesi muvalchls (24), ce qui ne peut guère signifier que quatre-vingt-deux, car il est difficile de rapprocher le second mot (muvalchls) d'un autre multiple de dix que quatre-vingts. On retrouve ce même mot à l'inscription 2335 d précédé du nombre cinq (cis) (21).

Une inscription consignée dans le Corpus au n° 2119 exprime l'âge du défunt par les mots tiurs sas (2AM:241). La correspondance des noms de nombre que je viens de rapporter ne laisse plus guère de choix qu'entre les sens : seize (dix-six), vingt-six, trente-six et quarante-six. De ces divers pronominaux numériques, trente, sanscrit trinçati, latin triginta, grec τpiánovτa, gothique threistigus, allemand dreissig, anglais thirty, est celui qui se rapproche le plus de la forme tiurs. Il est vrai que l'on peut opposer à ce rapprochement le fait que trois se disait en étrusque non tir, mais tzal ou zal; toutefois la forme tiurs est probablement contractée et peut être tirée d'un primitif différent de

tzal.

L'inscription n° 2335 a, dont il vient d'être question, nous fournit le nombre AIM (thunesi muvalchl). Or j'ai montré que le second mot devait répondre à octoginta; comme nous connaissons

1 Cf. le cymrique ou gallois wyth.

les noms des nombres un à sept, et comme le premier de ces deux mots étrusques doit être un dérivé du mot signifiant huit (octo), il ne reste pour thunesi que le sens de neuf (novem), à moins que thunesi ne soit un adjectif numéral dérivé de deux, thu, et analogue au latin bini. Je crois cette seconde supposition d'autant plus admissible que l'âge de 82 ans est plus probable que celui de 89.

En somme, la grande majorité des noms de nombre étrusques se rapproche de ceux de la famille indo-européenne. C'est ce qu'avait déjà fait observer M. le D' Lorenz dans un article publié au tome IV des Beiträge für vergleichende Sprachforschung1.

Quant aux noms de nombre ordinaux, nous ne les connaissons point, ou nous ne savons pas les distinguer des nombres cardinaux; je soupçonne pourtant que trois de ces noms nous sont fournis par trois des inscriptions de l'hypogée découvert, en 1863, près d'Orviette (n° 2033 bis) par M. Golini. Dans chacune d'elles on lit après la formule correspondant à natus Veliorum (Clan Velusum), ainsi que je l'expliquerai plus loin, un mot qui a toute la physionomie d'un nom de nombre ordinal, à savoir, Prumaths (MOAMV91) semblant répondre à primus (grec apatos, dorien @patos), sanscrit pratamas; sefsi (IM83M) semblant répondre à septimus, et nefis (M183H) semblant répondre à nonus (cf. sanscrit navati, navamas). Si cette supposition est fondée, nous aurions là de nouveaux traits d'affinité entre la terminologie numérique des Latins et celle des Étrusques.

L'étude des noms propres inscrits sur les épitaphes nous donne la certitude que les substantifs étrusques se déclinaient, et les terminaisons des cas présentent avec celles du latin, du grec et du sanscrit, une notable analogie. On n'observe, pour l'indication du génitif, rien qui rappelle l'état construit de l'hébreu. Et, en général, les différentes formes que revêt un même nom, suivant sa place dans le discours, s'éloignent complétement de celles qui appartiendraient à un idiome sémitique. C'est donc là une nouvelle preuve, et qui n'est pas des moins décisives, de l'origine indo-persique de l'ancienne langue de la Tyrrhénie. Un petit nombre de rapprochements me suffira pour établir ce que je viens d'énoncer.

La multitude de noms patronymiques mis au génitif qui suivent le prénom du défunt dans les inscriptions funéraires nous fournissent une foule d'exemples de génitifs singuliers; ils nous permettent en même temps, par la comparaison avec d'autres inscriptions où ces mêmes

1

Beiträge zur Deutung der etruskischen Inschriften. (T. V. part. 2, p. 204.)

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